Bandes dessinées et romans à l'eau de rose parmi les loisirs, pour occuper leurs vacances.
Parfait Tabapsi
Dans la préface de l'ouvrage collectif "Enfances" récemment édité chez Pocket en France, on peut lire : "En Afrique comme ailleurs, les enfants lisent le petit prince et, parfois des livres qu'ils ne devraient pas. En Afrique comme ailleurs, ils s'enthousiasment des exploits d'un acrobate de cirque, ils espionnent les adultes et s'interrogent sur leurs comportements, ils s'aventurent dans les marais ou sur la mer alors qu'on le leur avait interdit…Mais l'Afrique, où la nature, les traditions et le merveilleux sont omniprésents, leur offre un terrain de jeux un peu plus grand qu'ailleurs."
Là semble résumée la vie des jeunes sous les tropiques. Ainsi, comme tous ceux qui courent vers l'adolescence ou s'y trouvent déjà, les occupations sont souvent nombreuses quand l'école ne figure pas dans les agendas. Et au milieu de ceux-ci, figure en bonne place la lecture. Comme en témoigne la fréquentation de nombre de bouquineries installées à Yaoundé. Joseph, qui vend des livres au poteau depuis une quinzaine d'années et qui est installé à l'ancienne gare de Mbalmayo explique qu'"il y en a parmi ces jeunes qui achètent des livres, même si leur nombre est réduit", surtout en cette période de vacances.
Car avec l'interruption de l'école, nombre de lycéens ont fait de la lecture leur passe-temps favori. Il en est ainsi du petit Jacques, 15 ans, rencontré au Centre culturel français François Villon de Yaoundé. Habitué des lieux, il vient d'emprunter deux livres de bandes dessinées (Bd). Sur son visage se lit une satisfaction qu'il s'empresse d'expliquer : "Je cherchais cet épisode depuis longtemps. Chaque fois, on me disait qu'il est en prêt. J'ai commencé à le lire, mais c'est à la maison que je vais le terminer", et revenir dès que possible emprunter un autre. Pour Edith Noga qui s'occupe de l'espace jeunesse de la bibliothèque, "ils sont nombreux qui s'intéressent aux Bd et aux ouvrages illustrés. Ils répugnent cependant les documentaires, les romans contemporains ou les essais", préférant des romans à l'eau de rose ou les polars.
Romans à l'eau de roseL'un des meilleurs sites pour s'en rendre compte est d'ailleurs la librairie du poteau. Un site qui révèle que "ces jeunes, en plus des Bd, dévorent les romans de Gérard de Villiers ou la série des Harlequin". Avec une répartition assez nette des sexes : les garçons préfèrent le polar et les filles le reste. "Quelques-uns parmi eux ont cependant un penchant pour la littérature adulte. Surtout ceux qui approchent de l'adolescence. Quand ils arrivent ici, ils prennent le temps de sélectionner ce qu'ils préfèrent. Personnellement, je ne pense pas que cela soit une mauvaise chose dans la mesure où cela leur permet de mieux
En scrutant leurs attitudes de lecture, on a comme l'impression que "les jeunes filles jettent leur dévolu sur les romans sentimentaux dans la mesure où elles rêvent du prince charmant riche beau et courageux, surtout quand elles sont déçues par la réalité. Ainsi, la lecture leur offre l'occasion de se soulager de leur peine et surtout d'espérer, car c'est l'espoir qui fonde la jeunesse", explique une dame rencontrée dans une bibliothèque de Yaoundé.
De tout cela, les parents n'en savent souvent rien. Pour l'un d'eux, "j'oblige mes enfants à lire. Cela par l'offre d'ouvrages que comporte la bibliothèque familiale minutieusement constituée. Il va de soi que pour certains types de livres, ils auront du mal. Mais dans l'ensemble, mes enfants lisent, avec une préférence pour les Bd et les romans policiers" Pour un autre, " mes enfants, comme je suis journaliste, dévorent tous les journaux que je ramène à la maison. Très souvent ils se renseignent sur les personnages qui font régulièrement les ouvertures et sur ce qu'ils ont fait. Ce qui est une bonne chose car cela leur permet d'avoir une idée de la vie dans leur pays".
Chez les Bonono par exemple, les enfants ont fait de la lecture un moment important de leurs occupations quotidiennes, qu'il s'agisse de la période des congés ou non. Ici, les filles ont un penchant pour les romans sentimentaux du genre Harlequin lors même que les garçons s'intéressent aux polars, policiers Bd et espionnage. Pour Chantal Bonono, "ce penchant s'explique par le besoin d'évasion, de distraction et de plaisir qui est l'apanage des jeunes. C'est pourquoi par la lecture ils recherchent d'abord le ludique. La didactique, c'est-à-dire la culture de soi, l'enrichissement du vocabulaire, arrive seulement après". Ici donc, on lit par habitude et par passion, au point de se crêper souvent les chignons pour un bouquin. Au bout du compte, il ne serait pas surprenant de retrouver d'autres écrivains qui suivraient ainsi la trace de leur aînée Solange Bonono.
S'appuyant sur son expérience d'enseignante de langue française, Chantal Bonono estime que les retombées de cette activité sont importantes. "Il y a d'abord que les jeunes lecteurs sont plus ouverts sur les choses de la vie. Ils ont ensuite un lexique plus fouillé comme cela peut se voir dans les rédactions ou les dissertations". Avec cependant le risque non négligeable de recourir à la paralittérature dans leurs devoirs. Très souvent, "je dois mettre les garde-fous en leur rappelant qu'en citant des ouvrages de Gérard de Villiers ou de Mary Higgins Clarck ne les aideront pas beaucoup, même si lesdites citations sont en droite ligne de leur argumentaire." Mais de cela, ils n'en ont cure. Eux qui lisent d'abord pour le plaisir.