Et revoici Léonora Miano



Roman. « Ces âmes chagrines », le nouveau livre de la Camerounaise, à travers l’histoire d’une famille déchirée, invite les jeunes Africains à croire en leur continent.


 
Ce livre, on l’aime tout de suite. Cette manière que Léonora Miano a de raconter les gens, leurs desseins, leurs blessures, leurs secrets… Cette manière que Léonora Miano a de scruter son Afrique et son Europe, continents et cultures d’appartenance. 
Et dont « Ces âmes chagrines » rappele les liens à travers une histoire comme seule la jeune écrivaine sait en imaginer.
 
Antoine Kingue, c’est un jeune homme franchement pas sympathique qui vit en Europe et y est né. Avec, pas loin, sa mère et un demi-frère. On ne peut pas dire qu’il les aime. Jeune, sa mère, Thamar, a refait sa vie et éloigné Antoine devenu encombrant. Le renvoyant même, à l’occasion, au pays, le Mboasu, aux bons soins de Modi, la grand-mère du petit. Thamar avait déjà eu deux enfants. A qui Antoine ne pardonne pas d’avoir eu ce que lui n’aura jamais eu. « Ils avaient toujours eu quelqu’un à qui parler. Quelqu’un pour les défendre. Quelqu’un pour sécher leurs larmes, éloigner leurs frayeurs enfantines… Quelqu’un  pour les ancrer dans une terre, leur donnant ainsi ces ailes qui s’accrochent dans la tête, qui permettent de s’élever. Quelqu’un pour leur dire d’où ils venaient, où ils pouvaient espérer aller ». 
 
Voilà ce qui a manqué à Snow, l’autre nom d’Antoine, et fait de lui cet être si froidement superficiel, haineux et rancunier qui ne conçoit alors la famille que par le prisme de la vengeance. Tape à l’œil, métrosexuel et rêveur, Antoine ira jusqu’à prélever la moitié du salaire de son frère obligé de travailler en France avec ses papiers ! Ça ne durera pas puisqu’un jour, Thamar et Maxime rentrent au pays. Antoine, le « muna mukala », le petit Blanc de l’époque, ne sait plus quoi faire pour donner un nouveau sens à sa vie. L’histoire, comme il en existe dans bien des familles où personne ne sait toujours d’où viennent ces rancœurs viscérales et ataviques, est riche de plus d’un intérêt. Et révèle assurément le talent de Léonora Miano. 
 
Au-delà de ce qui déchire les Kingue, « Ces âmes chagrines » s’adresserait bien à la jeunesse africaine en particulier. C’est un cliché de la vie des Africains de France notamment et de leur relation au continent souche. Les thématiques qu’embrassent de plus en plus les noms de la littérature africaine de la diaspora, tels Mabanckou, Diome ou Beyala, qui chroniquent un Occident vu comme l’eldorado auquel on s’accroche à tous les prix, comme si « le Continent était une vaste benne à ordures, un immense dépotoir, un lieu créé pour la consomption des âmes damnées, le tombeau de l’humanité ». C’est pourtant là-bas que retourne Maxime qui fait remarquer que « ces pays qu’on disait instables n’avaient que quelques décennies de vie. Le Nord lui-même n’était en paix que depuis soixante ans, après des siècles de carnage absolu, personne ne prenait la peine de le relever ». Et la vie sur le continent, à voir comme Modi se bat pour élever ses petits-enfants, n’est « pas clinquante, mais pas humiliante non plus ». 
 
Comme écrit avec la naïveté de l’enfance, le sixième roman du prix Goncourt des lycéens 2006 met au grand jour les questionnements et les rêves de la jeune fille que Léoonora Miano a été, en quête permanente de vérité et de restitution des passés. Il est truffé de nombreux souvenirs livrés avec générosité et tendresse à travers un panorama de la géographie, de l’histoire et de la culture d’un pays qui ressemble étrangement au Cameroun. Avec cette plume juste qui déteste le superflu, taquine l’humour, édulcore la gravité, et offre, au milieu de cette langue française orthodoxe, une tribune au parler du Mboasu. 
 
Stéphane Tchakam
 
Léonora Miano,
« Ces âmes chagrines »,
Paris,
Plon,
août 2011, 281 pages.

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