Le journalisme offre depuis quelques années un champ intéressant pour les techniques de narration de faits vécus. Les "faits diversiers", profitant de la brèche, n'ont certes pas changé de fusil d'épaule à l'occasion, mais au moins, ils ont modifié considérablement leur style ; surtout que dans le même temps les technologies de l'information comme la miniaturisation à outrance mettaient à rude épreuve les tenanats d'une certaine école où la belle plume dans la relation des faits de société croyait ne point être bougée, encore moins poussée dans ses retranchements.
Si les journalistes ont donc dû opérer un virage par rapport au Story Telling pour pouvoir s'ajuster à cette nouvelle donne, il n'en va pas de même pour les écrivains. Surtout sous nos latitudes où, comme aime à le répéter l'écrivain et critique Pabé Mongo, ils se font damer le pion à chaque fois par les "historiens de l'instant". Une critique que le nouvel ouvrage de Marcel Kemadjou Njanké va certainement contribuer à battre en brèche. Lui qui après la poésie et la nouvelle est revenu récemment en librairie avec un "racontage". Un genre qui a longtemps été de mise dans les cercles littéraires occidentaux avant de passer la main au siècle dernier sous les coups de boutoir du romantisme et du surréalisme.
Dans cette livraison qui a pour titre "Dieu n'a pas besoin de ce mensonge" parue chez Ifrikiya, il promène son regard dans les quartiers malfamés de la capitale économique où il réside après y avoir grandi. Le lecteur découvre non sans une pointe de joie la vie des citadins qui tournent à leur avantage une conjoncture qui ne leur est pas toujours favorable. Car comment croire que dans ces espaces aux confins de la vie décente il puisse subsister des amoureux fous de la belle parole comme ce Christophe, l'un des personnages du racontage éponyme de l'ouvrage ? Oui, on peut vivre en plein Makéa, à côté du marché central et faire la cour à une dame de bonne famille retenue dans une barrière par un mari riche qui la délaisse, au moyen des vers. Avec succès tant les vers parlent au cœur plus que toute autre chose.
Le livre continue ainsi dans cette sorte de témoignage du temps présent, ressortant avec une certaine maestria les couleurs, les images et les instantanés de ceux-là qui sont souvent considérés comme vivants à la périphérie de la vraie vie. Au passage, comment ne pas saluer cette polyphonie progressive qui sonne comme une marque de fabrique que l'auteur veut imposer au lecteur et qui consiste à mettre en parallèle comme dans un montage cinématographique des narrateurs différents, mais qui interviennent chacun à un niveau bien précis de l'histoire. Ce qui n'est pas sans rappeler "Johnny chien méchant" du Congolais Emmanuel Dongala qui a été depuis porté au cinéma. Une technique narrative qui donne du relief à l'écriture de Marcel Kemadjou qui, avec ce nouveau recueil, s'affirme davantage comme un auteur qui compte et qui comptera dans les années à venir.
Ce qui n'est pas un moindre mérite pour celui que les poètes présentaient il n'y a pas longtemps comme un de leurs porte-étendards. Avec ces " racontage ", il se positionne en tout cas comme faisant partie de ceux qui sont engagés, notamment par l'option de la relation de la vie quotidienne dans toute sa vérité, à travers la bouche de tous ces citadins de nos quartiers qui sont sevrés de parole. En leur rendant la parole, il peint du même coup la gravité et la profondeur de leur vie, sublimant par le fait même la dite réalité. Car comme il l'avoue, "le racontage ne dit pas, il exprime ; il ne narre pas, il s'épanche ; il ne conte pas, il chante ; il n'écrit pas, il témoigne et vit". A tel point qu'il peut être confondu au bavardage. De cela, il n'en n'a cure, se contentant de mettre en scène un enchevêtrement savamment monté d'actions, de réactions et d'obstacles conduisant au dénouement final d'une intrigue qui somme toute, n'en n'est pas une au sens de la narration littéraire.
Parfait Tabapsi
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