Livres : L’hommage du poète à la femme

Selon l’auteur camerounaise, Victor Hugo a sublimé la gent féminine, à la fois avec le cœur et l’esprit.





Mathilde ZOA, chargée de cours à la Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Yaoundé 1, vient de publier, aux Editions " CLE ", un ouvrage au titre évocateur : Victor Hugo et les femmes. A travers cet essai, le public est éclairé sur la réalité des rapports entre le poète français et les femmes, du moins pour ce qui est des figures qui apparaissent dans son œuvre. Depuis plusieurs années, une légende s’est construite autour de la vie sentimentale de Victor Hugo et celle-ci a été nourrie par certains biographes de cet écrivain. Il n’est pas rare d’entendre, même à des lieux très éloignés de la France, un homme d’un âge avancé proclamer avec fierté : " je me sens encore homme, je suis comme Victor Hugo ". En effet, lorsque le poète rencontre Juliette Drouet en 1883, il est âgé de 31 ans et leur relation va durer 50 ans. Un petit calcul arithmétique permet de comprendre que Victor Hugo avait une vie sexuelle active à plus de 80 ans d’où cet imaginaire collectif qui lui donne la longévité dans ce domaine.
L’ouvrage de Madame Mathilde ZOA apporte un éclairage scientifique sur les rapports de Victor Hugo avec ces femmes. Tout en reconnaissant la place de choix qu’occupent les femmes dans la vie sociale et littéraire du poète, elle fait une analyse dont le but est de proposer des réponses à quelques préoccupations des lecteurs de ses oeuvres : de quelles femmes s’agit-il ? Quels sont leurs visages ? Quels messages peut-on lire sur ces visages ou à partir de ces visages ?

En promenant son lecteur dans la société des textes de Victor Hugo, Mathilde ZOA, dans un style soutenu et limpide, élabore une structuration des ces visages. On apprend ainsi que, contrairement à une opinion très repandue, les figures féminines qui obsèdent prioritairement Victor Hugo sont celles de sa propre famille, ses parentes. Mathilde ZOA fait une classification hiérarchisée des "femmes de Hugo ". Même si nous avons affaire ici à des œuvres de fiction, la poésie de Victor Hugo, qui fait une peinture réaliste de la société notamment dans les contemplations, est parfois construite autour d’une thématique historique. D’ailleurs, le second titre du corpus de Madame ZOA la légende des siècles est également évocateur des savoirs historiques. Ainsi selon cette classification, le visage le plus récurrent et le plus dominant de tous ces visages féminins est Léopoldine Hugo, la fille du poète, morte de façon tragique. Cette figure a ébranlé la psychologie de Victor Hugo et influencé son œuvre.

Viennent ensuite d’autres visages dont celui de sa deuxième fille, Adèle, celui de sa mère " Qui fit son cœur, qui l’embrassait le matin au réveil, qui les a élevés, lui et ses frères, et dont il se souvient lorsqu’elle rayonnait devant son immense talent ", sa femme, sa sœur et même celui qui lui fut pathétique, Claire Pradier quoique n’étant pas de sa famille. Bref, les femmes, membres de sa famille, viennent avant les autres. Et ces autres ne se limitent pas aux amantes dont certaines ne sont même pas identifiables. Mathilde ZOA reconnait, comme les biographes, que Juliette Drouet a été la seule femme qui a fait résonner les fibres les plus mélodieuses de Victor Hugo. Elle fut une étoile pour le poète romantique. Quelques autres noms ont meublé timidement le répertoire galant du poète : Léonie Biard alias Thérèse de Blaru.

L’essai de Madame Mathilde ZOA constitue un répertoire méthodique de visages des femmes ayant marqué la vie sociale et littéraire de Victor Hugo. Elle a fouillé, dans l’imaginaire de l’auteur, toutes les traces de son histoire féminine. Les visages classiques sont juxtaposés aux visages historiques et littéraires qu’elle a repartis en trois groupes : visages de la vie politique et sociale ; visages de la vie religieuse ; visages des grandes œuvres.
Le premier groupe cité révèle des noms des reines de France, Madame de Maintenon, Messaline pour évoquer Néron, Sémiramis, reine légendaire d’Assyrie, Hécube, reine de Troie, Atémise, reine de Carie et bien d’autres.
Victor Hugo rend également hommage à certaines femmes militantes ou à des martyres dont la plus illustre est Jeanne d’Arc. La vie religieuse n’est pas en reste : la mythologie gréco-latine est représentée par les déesses de l’Olympe, Diane. Les religions révélées et monothéistes à l’instar du christianisme sont évoquées par des noms de femmes : Eve, Marthe et Marie, les deux sœurs de Lazare de Béthanie puis la femme de Loth. Dans la littérature, la figure d’Eurydice est inspiratrice de certaines œuvres. Cette mosaïque de visages féminins tirés dans le vécu du poète génère la construction des figures imaginaires selon une thématique variée : la mère, la misère, le deuil, la condition féminine, la laideur morale.

Hugo perçoit la femme physiquement et moralement, non seulement à travers la vue, mais à partir des autres sens : l’ouïe, l’odorat et le toucher. Cette perception est fondée par une dominance corporelle de la femme : ornithologique, angélomorphe et pneumatologique.
On comprend alors le sens de l’épigraphe que Mathilde ZOA a placé à l’entrée de son texte " la femme est une religion " de Jules Michelet, pour dire que l’œuvre de Hugo laisse appréhender une image de la femme qui " pourrait se prêter à des comparaisons d’ordre rationnel " car, selon Mathilde ZOA, si Hugo a célébré la beauté physique de la femme, ce n’est pas une contemplation inerte et matérielle, mais l’intérêt majeur de sa perception réside dans l’idéalité de son pouvoir spirituel qui la sublime.
Le livre du Dr. Mathilde ZOA, du reste très bien écrit, est une source bien fouillée et riche qui donne envie de lire Les contemplations et La légende des siècles de Victor Hugo. Cet ouvrage convainc même s’il est vrai qu’il s’agit d’un regard féminin qui perçoit un regard masculin sur la femme.
* Maître de Conférences à l’Université
De Yaoundé 1 et spécialiste de la LittératureFrançaise et Comparée.

mboasawa

3713 Blog posts

Comments