Espace livres : Peut-on responsabiliser les Africains ?

L'économiste écrivain indique les voies à suivre pour créer les conditions d'un décollage économique du continent noir.




Ceux qui ont l'habitude de se fier au nombre impressionnant de pages pour apprécier la qualité d'un ouvrage pourraient bien ne pas s'intéresser à la dernière production de Daniel Etounga Manguelle. Avec ses 94 pages, dans un format déjà réduit, Vers une société responsable : le cas de l'Afrique, risque fort de passer inaperçu pour les plus tolérants, ou pour quantité négligeable pour les plus exigeants. D'aucuns croiront qu'il s'agit d'une longue dissertation pendant que d'autres penseront à un court essai, avec tout ce que cela peut comporter de péjoratif.

Dans l'un et l'autre cas, ce serait une grosse perte pour cette prose qui, en réalité, vient compléter une trilogie entamée en 1985 avec Cent ans d'aliénation, admirable réflexion sur les causes profondes et historiques du mal africain, et poursuivie en 1990 avec L'Afrique a-t-elle besoin d'un programme d'ajustement culturel ? Dans ce dernier ouvrage, l'auteur est parti de la conviction profonde que "la notion de responsabilité est l'une des valeurs structurantes des sociétés modernes. Elle ne renvoie pas seulement à la solidarité sociale, indispensable entre individus d'un même pays ou à la responsabilité politique des dirigeants auxquels le peuple concède son pouvoir." Il en a déduit que la responsabilité,en partant d'une définition aussi académique qu'opérationnelle, est la capacité à accepter et à subir les conséquences de ses actes et à en répondre. Ce qui est loin d'être la chose la plus partagée en Afrique.

Voilà qui justifie le questionnement central de l'ouvrage : c'est quoi, être responsable ? De quoi les Africains se sentent-ils responsables ? Pourquoi, dans une société organisée, doit-on assumer ses responsabilités ? Pourquoi l'Europe continue d'être un paradis alors que l'Afrique désespère ses enfants ? Et enfin que faut-il faire pour que l'espoir renaisse en Afrique et chez les Africains ?
Tout au long de l'ouvrage et dans français de qualité qu'on lui connaît, Daniel Etounga Manguelle s'appuie sur des réflexions d'Africains de renom pour interroger cette société qui refuse de s'arrimer aux normes de la modernité et de la mondialisation qui ont fait leurs preuves ailleurs. Rien d'étonnant, poursuit l'auteur, que les Africains ne se sentent responsables de rien. Pas même des tragédies de l'histoire comme la traite négrière, la colonisation ou l'avènement des indépendances formelles mais factices débouchant sur ce qu'on a appelé la détérioration des termes de l'échange. Au contraire, ils semblent justifier leur irresponsabilité par ces éléments historiques, refusant toute remise en cause et toute possibilité de concertation sincère pour avancer.

Dysfonctionnements
Or, écrit-il, "une société dans laquelle la responsabilité des actes individuels ou collectifs n'est pas recherchée, établie et assumée est condamnée non seulement à être une jungle où le fort écrase irrémédiablement le faible, mais elle est également condamnée au sous développement". Dans le cas particulier du Cameroun, les exemples ne manquent pas : "du caractère théorique des contrôles techniques des véhicules qui, pour seul objet, que l'obtention d'une attestation signée, en échange du paiement des frais exigées par le préposé ; de l'hécatombe enregistrée sur les routes, notamment les axes Yaoundé-Douala, Douala-Bafoussam et Yaoundé-Bafoussam pour des motifs aussi incroyables que l'abandon la nuit tombée d'un grumier, tous feux éteints en plein milieu de la chaussée par un chauffeur assoiffé, un dépassement hasardeux effectué dans un virage en tête d'épingle, l'absence totale ou la défectuosité du système d'éclairage nocturne"…
Il poursuit : "dans un pays où l'enrichissement illicite et l'abus de biens sociaux ne sont pas pénalisés, tout devient permis". D'autant qu'on y constate l'effondrement moral de la société et la perte des repères, l'affaiblissement de l'Etat et de ses institutions intégrationnistes comme l'éducation, la justice et la santé qui connaissent déjà des dysfonctionnements innombrables, le déficit de démocratie au sein de sociétés sous éduquées, peu tolérantes et peu enclines au dialogue.

La conséquence logique sera toujours l'attrait des pays occidentaux. "Oui, l'Europe reste un paradis non parce qu'elle est plus belle ou plus riche en ressources naturelles, mais parce qu'elle est, par son organisation et sa bonne gouvernance, une terre d'opportunités qui offre plus de chances d'épanouissement à l'individu et le protège mieux face aux multiples incertitudes de la vie quotidienne."
Que reste-t-il à faire ? Sans doute signer le Manifeste de l'Homme Africain que Daniel Etounga Manguelle publie en annexe de son ouvrage et qui invite " à ne plus accepter d'être des objets de l'Histoire. " Il faudrait surtout faire sienne ces réflexions sélectionnées par l'auteur, en particulier celle de la romancière camerounaise Léonora Miano : "La seule façon de se venger, c'est de se reconstruire. Comment faire pour que les gens qui se sont assoupis se tiennent debout si on ne leur donne pas un coup de pied au derrière ?"

Alain B. Batongué


mboasawa

3713 Blog des postes

commentaires