Le podium géant de Camtel et de Vox Africa au salon de l’entreprise Promote, accueille ce 8 décembre Charlotte Dipanda. Lorsque la star montre son visage d’adolescente à l’assistance impatiente depuis l’après-midi de la voir, de l’écouter et si possible de la toucher, la foule est en délire. Charlotte est là, simple dans son pantalon de flanelle de couleur grise, reposant sur des orteils nus et fins, qu’elle pose (on dirait) délicatement sur le plancher du podium.
Le mont Nyada qui héberge le salon, est d’habitude frais en raison de sa position en altitude sur la ville de Yaoundé ; il est surchauffé en ces temps ; le millier de personnes qui y séjourne l’espace de l’évènement, en est certainement la cause de cette canicule. Charlotte Dipanda a choisi de s’habiller conséquemment. Le démembré acajou qui couvre son buste, dénudant volontairement certaines parties de son splendide corps, affole quelques fans qui piaffent d’impatience depuis de longues heures sur les gradins du podium. Ils poussent des cris de joie mêlés de privation.
Lorsque l’artiste entonne « Na Nde », le titre qui occupe la 7ème position de son nouvel album, morceau dans lequel elle chante son père qu’elle n’a pas eu le temps d’aimer parce que s’en étant allé trop tôt au paradis, les spectateurs crient fort le nom de leur idole. Un jeune homme pourtant assis au sommet des gradins, ne contrôlant plus sa flamme pour la sensuelle chanteuse, il décide de descendre les gradins, enjambant les marches deux par deux jusqu’au pied du podium : il cherchait à toucher au moins son idole. Charlotte qui a certainement vu des scènes aussi poignantes, appelle le jeune des gestes affectifs de la main, l’aide à monter sur le podium. Ayant posé sa tête sur son épaule gauche, elle tient le micro de sa main droite en continuant de chanter « Na Nde ». La chanteuse et son fan se mettent à sangloter tous les deux et contaminent toute l’assistance. Lorsque le présentateur de l’émission « Sans rancune » de Vox Africa, émission à laquelle Charlotte était la guest star lui demande les raisons de ses larmes, elle répond humblement : « le jeune homme a pleuré sûrement ses émotions pour moi, mais c’est lui qui me fait pleurer ! »
Joan Baez du temps de sa splendeur, parvenait aisément à hypnotiser les spectateurs au cours d’un concert qu’elle donnait. Sa voix de jeunesse était tellement douce que ses fans coulaient les larmes aux échos de sa voix et de sa guitare. Barbara Streisand qui n’avait pas la douceur et le charme de Charlotte du temps de sa splendeur, chantait et chante encore d’une voix tout aussi suave que celle de la Camerounaise.
Charlotte Dipanda est donc la synthèse de Joan Baez et de Barbara Streisand. Elle a cependant ceci de plus aux deux autres : son charme est naturel ; sa douceur est enivrante ; sa voix est envoûtante. Vivant en Europe, elle a choisi d’y emporter son Afrique et de la vendre aux Occidentaux. Elle le fait en chantant exclusivement dans les langues africaines ; elle le fait en imposant un look africain, des cheveux à la plante des pieds. Et lorsque Charlotte expose tout cela sur une scène, on comprend aisément ceux qui font éclater leurs émotions dans des sanglots en voulant tout simplement la toucher. Aux abords du podium ce jour-là, un autre admirateur de Charlotte jura : « Si c’est moi qu’elle avait embrassé ainsi, vous me comprendrez, je passerai une semaine sans douche, afin de conserver son parfum »
X.M.
Vous proposez un nouvel opus de 14 titres baptisé « Dube L’am. » Que cache ce titre ?
Dubè L’am signifie : ma foi en langue duala. Dans cet album, je parle de mes convictions, des choses auxquelles je crois. Je rappelle qu’il m’a fallu passer une année sabbatique pour me consacrer à cet album. J’ai appris le jeûne, la prière. Et avec du recul, je commence à comprendre les personnes et les choses autour de moi.
On constate que vous revenez toujours au Cameroun après la sortie d’un album…
Il n’y a pas à mon sens de sous public. Mon public camerounais que j’adore et qui me le rend est tout autant important que le public parisien ou un autre
Lors de la dédicace de Dube L’am vous avez affirmé que l’Occident à ses réalités. Que vouliez-vous dire exactement?
Je crois qu’il faut le reconnaître, lorsque vous arrivez dans une ville ou un pays, on dit d’abord qu’avant vous, il y’a des ténors. Et que pour que vous vous fassiez une place, il faudra baver plus. C’est la loi du marché, ce n’est pas propre à la France. Lorsque je commençais les cabarets, j’avais trouvé des chanteuses de cabarets connues qui avaient installé leurs marques. Et lorsque je suis arrivée, il a fallu que je me batte pour avoir ma place. C’est cela que j’appelle des réalités occidentales, même si on les retrouve partout.
Vous chantez en langues duala et bakaka. Chanterez-vous un jour en français dans le but de conquérir le public de France ?
Pour le cas de la France, chanter en français serait très ringard. C’est très mal vu. Pour eux, on vient empiéter sur le territoire de Lara Fabien et de Céline Dion. C’est bien de faire l’Africaine qui sort des troncs d’arbres. C’est plus vendeur, crédible parce que c’est l’Afrique avec ce qu’on veut toujours garder comme l’image de notre continent. Je n’y songe pas. Je souhaite rester cette chanteuse africaine qui à la tête sur les épaules.
Sur la pochette de Dube L’am, il est précisé que les titres ne sont pas de vous ?
Effectivement j’ai travaillé avec des artistes comme Richard Bona, Coco Mbassi et Serges Ngando qui ont composé des titres pour moi. Je l’assume complètement. C’est moi qui suis allée vers eux leur demander leur contribution. Je précise tout de même que seul trois titres sur les 14 ont été composés par eux. J’en aurais même eu besoin de plus. Le but pour moi n’est pas de chanter des chansons que j’ai composées, mais c’est de chanter de belles chansons. Peu importe le compositeur.
Vous semblez avoir opté pour le duo.
C’est marrant puisque pour mon premier album, «Mispa», on me l’avait reproché. Je me rattrape avec l’album Dube L’am. C’est une façon de dire que je ne suis pas fermée à ma relation, à ma carrière ou à mon oeuvre musicale. Je m’ouvre aux autres afin de proposer des choses différentes. C’est ma façon à moi de grandir. Il y’a plusieurs forces qui arrivent, se mettent ensemble pour proposer chacune ce qu’il a d’exceptionnel. C’est une façon de se réinventer
A quand un album ou l’on n’aura que des chansons de vous ?
Je ne sais si je dois nécessairement m’établir comme une chanteuse qui chante seulement ses propres chansons. Comme je l’ai dis plus haut, les plus grands artistes, Michael Jackson, Céline Dion … chantent pour la plupart des chansons qui ne sont pas écrites par eux. J’ai l’impression qu’en Afrique, on a le sentiment que c’est réducteur que de chanter une chanson qui n’est pas sa propre composition. Je peux être meilleure chanteuse ou une meilleure interprète, et ne pas être une superbe compositrice ou auteur. Il faut vraiment établir les choses dans ce sens là. Pour dire que, je suis au service de la musique et non à la musique de me servir. Je me soucis donc de ce que la musique attend de moi. Je pense qu’elle attend de moi que je fasse de belles réalisations. Peu importe d’où qu’elles viennent, ou que ce soit d’un mec d’un quartier que personne en connait. C’est cela ma logique.
Qu’est-ce qui fait la particularité de votre nouvel opus ?
D’abord, les duos. Avoir Jacob Devarieux et Richard Bona réunis dans un seul album, ce n’est pas n’importe quoi, et ce n’est pas tous les jours que cela arrive. J’ai la primeur d’être la première chanteuse camerounaise à faire un duo avec ces deux.
On n’est peut-être au Cameroun. Mais en France, je suis allée voir Richard Bona en concert plus d’une fois. Je peux vous dire que c’est une «méga giga star». Il reçoit des centaines de demandes des gens qui veulent travailler avec lui par jour. Et qu’on veuille banaliser ma collaboration avec lui, je trouve cela juste effarant et aberrant. C’est un monument de la musique. Et que moi pour mon 2ème album, j’ai eu un duo avec Richard Bona, je ne sais pas ce qu’il faudra faire lors du 3ème. Je trouve cela extraordinaire.
Vous avez choisi de vous auto produire !
J’en ai eu envi. J’ai une vision de ma carrière. Et j’ai envi d’essayer de me donner plus de moyens selon ma vision, ma carrière et puis faire un bilan au bout de deux ou trois ans. Je voudrais savoir si j’ai grandi. Si j’ai pu bouger les lignes, et l’envi de me contrôler qui m’a encouragée à aller dans l’autoproduction. Quand vous êtes produit, vous suivez le calendrier de votre producteur. C’est une nouvelle expérience. Je veux bien voir jusqu’où elle va me mener. J’ai le temps d’aller au bout d’un certain nombre de choses. Et si ça se peut, je pourrais me reproduire ou produire d’autres artistes. Je ne sais pas de quoi demain sera fait.
Vous ne vous éloignez pas du style que vous ont inculqué vos mentors. De ce fait quel hommage rendez-vous à Jeannot Hens dans ce nouvel album ?
Justement l’hommage que je rends à Jeannot, c’est de ne pas m’éloigner des colorations musicales qu’il m’a inculquées. J’aurais pu me tourner vers du jazz, du funk ou autre. Ce qui fait qu’aujourd’hui, mon identité musicale, je la dois à Jeannot Hens. Il n’y a pas meilleur hommage que celui de rester fidèle à ce que j’ai eu de lui. Dans le premier album «Mispa», j’ai repris pas mal de ses chansons. Même s’il est vrai que c’est moi qui les avais chantées à l’époque. Mais ce sont qu’en même ses oeuvres. Et qui sait, dans mon prochain album, je ferai peut-être encore autre chose de lui pour pérenniser son oeuvre.
Il y a deux ans, vous nous annonciez votre mariage. Et depuis, plus rien !
En fait ce sont les gens qui voulaient me marier absolument. Je ne sais d’ailleurs pas pourquoi. Parce qu’il n’a jamais été question de mariage. Pour ceux qui y croient, qu’ils continuent d’attendre. Moi je crois avoir trouvé mon équilibre dans mon couple. Et cela me convient. A la maison, je suis une mère et une femme au foyer. Sur scène, j’arbore un costume que je suis pressée d’enlever aussitôt que le spectacle est fini. Je fais toujours la différence entre mes deux vies.
Un mot à vos fans…
Je leur souhaite de me soutenir et qu’ils adoptent ce nouvel opus comme ce fut le cas pour « Mispa », mon premier album. Et je leur promets d’être au pays en février 2012 pour des spectacles. Je promets aussi un « Mboa tour » à tous mes fans.