Ouvrez les oreilles, immigrés, Gaston-Paul Effa vous parle! Après son précédent et époustouflant roman A la Vitesse d'un baiser sur la peau, l'écrivain franco-camerounais s'en prend aux traditions qui rapetissent les existences et les transforment en châtiment absurde auquel il convient de s'opposer.
Sous la plume alerte et toujours soyeuse de l'auteur, un homme, dévoré par ce passé qui ne passe jamais et que l'on nomme tradition, est précipité hors du foyer familial. "Je voulais payer des factures aujourd'hui et, une fois de plus, il ne reste rien sur notre compte." Ainsi commence l'histoire d'une double désunion. Celle d'un couple mixte, puis d'une émancipation vis-à-vis du passé.
La première rupture vient de la colère d'Hélène, irritée par la difficulté permanente à faire face aux charges du foyer alors qu'elle gagne bien sa vie et que son ingénieur de mari, Osele, n'a pas à se plaindre de ses revenus. D'où vient le malaise? De cette concubine aux doigts crochus, aux désirs incessants et dont il faut constamment remplir la mangeoire: la tradition africaine. Peut-on s'émanciper d'un serment pris lorsque l'on a été élu, à douze ans, l'aîné du clan et que l'on a sacrifié à un rite tutélaire dans l'Ewoé, la rivière des rires? Non, clamera le narrateur à son épouse qui ne supporte plus de voir ses revenus se perdre dans le "tonneau des Danaïdes" qu'est l'Afrique.
Dans le minable foyer Sonacotra où son mari a échoué, un immigré lui donne ce conseil en forme d'admonestation: "Le séjour d'un tronc d'arbre dans l'eau ne le transforme pas en crocodile." Cette invitation à rester un enfant de la tradition conduit Osele à résumer laconiquement les malentendus culturels qu'il observe: "Pour l'Europe, j'étais un enfant qui n'arrivait pas à grandir; pour l'Afrique, j'étais l'aîné qui porte la responsabilité de toute sa tribu." La deuxième partie de Nous, enfants de la tradition est plus méditative. Entre peur de trahir les siens au loin (en Afrique) et nécessité de vivre avec les siens tout près (en Europe), Gaston-Paul Effa poursuit l'interrogation sur le métissage culturel. Un Africain doit-il renoncer à son histoire pour vivre pleinement en Occident? Quelle concession, quelle kabbale ou dissimulation de soi lui faut-il réaliser pour déposer le fardeau de l'homme noir? L'écrivain a cette superbe conclusion: "N'hésite pas à perdre, si tu veux retrouver."
Eugène Ebodé in La tribune de Genève
Gaston-Paul Effa, Nous, enfants de la tradition; ÉD. Anne Carrière, 2008, 166 pp.
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