Livre du jour : Voyage au cœur des traditions bangangté

Dans un style romancé, Thomas Tchatchoua, l’ancien maire, raconte l’histoire de sa ville.

 

 En cette ère de mondialisation où on assiste à la destruction de l’équipement axiologique ancestral, l’ouvrage de Thomas Tchatchoua conserve son actualité, même si on peut, a priori, s’interroger sur la pertinence de la thématique dans cette Afrique gouvernée par des républiques. Doit-on encore évoquer des termes tels que « rois » et « royaumes » dans le Cameroun d’aujourd’hui ? Le présent ouvrage garde toute son importance si on s’en tient au contexte historique. L’Afrique a été arbitrairement balkanisée en républiques en 1885 à la Conférence de Berlin. La colonisation « a compromis de manière irréversible le processus endogène de développement du continent, privant du coup l’humanité d’autres expériences, d’autres modèles de civilisation », écrit-il. On peut, certes, reprocher le romantisme ou la nostalgie de Thomas Tchatchoua, mais son ouvrage est une étude historique d’un royaume africain, et, particulièrement, des ressortissants de Bangangté, petite ville de région située sur le plateau bamiléké, à l’ouest du Cameroun.

Dans un style vif et assez romancé, Thomas Tchatchoua nous permet de revisiter les méandres du pouvoir traditionnel dans une Afrique pourtant partie pour les républiques, voici bientôt une cinquantaine d’années. A travers sa plume, il nous promène dans les arcanes compliquées de nos traditions et coutumes. C’est sans doute pour lutter contre la dilution de notre identité culturelle dans l’universel qu’il écrit que «l’Afrique des royaumes existe toujours, en marge des républiques nouvelles avec lesquelles, heureusement, elle a fait jusqu’ici assez bon ménage ». Pour lui, l’appellation «village» est une injurieuse impropriété, car nos Etats d’avant l’époque coloniale sont des « royaumes ». Il parcourt le royaume des Bagangté, qui est un exemple assez vivant de ces anciennes organisations. Dans la nouvelle classification des chefferies traditionnelles du Cameroun, Bangangté est une chefferie de premier degré. Il s’agit de remonter sur 400 ans d’une civilisation de tradition orale, dont les vestiges ont été saccagés par les religions « intolérantes » et la colonisation « barbare ».

Deux événements majeurs permettent de relater l’histoire de Bangangté : la naissance, œuvre de Ngami, et le retour aux sources, celle du roi Séidou, qui règne actuellement sur ce royaume. Le peuple bangangté, reconnu pour « faire du bruit dans le vide », être « noble » et jaloux de son autonomie, descend du roi de Banka. La naissance de ce royaume remonte au XVIIe siècle et fut l’œuvre d’un prince Banka nommé Ngami, Ngameni dans la langue Banka. Il quitta le royaume à sa naissance pour une chasse lointaine, d’où les batailles acharnées avec le peuple bamoun.

L’ouvrage qui comporte quatorze chapitres est enrichi de photos impressionnantes. Il nous livre l’articulation des consonnes, la géographie sommaire du royaume de Bangangté, les valeurs cardinales auxquelles le Bangangté est attaché, le sens de la vie et de la mort, de redoutables séances d’ordalie (pp.97-98) lorsqu’une femme est présumée responsable de la mort de son mari. Il insiste également sur la médecine traditionnelle, le respect de la politesse, la mort du roi Njike François et ses  rapports tumultueux avec son épouse Claude Njike-Bergeret, dit la Reine Blanche. Il revient aussi sur la généalogie des rois bangangté, l’univers du palais et son organisation sacrée, les conquérants de la troisième vague, les règnes de l’après indépendance et les vifs accrochages entre Claude Njike-Bergeret et l’actuel locataire du royaume Bangangté, Sa Majesté Nji Monluh Séidou Pokam.
Ce premier ouvrage de Thomas Tchatchoua est un véritable legs pour chaque Bangangté. Enseignant et homme politique, il aura servi comme maire de sa ville natale de 1996 à 2002.

Thomas Tchatchoua
Les Bangangté de l’Ouest-Cameroun : histoire et ethnologie d’un royaume africain
L’Harmattan, 2009, 416 p
Prix : 15 000 Fcfa





Jean-Philippe Nguemeta


mboasawa

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