
En fait, rien de bien surprenant. Depuis un moment en effet, au Cameroun, on est habitué à voir les femmes artistes montrer leurs charmes au niveau de la jaquette de leur album. Une tendance qui a été plus ou moins popularisée par K-Tino, qu'une lignée de jeunes chanteuses de bikutsi a aussitôt suivi. D'ailleurs, l'affiche du dernier album de K-Tino, "7e ciel", en offre une autre illustration : les fesses moulées dans un pantalon jeans et mises particulièrement en évidence. Si cette fois-ci, elle ne laisse pas apercevoir ses cuisses et ses seins comme elle l'a fait, en 2003 pour l'album "Ne pousse pas… le bouchon loin", elle s'affiche tout de même dans une posture assez suggestive.
A l'époque de l'album "Ne pousse pas… le bouchon loin", Thiéry Gervais Gango décrivait ainsi la pochette : "Sur la photo, ses rastas apparaissent comme s'ils étaient ébouriffés. Sa bouche est grand ouverte comme si elle poussait un cri de douleur. Tout son visage est tendu. Sa poitrine voluptueuse et généreuse donne l'impression de vouloir exploser. Le corps est cambré. A cheval dans une instabilité manifeste. La main semble occupée par quelque chose à l'arrière. Le postérieur apparaît nu sur le côté. Le pantalon (ou la jupe, c'est selon) est rabattu vers le bas"
Pour employer le mot d'Hubert Mono Ndjana, l'artiste a choisi là, au lieu de l'expression faciale, d'attirer son consommateur à travers l'expression "fessiale". Le lieu dit "carrefour de la joie" à Yaoundé offre en fait une belle illustration de cette tendance pour les chanteuses de bikutsi particulièrement de vouloir utiliser d'autres atouts que le simple côté artistique pour vendre leur produit. Ce carrefour situé au quartier Mvog Ada brille en effet par le nombre de bars qui y diffusent à longueur de journée les chansons de bikutsi les plus en vue de l'heure.
Cercle vicieux
Et pendant que, sirotant sa bière, on peut se balancer au son de la voix rocailleuse de Lady Ponce qui parle de ventre et de bas-ventre, on peut également admirer la plastique de Suzy l'intouchable, dont l'affiche du nouvel album, "Grand t'écart", tapisse les murs des commerces du coin. La chanteuse est débout, le pied posé sur une chaise, ce qui a pour effet de relever la robe rouge qu'elle arbore et de laisser voir ses cuisses. Une image qui ressemble presque en tous points à celle que livre l'affiche de l'album de Biberon Cerveau, autre chanteuse de bikutsi, qui pose de façon tout aussi osée pour son dernier produit sorti sur le marché du disque.
"On peut évoquer la tradition classique du marketing qui utilise les photos de jolies personnes de sexe féminin pour vendre des produits de toute sorte. Cette association joue dans le subconscient du client. Le désir inconscient qu'il a de la belle créature le pousse à acquérir l'objet présenté. On peut alors parler d'une satisfaction symbolique de son désir sexuel. Quand ce sont les femmes qui achètent, c'est pour ressembler esthétiquement au modèle qui accompagne le produit proposé", explique Hubert Mono Ndjana, philosophe, qui a produit il y a quelques années un texte intitulé "Les chansons de Sodome et Gomorrhe".
Le philosophe pense que chez nous, au lieu que les images féminines des jaquettes d'album renvoient à la grâce, elles tendent plutôt vers la lubricité et l'obscène. "La concentration du génie esthétique se fait dans la zone sous-diaphragmatique, au niveau des fesses qui s'expriment sous toutes les formes possibles (…) et tout laisse croire que l'élément essentiel de notre culture c'est l'obscénité", ajoute-t-il.
K-Tino, Cathy l'Etoile, Biberon Cerveau, Suzy l'intouchable et autres Rantamplan ont en commun d'offrir des photos où elles mettent leur corps en valeur, elles ont en commun d'être des femmes, mais elles ont surtout en commun d'exécuter le même rythme musical, le bikutsi, dont l'histoire veut qu'il ait eu quelques connotations sexuelles à un moment. Hubert Mono Ndjana le rappelle : "Il y a une corrélation.
Ça vient de ce que, à l'origine, il s'agissait de chansons de moqueries que les femmes exécutaient en groupe à la pêche ou aux champs, pour railler les petits défauts de l'homme, gourmandise, faiblesse sexuelle… Les travers moraux comme la gourmandise ont été plus ou moins abandonnés et on s'est attaché à l'aspect sexuel." Les artistes, eux, semblent guidés par le goût du public, caractérisé de plus en plus par un certain voyeurisme, aussi bien dans l'art qu'en dehors. "C'est un cercle vicieux", pense Hubert Mono Ndjana, qui explique : "Les artistes savent que le public attend cela. Et le public attend cela parce que les artistes ont pris l'habitude de le leur donner."