Au-delà des considérations claniques, Massema Production dont le promoteur n'est autre que sa majesté Ebanda Gustave, chef d'un village proche de la contrée d'origine de Ngoyè Jeca, a vu juste. Parce que «Héritage», l'album musical récemment enfanté par ce dernier, méritait bien d'exister. Pas que l'artiste y a fait des choses extraordinaire ; mais le seul fait d'avoir voulu préserver une certaine originalité dans le fond, donne à l'œuvre et à son concepteur un mérite bien singulier. Pour qui connaît Ngoyè Jeca, on est au moins sûr d'une chose à chacune de ses sorties : côté accommodement, l'homme est un véritable As. Multi-instrumentiste, il a su, une fois de plus, se montrer à la hauteur de sa renommée. De même que dans le choix des thèmes et la conception des textes, l'artiste semble être monté d'un cran par rapport à ses précédentes productions.
La preuve en est donnée dès le premier titre de l'album, «A mala nde» (Elle s'en va). Une chanson qui rappelle, dans l'objet notamment, «Le mari cavaleur» de Flavie Nono. Ngoyè Jeca y raconte l'histoire d'un homme, authentique vadrouilleur, qui passe ses journées dans les bars, apparemment insatisfait au foyer, et qui rechercherait du réconfort à l'extérieur. L'artiste met surtout en exergue les lamentations de son épouse, qui se plaint de son homme à qui elle prétend donner tout son amour et son attention, mais qui trouve tout de même le moyen d'aller voir ailleurs, de la laisser tout le temps seule à la maison, de rentrer saoul chaque jour au petit matin. Et c'est généralement dans cet état d'ivresse, larmoie-t-elle, que son mari voudrait «s'amuser» avec elle. De toutes les façons, une cuisante bastonnade l'attend, en cas de refus d'obtempérer. Cette dernière, en fin de compte, décide de s'en aller. De rompre. Mais le mari ne veut pas d'une séparation…
Dans l'ensemble, il s'agit d'une chanson bien pour l'écoute, avec cet accent aigu donné aux claviers et ces grincements de guitares, qui mettent en valeur l'expérience musicale d'un Ngoyè Jeca que l'on retrouve pratiquement à toutes les étapes de la conception de son album. Un véritable «homme-orchestre», qui en a profité pour faire une fleur à sa maman dans «We mba dikom» (Tu es mon amie). C'est le témoignage d'un enfant resté très tôt orphelin de père, et qui trouve auprès de sa génitrice tout l'apaisement dont il a besoin ; la solution à tout les problèmes qu'il rencontre le long de sa vie. Un makossa très cadencé et chargé d'animations vocales, qui rivalisent presque avec un relèvement de guitares que semble particulièrement affectionner l'artiste.
Dans son «Héritage» Ngoyè Jeca a également voulu prendre fait et cause des problèmes de son temps. Un engagement que l'on retrouve dans «Non à la corruption», à travers des messages manifestement destinés à tous ceux-là qui continue de piller la fortune publique. Dans un air de makossa proche du zouk antillais, Ngoyè Jeca joue en effet au moralisateur. «De la Genèse à l'Apocalypse, la corruption a battu son plein. Quelle décadence morale ! C'est la déchéance ! Malgré les peines prévues par la loi dans le Code pénal, la corruption persiste toujours. C'est l'ennemi commun à combattre. Changeons de mentalité…», clame-t-il à ses compatriotes. A ces derniers, l'artiste recommande par ailleurs d'éviter «la politique de l'autruche», en dénonçant et en sanctionnant leurs frères et sœurs rendus coupables de ce fléau ; de privilégier l'intérêt général plutôt que les égoïsmes. Mais, si le texte de cette chanson est passablement profond, et les orchestrations à la hauteur de l'expérience de l'artiste, on peut néanmoins reprocher à ce dernier son rendu. Ici, dire que Ngoyè Jeca chante serait faire injure à la profession. Il se contente d'un agencement de propos, à la lecture d'un texte, comme l'aurait fait n'importe quel élève du cours élémentaire.
Eugène Dipanda