Exil : La révolte de " la vache à lait "

Dans une projection autobiographique, l'auteur fustige le dévouement d'un exilé à sa famille.
Monique Ngo Mayag





" Même portée par le vent, une feuille finit toujours par retomber au sol ". Combien de fois Ossele a entendu ces mots de la bouche des siens ? Car lorsqu'on a le malheur de vivre en France, d'être marié et père de deux ravissants garnements, on n'a pas le droit d'oublier la famille restée au pays. Ossele a bâti son existence autour de cet ordre établi. Les trois quart de son salaire d'ingénieur profitaient aux nombreux frères, oncles, neveux et nièces vivant dans la précarité au Cameroun. " Il manque du riz, du savon, ton père a besoin d'un nouveau rasoir pour sa barbe ".

Les prétextes ne sont jamais assez farfelus pour attirer quelques billets verts en direction du pays natal. Mais le nom Ossele signifie âne. Le symbolisme est assez fort pour marquer la soumission, car " l'âne ne se fatigue jamais, Ossele supporte ". Ainsi culpabilité et docilité ont rythmé la vie du personnage principal de Gaston-Paul Effa. "Comment aurait-il pu en être autrement, surtout lorsqu'on est l'aîné d'une famille de 33 enfants. De surcroit, " un élu des dieux, un homme né dans la misère, que les fées ont distingué pour en faire un être à l'abri du besoin .

Sous la plume de Gaston-Paul Effa, le lecteur comprend que lorsqu'au nom de la tradition, on devient la mamelle nourricière d'un peuple, on ne s'en plaint pas, on s'y accommode jusqu'au jour où se produit le déclic. Pour le cas d'Osselé, la sonnette d'alarme est déclenchée par son épouse. Dans le cœur de la jeune Française, la tolérance a cédé place à la rancœur. Il n'est plus question pour elle et ses enfants, de payer les frais " des élucubrations de vieillards qui usent de ruse et de chantage pour obtenir gain de cause. Il faut choisir entre moi et ta famille", exige t- elle.

Mais Hélène ne comprend pas que son africain de mari a hérité de l'animisme et des superstitions de son fang-Béti natal. Une contrée aux confins de l'Afrique centrale, où " se laver le visage à l'eau chaude est prélude à la malchance ". Où celui qui désobéi à la volonté ancestrale s'attire tous les malheurs. Aussi Osélé choisit-il les nuits froides passées à la Sonacotra -maison des réfugiés- à la chaleur du foyer conjugal. C'est pourtant dans cette maison d'accueil qu'il réalise le lourd tribut du respect de la tradition.

En effet, sur le matelas dur de la Sonacotra, Ossele songe à se défaire de ses racines ancestrales, de la pensée mystérieuse qui le lie inexorablement à son continent. De toutes ces vérités saugrenues qui ont toujours guidé son existence. Finis les mandats à tout vent et les appels incessants en direction du Cameroun. Mais l'affranchissement sera long et pénible car les démons de la tradition sont difficiles à exorciser. L'enjeu est important, aussi Ossele tient bon. Il se refugie dans l'écriture, en espérant que l'oiseau de minerve l'aidera à acquérir l'identité d'homme libre.

Au fil des mots, Ossele couche sur les feuilles blanches, son lot de ressentiments et de frustrations accumulés depuis des années. Sous sa plume, il défie " sa destinée ". Mais l'écrivain qui naît, sait aussi bien qu'entre l'imagination et la réalité, le fossé est considérable. Mais rien ne vaut le gout de l'indépendance. Ainsi, à mesure que son chemin de croix progresse, il connaît la dignité et l'identité d'homme libre de ses choix et de ses pensées.
Dans un style simple et clair et le temps de 165 pages, Gaston-Paul Effa a su porté le ras-le-bol des ceux qui, au nom d'une prétendue gratitude ou pour servir d'emblème familial, revêtent le manteau des sacrifiés.

mboasawa

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