Le livre du jour : Miano enfonce le clou

Avec son tout dernier roman, « Les aubes écarlates », la jeune écrivaine termine sa « thèse » explicative des malheurs de l’Afrique contemporaine.


La boucle est bouclée. La trilogie promise est terminée avec la parution du nouveau roman de Léonora Miano, « Les aubes écarlates ». Avant, il y avait eu le très fondateur « L’intérieur de la nuit » puis « Contours du jour qui vient ». La jeune écrivaine camerounaise, que l’on découvrait alors, se penchait sur les maux d’un continent, l’Afrique, ramenée à un pays sorti de son imagination, le Mboasu. Pas si imaginaire que cela. Miano remet ça et, telle une sangoma sud-africaine, ausculte sa terre pour lui donner les moyens de se soigner. On se souvient de ces maquisards qui avaient débarqué, enlevant, violant, tuant au nom d’un idéal vaseux. 

Dans un pays chaotique où rien ou presque ne marche, le pays du président Mawusé. A Mboasu, dans « Les aubes écarlates », la politique est « la profession la plus lucrative », « le président Mawusé ne promeut que des nordistes comme lui », « les jeunes diplômés se voyaient tous fonctionnaires. Aucun n’a étudié dans le but de créer une entreprise », « les flics sont si mal payés qu’ils ne vivent que de racket et louent leur équipement, armes comprises, à des malfrats », « les mômes n’ont pas droit à l’insouciance ». Et l’auteure de se demander, page 49, « pourquoi Nyambey veut-il que nous vivions, si nos vies doivent se dérouler ainsi ? » La réponse à cette grosse question, le jeune Epa se la pose aussi. Lui qui avait été enrôlé par les rebelles emmenés par Isilo. Comme Birahima dans « Allah n’est pas obligé » de Ahmadou Kourouma ou « Sozaboy » de Ken Saro-Wiwa, c’est un enfant soldat. Qui réussit à s’enfuir et à échapper à cette absurdité qu’il ne comprend pas. Peut-être va-t-il y arriver au contact d’Ayané, cette jeune fille déjà présente dans « L’intérieur de la nuit ». « Etrangère » pour avoir étudié en Europe, elle a pris le parti d’interroger et de comprendre. Les deux personnages entament comme un parcours vers ce qui sera, un jour peut-être, l’aube d’une ère nouvelle. Léonora Miano, elle-même, emprunte un chemin somme toute difficile et méritoire. Ce roman, autant que les autres, « Tels des astres éteints » en l’occurrence, est écrit comme d’autres écrivent un morceau de musique. Le jazz qui, chez elle, exprime le cri de ceux qui sont partis, est mis à contribution. Une écriture forte et sans concessions qui dit une chose et en montre une autre. Figurative, elle en demande davantage au lecteur qui, lui aussi, lit une chose et doit en appréhender une autre. Le travail de recherche mené par la romancière sur les thématiques de l’esclavage est au demeurant remarquable. Les aubes, disions-nous… Mais pour y arriver, le Mboasu et tous ses habitants ont un travail d’exorcisme à faire. Ils ne peuvent pas prétendre avancer tant qu’ils ne se réconcilient pas avec l’histoire qu’ils traînent. La plaie de la traite n’a jamais vraiment cicatrisé. Elle s’est refermée sur une gangrène lente et insidieuse qui pourrit le corps Afrique. « Sankofa ! Sankofa ! » Sankofa, apprend-t-on, est un mot akan, qui signifie « retour aux sources », ou « retourne chercher ce qui t’appartient ». Le mot renvoie à la nécessité de connaître le passé pour avancer. Et pour finir de façon imparable, page 209, la traite négrière a été « le premier crime contre l’humanité dont on a gardé trace. Celui qui, trop longtemps ignoré, avait engendré les autres. Une fois qu’on avait réduit des humains à cela, qu’hésiterait-on à commettre ? Devant quoi reculerait-on ? »


Ecrit par Stéphane Tchakam
 
Léonora Miano
Les aubes écarlates :
« Sankofa cry »
Paris Plon
275 pages
Août 2009

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