Quoique Senghor, Malraux et bien d'autres puissent leur servir d'illustres modèles, très peu d'hommes publics en fonction se risquent à produire des œuvres de fiction. Au Cameroun, Jacques Fame Ndongo est l'une des exceptions, lui qui soumet aux feux nourris de la critique littéraire et de la critique tout court recueils de poèmes, pièce de théâtre et roman. Plusieurs autres personnalités nationales ont été écrivains dans une vie qui a précédé leur ascension dans les hautes sphères de la vie publique, leur mutisme durant le temps de leur exercice du "pouvoir" apparaissant comme un reniement, un renoncement ou le résultat d'un calcul.
Il n'est donc pas anodin de signaler la publication prochaine d'un florilège de Narcisse Mouelle Kombi, le ci-devant directeur de l'institut des relations internationales du Cameroun par ailleurs agrégé de droit.
Trois recueils de poèmes sont constitutifs de cette œuvre ; le premier L'imparfait de l'exil était jusqu'alors inédit. Le 2ème et le 3ème ont été publiés dans des conditions qui méritent d'être rappelées. En 1986, l'Association des Poètes et Ecrivains du Cameroun (APEC) organise un concours "Jeunes Auteurs" avec le soutien du Ministère de l'Information et de la Culture. Narcisse Mouelle Kombi en est l'heureux "premier Prix". L'éclat de ce succès est d'autant retentissant que le concours met en compétition de nombreuses et belles jeunes plumes d'alors dont quelques unes constituent aujourd'hui la fine fleur de l'intelligentsia camerounaise. Les trois "Premiers Prix" sont honorés d'une publication aux éditions Afric Avenir ; ils n'ont cependant pas la promotion et la diffusion que leur talent mérite. Traduit de l'événementiel, le premier prix, ne circule donc presque exclusivement que dans les rares cercles de poètes et parmi quelques amis et sociétaires de l'APEC. La présentation dépouillée et trop sobre de ce recueil n'en accrut pas la visibilité. La même année, Une aube si tragique, son deuxième recueil paraît dans une œuvre collective qui regroupe entre autres textes, des nouvelles en français et en anglai et dont quelques auteurs sont Gilbert Doho, Gabriel Kuitche Fonkou. Ce collectif dont le dessein est de fixer les moments tragiques du six avril 1984 et d'en exorciser le pays n'a ni une meilleure promotion et ni un meilleur accueil que le premier recueil individuel de Narcisse Mouelle Kombi.
Mais le lecteur du florilège à paraître de Narcisse Mouelle Kombi se rendra sûrement compte que, vingt trois ans après ses premiers recueils de poèmes, ce poète n'a pas rangé sa plume, comme aurait pu le laisser croire le strident et long silence derrière lequel il s'est muré depuis 1986. Au contraire, il semble n'avoir jamais été aussi proche de la Muse. Si Traduit de l'événementiel et Une aube si tragique laissent apparaître un poète jeune, fougueux et décidé à en découdre avec les forces qui oppressent et déshumanisent à tout va et aux quatre coins de la planète, sa posture est plus méditative dans L'imparfait de l'exil. La forme dramaturgique d'une partie du deuxième et du troisième recueil est révélatrice de cette volonté d'entrer en scène, d'agir de façon directe, même au prix de sa vie comme le firent certains enfants d'Azanie (Traduit de l'événementiel) et les victimes du 6 avril 1984 au Cameroun (Une aube si tragique).
Le dernier recueil en date de Mouelle, L'imparfait de l'exil, avec le recul du temps, l'expérience de la vie et la sagesse qu'elle induit se préoccupe plus du pouvoir de la parole poétique. Un pouvoir qui peut paraître sans efficacité pour le profane. Mais pour le poète, le Verbe est non seulement premier mais primordial, c'et de lui que toute chose procède y compris la chair ; et c'est par le Verbe que toute chair est rendue vivante. C'est en soufflant sur elle la Parole incandescente que la chair est purifiée ; c'est la Parole lumineuse qui éclaire sa marche dans la direction de la terre d'espérance dont le poète montre l'horizon. Mais entre l'homme public, l'intellectuel et l'écrivain, les lignes de démarcation sont ténues et des confluences doivent exister. Et si l'écrivain doit éviter la schizophrénie, la critique doit quant à elle éviter la confusion et l'amalgame ; elle doit toujours faire le distinguo entre le territoire que foule l'écrivain et la carte que son œuvre dessine. Les géographes n'enseignent-ils pas qu'il ya une différence entre carte et territoire.
Par Marcelin Vounda Etoa*
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