Gaston Paul Effa : « J’invite les éditeurs locaux à avoir foi en la littérature »

Ecrivain camerounais installé en France, il prescrit un retour vers la tradition, parle des problèmes liés au contrat d’édition et annonce la création prochaine d’une bibliothèque à Yaoundé.

 

Vous donnez une série de conférences dans le réseau des Centres culturels français du Cameroun. Comment ce projet s’est-il mis en place ?
C’est Nadine Monchau, responsable du bureau des livres au Centre culturel français qui, pour la 2ème fois en dix ans, a pris l’initiative de m’inviter pour venir rencontrer la terre natale et boire à la grande source.

Vos conférences ont pour thème «Pour en finir avec la tradition ». Faut-il en finir avec la tradition ?
Le plus important, ce n’est pas la réponse à une question, mais la réflexion autour de la question. Et ce que je viens faire, c’est accompagner une réflexion. Nous vivons dans un monde de murs, un monde malade, avec des êtres qui sont malades d’eux-mêmes et malades de ce qu’ils font. Et il me semble que les traditions sont parfois à l’origine de ces maux/mots qui nous rythment la vie et qui font que nous ne pouvons plus retrouver le centre de nous-mêmes. Donc, l’objectif de ces échanges est de faire comprendre à nos concitoyens que nous vivons dans un contexte éparpillé et qu’il est urgent de rassembler ce qui est épars. C’est-à-dire retrouver le centre de l’être. Le centre de l’être, pour être concret, c’est se mettre entre parenthèses pour être au service des autres plutôt que de se servir. Le monde est malade. C’est l’argent, c’est l’oubli de l’autre qui l’emporte ; et l’oubli de l’autre, c’est aussi l’oubli de soi. L’égo est de plus en plus enflé et je me dis que ce monde qui s’oublie, qui oublie ce qu’est la solidarité, la parole donnée, la fraternité, la reconnaissance et même la célébration de l’autre, est un monde mal parti.

Comment définissez-vous la tradition ?
Il ne faut pas confondre la tradition avec les traditions qui, elles, sont des us et coutumes, les modes d’habitation du monde. La tradition c’est ce centre dont je parle, c’est le noyau qui est perdu, c’est cette lumière qui est au centre de tous les êtres et que l’égo nous empêche de  rencontrer. Au fond, en chaque être, il y a l’humanité qui fait justement que nous soyons, chacun, porteur de valeurs universelles. Nous avons oublié cela.

Le 8 juin, vous avez rencontré des écrivains au Centre culturel Francis Bebey de Yaoundé. Quel regard portez-vous sur la littérature camerounaise contemporaine ?
La littérature camerounaise contemporaine ! C’est déjà très bien que vous le disiez, parce que, pendant très longtemps, on parlait de la littérature africaine. Cette littérature se porte plutôt bien. Vous avez des ténors comme Calixthe Beyala, Eugène Ebodé, Patrice Nganang, etc. Mais elle a besoin d’être un peu plus encouragée. Et là, j’invite les éditeurs locaux à mieux s’organiser, à avoir plus de foi en la littérature, à croire que publier un auteur c’est prendre des risques. Ce qui me peine encore, pour l’instant, c’est que nos éditeurs pensent beaucoup plus à l’aspect commercial. Je les comprends, comment faire autrement ? Mais il faudrait mettre en place une structure qui permette à l’auteur qui a transpiré à 4h du matin pour faire une phrase, pour s’accoucher dans les mots, d’être publié sans avoir à payer, sinon autant aller voir un imprimeur pour ça. Quand je vois toutes ces Hummers qui se promènent dans la ville, je me dis qu’en vendant une seule, on pourrait sauver toutes les maisons d’édition du Cameroun.

Vous qui êtes un auteur reconnu, que pouvez-vous faire pour justement sauver ces maisons d’édition ?
Je répondrais en trois temps. Il y a très peu d’écrivains dans ce monde qui vivent de leur plume. On n’écrit pas pour en vivre, on écrit pour s’élever. C’est d’un. La 2ème chose, j’ai essayé de rencontrer des éditeurs camerounais et je leur ai proposé que nous qui sommes des auteurs de la diaspora, qui vivons en exil, nous publions quelques textes chez eux pour renflouer un peu leurs caisses. Mais en même temps, je ne peux le faire que si nous avons la certitude que ces éditeurs sont des gens qui savent ce qu’est la littérature, qui croient en la chose littéraire et qui ne vont pas se contenter d’être des commerciaux. La troisième chose : aujourd’hui, nous voulons organiser ce qui peut accompagner le travail des maisons d’édition, c’est-à-dire le travail des écrivains. Ce travail c’est de permettre aux gens de lire. Nous autres, avec le peu que nous avons, nous sommes en train de construire une bibliothèque dans un quartier de Yaoundé, Nkolndongo, qui permettra à chaque auteur de pouvoir d’abord se nourrir. Parce qu’on ne peut pas écrire la première phrase, le premier mot, si on n’a pas beaucoup lu.

Ou en êtes-vous avec ce projet ?
Ce projet a beaucoup de mal à se mettre en place. J’ai un restaurant humanitaire en Lorraine où j’essaye de dégager un bénéfice pour construire cette bibliothèque. Nous souffrons d’une baisse de fréquentation de ce restaurant qui, pourtant, est vraiment exquis. Je reviendrais au Cameroun en octobre avec quelques gens qui pensent encore aux autres et qui m’ont proposé de venir faire l’état des lieux pour dégager assez de fonds pour accompagner ce projet. C’est dommage puisqu’il s’agit d’Européens, encore une fois. J’aimerais bien que, pour une fois, un Camerounais, tiens ! Un grand footballeur, m’appelle pour me dire : « je vais accompagner ce que vous êtes en train de faire».
Peut-être entendront-ils votre appel…
Qu’il en soit ainsi !

Vous êtes enseignant de philosophie, écrivain, restaurateur, animateur de plusieurs associations… Comment conciliez-vous toutes ces casquettes ?
Je pense que ces activités sont des cordes qui rythment un même arc. L’équilibre que vous créez dans une phrase est le même que dans un mets. Si vous exagérez un ingrédient, vous tuez le plat et vous risquez de tuer celui qui va le manger. Il en est de même pour un livre. Lorsque vous écrivez une phrase, vous faites attention aux moindres mots que vous posez sur la page blanche, parce que celui qui va manger ces mots peut en être malade si vous n’en avez pas pris assez soin, et d’ailleurs, vous-même, par ricochet. J’ai la grâce d’être un petit dormeur. Je dors 4h par nuit, ce qui me donne beaucoup de temps pour faire ce que j’ai à faire. Je suis en très bonne santé, pourvu que ça dure.

Quelle est la part d’histoire personnelle dans vos livres ?
Même dans la fiction, nous sommes toujours dans ce qu’Einstein appelait « comment je vois le monde ». L’histoire personnelle, c’est la façon dont je vis les choses. Si vous tournez les pages d’un livre, chaque phrase doit vous parler de vous, vous parler de l’autre, vous parler de l’humain. On écrit toujours sur la première page de couverture « roman », mais le roman n’est pas autre chose que la vie elle-même, la vraie vie.

Vous avez été élevé par des religieuses, vous avez même failli devenir prêtre. Quelle est la place de Dieu dans vos écrits ?
Je suis quelqu’un qui s’est nourri de tout ce qui est humain. Je ne voudrais pas que quoi que ce soit d’humain me reste étranger. Vous pouvez l’appelez Allah, Dieu, Yahvé ou le Grand architecte de l’univers, je l’appelle simplement la grande lumière à laquelle chacun aspire, c’est-à-dire un personnage de clarté. Nous aspirons à la clarté par rapport à nous-mêmes et par rapport aux autres. J’espère que nous allons un jour basculer vers cette lumière qui est la reconnaissance, parce que nous ne sommes que de petits humains, locataire d’un lopin de terre qui, au fond, n’est rien qu’une petite poussière dans l’univers, et on gagnerait tellement à revivre ce partage, cette fraternité.  

Pour vous, l’écriture c’est quoi ?

L’écriture c’est la façon de creuser un sillon où on met une graine qui va germer. Dans l’écriture, celui qui sème ne récolte pas toujours. On n’écrit pas pour soi, on écrit pour que  l’humanité grandisse encore un peu plus.

 

Stéphanie Dongmo

 


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