En lisant les aventures loufoques de « Zembla », « Bleck le rock» ou « Tintin », Junior Alba s’en inspire pour trouver sa voie. Il sera «super méga dessinateur», dit-il. En 2006, il a 16 ans lorsqu’il participe à l’un des premiers albums de bandes dessinées jamais édités au Cameroun. Un ouvrage de 45 pages dont les feuilles en noir sur blanc, retracent le quotidien des personnages créés par 12 bédéistes. Les 12 que compte le collectif « Trait noir ». Junior Alba est le plus jeune de la bande, aux côtés de ses aînés Almo the best, Kangol Ledroïd, Piazo etc. Qu’importe sa jeunesse, « bandes dessinées camerounaises», coédité par le Centre culturel français Blaise Cendrars de Douala, marque les prémices du chemin du petit Alba. Mais le rêve du jeune prodige s’évanouit visiblement à la dissolution du collectif « Trait noir » en 2008. A l’origine, un conflit de leadership et une tension financière, apprend-on d’Almo the best, ex président du collectif.
Longtemps avant l’épopée «Trait noir», Marius Defoussot lance en 1997, le Mouvement des auteurs camerounais de bande dessinée (Mac D), mais l’association ne fait pas long feu et se meurt deux ans plus tard. Des initiatives se sont ainsi multipliées pour faire éclore la bande dessinée au Cameroun. L’intégrer de façon effective dans les habitudes littéraires des Camerounais reste manifestement une sinécure, un parcours périlleux. Pourtant, on ne compte plus les dessinateurs camerounais qui font et qui ont fait la pluie et le beau temps des journaux et autre publications. En 1974, le quotidien gouvernemental « Cameroon tribune » fait éclore la première génération de dessinateurs. Le temps d’une caricature dans « la rubrique du jour » et plus tard « clin d’œil », qui leur est réservée, Kiti, Tita’a, Janvier Nama, Go Away et Rétin deviennent des modèles pour de nombreux jeunes bédéistes. Nyemb Popoli, Jaimes (Jean Aimé Essama de son vrai nom), Ezzat El dine, marquent de leurs empreintes les journaux camerounais.
Lecture
La problématique d’une bande dessinée camerounaise reste pourtant entière. Dans les librairies, il est difficile de trouver une « Bd made in Cameroun ». La bibliothèque du Centre culturel français Blaise Cendrars (Ccf) ne propose à ses adhérents que deux titres de Bd camerounaises. Ces derniers, édités par le Ccf, côtoient les centaines d’ouvrages français du rayon Bd du Ccf. Par ailleurs, le dernier emprunt de «Bandes dessinées camerounaises» date du 29 octobre 2009. D’après la fiche d’emprunt, il a été lu trois fois durant cette année. Désintérêt des lecteurs ? Ferdinand Tchoutouo, bibliothécaire au Ccf de Douala, soutient pourtant que les Bd éditées par le Ccf (« Almo, du crayon plein la gomme », 398, parues aux éditions Ccf en 2007 et du collectif « Trait noir, ndlr») et envoyés aux nombreux partenaires de la structure ont eu un « très bon retour ».
Almo The Best, désormais auteur (ayant travaillé en solo, ndlr) du premier album de bande dessinée en couleur, publié au Cameroun, trouve en effet que la demande est grande. « La plupart de gens me disent que la Bd n’intéresse personne. Mais à chaque fois que mes ouvrages sont publiés, je constate que je suis extrêmement lu. Je pense que les gens adorent la bande dessinée, il faut simplement la mettre à la disposition du plus grand nombre », confiait-il à Mutations le mois dernier. De nombreux bédéiste pensent visiblement comme lui. De nouvelles associations ont ainsi vu le jour.
Subventions
Depuis 2007, le « Collectif 3A » qui regroupe des bédéistes et scénaristes, se fixe pour objectif, la promotion des arts plastiques, graphique et visuels au Cameroun. Dans cette visée, certains de ses membres alimentent depuis janvier 2010, les pages du magazine bihebdomadaire «Situations», édité par la South Media Corporation. Cette association compte 18 membres, renseigne Julien Foujeu, secrétaire général du collectif. Et parmi ces derniers, quelques uns participent à la publication, depuis mars 2010, d’un bimestriel intitulé «Bitchakala du Mboa». L’acte 3 de ce magazine a d’ailleurs paru en juillet dernier. La vision d’une bande dessinée camerounaise forte et émergente passe assurément par de telles initiatives. Toutefois, l’image d’une Bd camerounaise qui naît puis s’évanouit serait en partie due au désistement des sponsors et autres appuis institutionnels. La bande dessinée «Fluide Thermal» sortie en 2006, a par exemple connu une courte durée de vie du fait de ce facteur, aux dires de son auteur, Almo The best.
Autre facteur qui ferait défaut à l’impulsion de la Bd au Cameroun serait le manque de maisons d’éditions consacrées à ce genre littéraire. La Maison catholique de la communication sociale (Macacos) vient de faire sa grande première en éditant l’album de Bd d’Almo, intitulé « Zam zam le tiers-mondiste » (la première édition de cet ouvrage ayant été réalisé en Algérie par Lazhari Labter, ndlr). Les éditions Centre culturel français qui œuvraient dans la promotion de la Bd au Cameroun ont été cessé d’exister en 2007. « Les subventions on été suspendues du fait de la réorientation de la politique de la structure », confie M. Tchoutoua. L’avenir de la Bd camerounaise passe manifestement par le Festival de la caricature de Yaoundé (Fescary). Depuis 1999, cette manifestation, initiée par l’association Irondel, regroupe annuellement des professionnels du crayon. Des dessinateurs étrangers sont régulièrement invités à partager leur riche expérience.
Monique Ngo Mayag