Une bonne partie de manifestants était des élèves âgés entre 12 et 28 ans.
M.F.
Tous les observateurs ou presque l’ont relevé, certainement pour le déplorer. L’implication active des jeunes scolaires a été visible lors des derniers mouvements d’humeur à Bafoussam. Les auteurs de la grève ont sans doute joué sur la naïveté des tout-petits pour mettre une cité à feu et à sang. Surtout quand on sait que, avant de se jeter dans la rue, une bande de badauds est descendue dans des écoles, lycées et collèges pour interrompre les cours qui venaient juste de commencer : « Personne ne travaille aujourd’hui [26 février 2008]. Sortez rapidement, sinon on vous tue», ont-ils menacé.
Un bout de phrase qui a perturbé les esprits. Les enseignants ont donc dû dire aux élèves que l’heure était grave. Et qu’il n’était pas indiqué de résister. Tout s’est arrêté dans les établissements scolaires. Certains élèves ont abandonné leur crayon pour prendre des gourdins. On en a vu qui arboraient encore des uniformes scolaires : « Paul Biya doit partir. Le Pmuc aussi», scandaient-ils devant des parents dépassés, incapables de maîtriser la fougue de leur progéniture. «Nous fréquentons pour quels débouchés. Les pilleurs de la République doivent rembourser les fonds détournés, au lieu d’être emprisonnés», clamait une seconde bande. Les principales artères de Bafoussam étaient inondées d’élèves en tenue.
Raison de plus pour que les élites Rdpc de l’Ouest, réunis à Bafoussam le 1er mars dernier, sortent de leurs gonds pour dénoncer une sorte de manipulation. « Les enfants-là n’ont-ils pas de père ou de mère. Les parents doivent agir en les chicotant», a conseillé Victor Fotso, l’un des orateurs du jour. A la suite de ce dernier, le gouverneur de la province de l’Ouest, Pascal Mani, a regretté la sortie des jeunes. « Cette crise a été particulière, parce que les vandales sont entrés dans des établissements scolaires, ont fait sortir les élèves. Et ce sont ces élèves qui ont continué ce mouvement. Au lieu qu’ils rentrent chez eux parce qu’ils ont été perturbés dans le fonctionnement de leur établissement, ils ont pris le relais et se sont mis à manifester dans les rues. Ils sont nombreux qui ont été arrêtés…et la plupart seront jugés», a-t-il indiqué. Avant de conclure : «Tout le monde dit que les jeunes ont été manipulés, mais ils n’ont pas été manipulés par les jeunes. S’il y a des manipulations, elles ont été faites par des adultes. Les parents et les éducateurs doivent assumer leurs responsabilités pour que leurs enfants ne rentrent pas dans des manifestations illégales».
Témoignages
Thomas Tankou (Journaliste)Bafoussam au troisième jour de la grève présentait l’image d’un bateau ivre, secoué par le vent des contestations, chahuté par les vagues de pillage qui ont émaillé la capitale provinciale de l’Ouest. Au-delà de ce qui a été dit çà et là par les uns et les autres, il convient de relever, à l’heure du bilan, que l’Ouest a présenté une certaine particularité. Cette province a d’abord, accueilli le débrayage en victime résignée. Ensuite, les populations ont suivi, à la lettre, un mot d’ordre de grève contenu dans des tracts déversés dans la nuit du 26 février par un véhicule de marque Toyota, venu d’ailleurs, a-t-on appris. On peut dire, enfin, qu’il y a un malaise profond. Au-delà des soupçons d’instrumentation qui pèsent sur certaines personnes, signalons que la vie chère est la principale cause qui a spontanément soulevé les populations. Même si de petits malins, aiguillés par la boussole des passions et des émotions, ont saisi l’occasion pour assouvir leurs intérêts personnels. Les populations de Bafoussam attendent du chef de l’Etat qu’il donne une réponse à leurs revendications.
Jean Claude Tchassé (Enseignant)Je puis parler d’une grève totale : les commerces et les services fermés, pas de circulation. À l’immeuble Pmuc, au carrefour Madelon, au Rond-point de la Poste centrale, il y a eu des attroupements. On a vu des patrouilles de police là, devant la foule. Sur la chaussée, on peut voir de brasiers alimentés par des pneus, des kiosques du Pmuc et des call-box. Des groupes de jeunes gens, formés d’élèves et d’autres badauds occupent la chaussée, courent en brandissant des pancartes et en chantant, sous les acclamations de la population. Des tracts signés par un certain Conseil National de la Révolution circulent. Le Centre divisionnaire des impôts au quartier dit Akwa a manqué de peu d’être incendié, n’eût été l’intervention énergique des forces de l’ordre, qui ont dû tirer des coups de feu en l’air. Les locaux du Pmuc au Carrefour Auberge ont été saccagés. Entre-temps, il y a eu des marches avec des pancartes où l’on pouvait lire : ne touchez pas à la Constitution, Paul Biya doit partir. Baissez les prix des produits sur le marché. Des patrouilles qui étaient dans de grands carrefours ont pris pour cible les jeunes qui avaient eu la mauvaise idée de passer par là. On commence par lui demander de se mettre torse nu et de se déchausser, ensuite on lui intime l’ordre de s’enrouler sur le goudron chauffé par le soleil, sur une distance d’environ 5 m, jusqu’aux cendres encore chaudes des brasiers, où il doit s’asseoir, «se laver» avec cette cendre, s’embaumer le visage, et y rester ensuite assis pendant longtemps.
Propos recueillis par M.F.