Un roman épistolaire dont la portée philosophique, pédagogique et l'universalité en imposent à toute conscience disponible.
La lettre est une causerie par écrit entre un expéditeur et un destinataire que la distance sépare. Elle a donc, au départ, une fonction sociale ; son objectif premier est d'établir un rapport mental par le moyen de l'écriture. En cela, son objet est toute la vie. La lettre se doit donc d'être simple de forme et sincère de fond.
La littérature s'est emparée de cet autre moyen de communication sociale pour en faire un genre littéraire, le genre épistolaire. Sans tam-tam de Henri Lopès s'inscrit dans ce registre, dans la mesure où ce roman est constitué uniquement de lettres. Six au total.
En voici le contexte : Gatsé, un professeur de collège en poste dans un établissement de la brousse congolaise (Brazzaville) reçoit d'un ami, ancien condisciple à l'École normale supérieure et en poste dans la haute administration à Brazzaville, une proposition de nomination dans une ambassade à l'étranger. Le livre est constitué de l'échange qui va s'installer entre les deux amis. Le roman se structure autour de cinq lettres que Gatsé envoie à son bienfaiteur pour justifier son refus, et la sixième lettre est celle écrite par le destinataire à l'éditeur de ces cinq lettres.
Cela veut dire que les textes des lettres du correspondant de Brazzaville ne sont pas présentés. Le contenu est déduit des réponses. Le seul extrait en est une citation que Gatsé, ému, reprend en page 106, dans la cinquième lettre ; il fait le reproche suivant à son ami : De cela tu tires une conclusion à mon avis injuste quand tu m'assènes : " dans ces lettres je reconnais bien un homme, un homme et ses sentiments, mais je cherche en vain la révolution. " " Révolution ". On l'aura compris, l'échange épistolaire s'inscrit dans une dynamique politique.
D'une lettre à l'autreDans la première lettre (04pages), Gatsé qui est un militant du parti révolutionnaire, a été affecté en brousse à la suite d'un remaniement : " Dans le mouvement normal de vengeance des nouvelles équipes, on m'a affecté ici en brousse. " p. 9. Son ami lui propose un poste de Conseiller culturel à Paris. Il décline l'offre: " J'ai eu peur de la déportation, de l'enfer. Finalement c'est l'Eden. Laisse-moi y mourir. Garde ta pomme, serpent ! Ce n'est pas un fruit congolais. " p.9.
La réponse montre qu'il a été mal compris. Alors il entreprend de s'expliquer dans une plus longue lettre (56 pages), la deuxième. Il fonde son argumentation sur l'expérience de sa vie, de sa naissance à l'âge adulte. Il s'agit d'une véritable biographie. Ascendants masculins domestiques chez les colons, mère cultivatrice. Famille nombreuse. Enfance presque misérable, mais éducation morale plutôt rigide d'un père aux principes bien arrêtés. Parcours scolaire réussi. Son contact avec l'idiosyncrasie du colonialisme et des colons et le nécessaire impératif du développement de son peuple bâtissent son idéal politique. Alors, pour lui, le professeur qu'il est là où il se trouve, en contact permanent avec la masse dont il faut changer la mentalité, est plus utile, en ce moment-ci de son parcours, qu'un Conseiller culturel. À ces données, il faut ajouter son statut de polygame qui ne faciliterait pas les choses.
La troisième lettre est une continuation de la précédente, beaucoup plus axée cependant sur une réflexion au sujet de la théorie et l'action politiques : " La parole peut être action. Une belle intervention n'a pas seulement les faiblesses d'une performance, elle renferme, dans certaines circonstances, les mérites d'un combat héroïque. Je songe à celui qui, insoucieux du scandale, dévoile la vérité, réveille les consciences assoupies, et pousse ceux qui l'écoute à se lever et à marcher. " p.82.
Un autre remaniement étant intervenu et son ami ayant été promu Directeur de cabinet d'un autre de leurs amis, Mounkala, la quatrième lettre est un ensemble de conseils, comme celui-ci : " Il ne faut surtout pas considérer ce poste comme une promotion. Vois-y une charge où tu dois accomplir dans la discrétion la plus grande, une tâche ingrate mais colossale. " p. 92. En passant il sollicite tout de même que le nouveau Directeur de Cabinet intervienne pour qu'un chef de parti local, qui l'en menace, ne le fasse pas muter plus loin.
L'importance de la lecture dans la formation et la nécessité d'aimer son travail constituent l'ossature de la cinquième lettre.
Des lettres ouvertes
Le destinataire de ces cinq premières lettres écrit à l'éditeur, en guise d'épilogue au roman, une sixième lettre dans laquelle il explique dans quelles conditions Gatsé, souffrant depuis longtemps d'un cancer, est finalement décédé et donner les raisons qui le poussent à faire publier ces textes : " Ces lettres, écrit-il, ont une portée qui dépasse l'expéditeur aussi bien que le destinataire. " p. 120.
Sans Tam-tam se lit comme un roman. En est-ce tout à fait un ? Difficile de l'affirmer dès lors qu'il ne s'y dévoile aucune véritable intrigue romanesque comme dans les Liaisons dangereuses de Laclos. Néanmoins, le livre se lit avec beaucoup d'aisance, par le style simple et très poétisé par endroits. Par une observation aiguë des imperfections de sociétés modernes d'Afrique (L'esclave ne s'affranchit plus pour libérer de l'esclavage, mais pour devenir maître d'esclaves. P.58). Par certaines propositions aussi, qui en font un manifeste de la bonne gouvernance. Si des passages peuvent susciter un léger ennui à cause de la réflexion très théorique, l'ensemble s'impose par une pédagogie politique contenue dans des formules qui pourraient facilement s'inscrire dans l'imaginaire collectif comme des poncifs de bonne gouvernance.. Exemples : " A accepter trop vite les hauts postes, sans en avoir le mérite, on engendre des sociétés médiocres. " p.61. Ou bien : " On trouve toujours de quoi acheter le pagne ou la chemise dernier cri, quitte à se priver d'un livre du médicament. Ce n'est pas là sottise de jeunesse. Le mal est pire chez les adultes. " p. 72. Ou encore : " La connaissance est une course de l'homme vers le bonheur. La connaissance sans le cœur n'est plus que calcul. Connaître, c'est explorer la vie. Et l'école n'est qu'une partie de la vie. " P. 81. Et d'autres encore.
Ces formules sont issues d'un individu et concernent le Congo, certes. Mais très vite, l'on se rend compte qu'elles ont une portée philosophique et pédagogique universelles qui en installent l'universalité dans toute conscience disponible. Il s'agit là, assurément, d'un beau livre utile.
* éditions CLE, Yaoundé, 126p
** Docteur d'Etat ès lettres, ENS, Yaoundé