Dans une boutade devenue célèbre, Edouard Glissant avait tenu à disqualifier l’exclusivité de l’écriture de l’histoire par les seuls historiens. C’est une thèse similaire que se propose de défendre le Groupe de recherche sur l’imaginaire de l’Afrique et de la diaspora (Griad) dirigé par Pierre Fandio de l’université de Buéa.
L’appropriation de l’histoire connue dans la fiction, la représentation des figures historiques dans la trame de la fiction et la révélation au grand jour de figures « mineures », ou jusque-là tenues pour telles, constituent les principaux soucis des 27 contributeurs de cet ouvrage collectif. La littérature orale n’est pas en reste ; il n’est pas jusqu’aux chansons nationalistes qui ne donnent à Gabriel Kuitche Fonkou le prétexte de jouer sur les expressions « littérature de l’histoire » et « histoire de la littérature ».C’est une autre histoire qui nous est ici proposée, non pas celle du 20 mai et ses parades, mais celle des tentatives de viol de la mémoire des combattants de la liberté comme Ruben Um Nyobé, consignée nulle part, mais constitutive de notre imaginaire. Non pas l’histoire des Lions Indomptables, mais celle des acteurs de l’histoire, inconnus, mais non moins importants comme Patrice Nnuka, le chef Nnelho des Foto en pays Bamiléké, Pangui Kengne Joseph alias « Sans Pitié », Ngan, etc., qui ont, chacun à sa manière, contribué à façonner notre « penser camerounais ».
Dans ce panorama de l’écriture de l’histoire par la fiction où on voit défiler tour à tour les œuvres de Camille Nkoa Atenga, Were Were Liking, Ferdinand Léopold Oyono, Mongo Beti se taille la part du lion. Si les repères spatiotemporels sont brouillés dans l’ensemble de l’œuvre du plus illustre des écrivains camerounais, il reste néanmoins qu’elle plonge abondamment dans la somme des mutations et spasmes ayant secoué l’histoire du Cameroun depuis la colonisation jusqu’au vent d’Est, en passant par le désenchantement de la décolonisation. La technique du brouillage suggère intelligemment la référence au vécu camerounais. Désiré Nyela, (Télé université de Montréal), Marie-Rose Abono-Maurin (université d’Orléans), Robert Fotsing Mangoua (université de Dschang) démontrent quel crédit la construction de la mémoire camerounaise doit à l’œuvre de Mongo Béti.
Lancé en 2003, l’appel à contribution pour le projet « Figures de l’histoire et imaginaire au Cameroun » a reçu un écho enthousiaste auprès des chercheurs du monde entier. Le 10 juin 2006, la Journée scientifique du Griad s’est tenue à l’université de Buéa. L’organisateur, Pierre Fandio, assisté de Mongi Madini, rassemble dans cette publication certaines communications présentées et discutées à cette occasion. La définition basique de l’histoire comme « la connaissance du passé basé sur les écrits » ne trouve pas un démenti dans cette publication. Sans de telles initiatives, il est des pans de l’histoire du Cameroun, pourtant déterminatrices de l’imaginaire collectif, qui n’auraient plus de traces d’ici là.
Pierre Fandio et Mongi Madini
(éditeurs scientifiques)
Figures de l’histoire et imaginaire au Cameroun
Paris, éd. L’Harmattan,
Collection « Etudes africaines », 2007
339 pages