Presse et critique littéraire au Cameroun **

Il faut remonter à 1922, année de création de la Gazette du Cameroun, pour envisager une analyse diachronique exhaustive du rôle de la presse dans la construction de la critique littéraire au Cameroun.
Par Marcelin VOUNDA ETOA*





Créée à l'initiative des services culturels du Commissariat de la République française au Cameroun et dirigée, bien sûr, par des administrateurs des colonies, La Gazette du Cameroun est un mensuel dont la ligne éditoriale est clairement exprimée : " Contribuer à la promotion culturelle des populations indigènes, permettre aux évolués d'échanger leurs idées et de faire l'apprentissage de la presse écrite”. La Gazette du Cameroun est non seulement un instrument d'expansion de la culture française, mais aussi un " banc d'essai " et un laboratoire d'écriture qui aide les " moniteurs "et les " écrivains-interprètes " de cette époque-là à parfaire leur maîtrise de la langue française et à s'en servir pour valoriser leur culture propre. Le journal accueille en effet, dans la rubrique " littérature et traditions orales ", épopées, contes, mythes, chantefables, etc. traduits des langues camerounaises au français. Plusieurs des contributeurs de ce journal deviendront plus tard de jeunes auteurs, c'est le cas notamment de Louis Marie POUKA ou de l'essayiste et fabuliste Isaac MOUME-ETIA.

Empruntant leurs sujets à un patrimoine que leurs lecteurs camerounais connaissent bien, les textes de ces "auteurs folkloristes ", publiés par la Gazette du Cameroun, suscitent de nombreuses réactions qui relèvent d'une critique impressionniste d'essence anthropologique. Mais le journal a le mérite d'offrir à notre critique littéraire naissante un corps de textes et le cadre de leur réception. A l'initiative de ce journal et " afin d'encourager les plumes talentueuses, des concours furent organisés. Des débats furent ouverts sur les questions brûlantes ".
La " tradition " littéraire inaugurée par la Gazette du Cameroun est poursuivie dans une veine nuancée par La Presse au Cameroun dont le propriétaire, Jean Garrigou, est un français. Une page de ce quotidien est réservée aux ouvrages " lus " A l'origine, ces recensions présentent essentiellement des ouvrages français. Mais la tendance est inversée dès l'installation à Douala en 1954 d' Henry de Juilliot, un jeune prête français féru de littérature et ouvert à toutes ses formes d'expression. La critique pratiquée par Henry de Juilliot est cependant normative et d'inspiration occidentale. Mais si le père de Juilliot juge les jeunes auteurs camerounais selon les canons esthétiques occidentaux, il les aide néanmoins à éviter les satisfactions faciles et l'autoglorification.

A la veille de l'indépendance du Cameroun, l'activité journalistique est foisonnante. C'est une cinquantaine de titres qui paraissent, essentiellement à Yaoundé et à Douala. Politiquement très engagés dans la lutte d'émancipation de leur pays, plusieurs des contributeurs et des directeurs de publication de ces journaux-là, l'instar de René PHILOMBE qui crée La Voix du citoyen, et Louis Marie POUKA, qui collabore à L'Eveil des Camerounais -n'abdiquent pas leurs ambitions littéraires. Influencés par le marxisme, plusieurs d'entre eux s'en servent comme grille de lecture des œuvres. Peu avant et juste après l'indépendance du Cameroun, de nombreux textes poétiques paraissent dans les journaux, palliant l'absence, jusqu'en 1963, d'une véritable maison d'édition au Cameroun.

mboasawa

3713 Blog posts

Comments