Le risque s’en est évidemment accru d’opposer radicalement la diversité et l’universalité en matière de culture. De sorte que si l’on n’y prend garde, la «biologisation» de la culture qui est un excès, pourrait être remplacée par «l’insularisation» rigide de chaque culture. On peut se réjouir aujourd’hui, toutes proportions gardées, que l’écrivain camerounais, Jean-Pierre Fogui ait commis récemment aux Editions l’Harmattan sous le titre : L’universalité de la culture : la preuve par les proverbes, un ouvrage de 339 pages constituant une contribution de taille à la réduction de ce risque d’ «insularisation». L’ouvrage écrit en trois langues, relève avec pertinence l’évolution en série et non en parallèle des cultures humaines.
Il ouvre ainsi la voie à une perception plus adéquate de la spécificité de chaque culture et des rapports entre les cultures. A travers une présentation thématique, alphabétique et herméneutique d’un nombre impressionnant de proverbes, dictons et idiomes de la culture Yemba (plus de 1 500 !). Jean-Pierre Fogui montre avec sa rigueur, comment la quasi-totalité de ces expressions ont chacune leur équivalent dans d’autres cultures à travers la planète. D’où la conclusion philosophico anthropologique qu’il en tire, à savoir que par-delà les intangibles différences géographiques et historiques, les sociétés humaines partagent en réalité un fond culturel commun, lequel les rends à la fois autant différentes que semblables, et les invite, au final, davantage à une coexistence pacifique et mutuellement bénéfique qu’à une confrontation qui ne pourrait être que contre-productive. Pour autant, la portée du livre de Jean-Pierre Fogui ne s’épuise pas dans cette contribution au débat philosophique sur les cultures.
L’ouvrage est également d’un apport indiscutable au triple plan taxonomique, linguistique et historique ; pour plusieurs raisons. D’abord, il dresse un listing riche et très fonctionnel des proverbes de l’Ouest Cameroun et plus spécifiquement de l’aire linguistique Yemba, véritables portes d’entrée de la culture de ce groupe –et donc de sa langue. A cet égard , on peut dire que le premier grand livre des proverbes Yemba vient de paraître. Ensuite, cette œuvre inaugure une nouvelle manière de prononcer, de transcrire et d’apprendre la langue Yemba, non sans les égards dus aux linguistes professionnels dont il salue et encourage au passage, l’effort en cours sur le développement et la vulgarisation de l’alphabet de cette langue qu’il n’a eu de cesse de défendre et d’illustrer. Enfin, L’universalité de la culture : la preuve par les proverbes se relève au fil des pages comme un jalon décisif sur le chemin de la nécessaire entreprise de sauvetage des langues maternelles camerounaises dont le phénomène de la mondialisation contribue malheureusement à aggraver le risque de disparition sous nos yeux, malgré nous, ou, parfois hélas, à cause de nous, c’est-à-dire avec notre complicité, active ou passive.
Dédié au peuple Bafou en général, et à sa jeunesse en particulier, ce maître ouvrage du projet de réappropriation – revalorisation de notre patrimoine culturel, esquissé en 1995 dans Plaidoyer pour notre culture vient, à point nommé, les réveiller de ce sommeil momifiant dans lequel ils sont plongés et leur prescrire du même coup, la mission sacrée de maintenir vivace le flambeau ainsi allumé. Observateur averti, attentif et positivement critique des mouvements qui traversent notre société, Jean-Pierre Fogui vient, une fois de plus, de montrer le bon chemin : celui de la dignité et de la fierté à retrouver, en tournant résolument le dos à l’aliénation –forcenée ou inconsciente– dans laquelle se complaisent nombre d’entre nous. Pour toutes ces raisons –et mille autres à découvrir à la lecture de ce livre multidimensionnel et accessible à tous–, L’universalité de la culture: la preuve par les proverbes, vaut largement le détour pour chacun d’entre nous, si tant est que nous voulons, comme nous devrions, apporter notre contribution personnelle, fût-elle modeste, à la renaissance de notre culture si chère à cet auteur, intellectuel de haut vol, homme politique, et chef traditionnel profondément ancré dans son humus culturel.
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