"J'allais sur mes huit ans lorsque Fabien, de deux ans mon aîné, me brisa la mâchoire d'un coup de poing". L'entame du dernier livre de Calixte Beyala, "Le Roman de Pauline" est fracassante. Elle vous scotche et vous plonge dans un univers nouveau. Un univers que Pauline, principale actrice de ce roman, puisque c'ets le sien, décri avec des mots d'adolescent qui ont la force de la franchise innocente qui fait mal sans le vouloir " j'évoluais dans un environnement ou rien n'était grave. Les étés se succédaient aux hivers et Sarkozy rêvait d'anéantir toute opposition en France. Il y'avait tant de fils barbelés autour de notre amour filial qu'à la maison il était aussi dangereux de se dire "je t'aime", que de se jeter du haut d'un immeuble de douze étages". Le décor était planté. Dès la première page. Tout au long des 213 autres pages, Calixte Beyala va se surpasser pour défendre "les adolescents noirs, dont le seul discours à leur sujet c'est 'ils brûlent, cassent des voitures, mais on ne dit jamais réellement quelles sont leurs motivations ? Comment aiment-ils? Quels sont les rapports réels aux parents ?".
En entrant dans l'intimité de ces jeunes là avec le regard et les émotions de Pauline, Calixte Beyala aborde un thème quasi inédit dans la littérature française, celui de l'adolescence et de la jeunesse noire de banlieue. Et elle réussit de fort belle manière cet exercice délicat. Pauline est une adolescente métisse de 14 ans vivant à Patin. Elle ne va pas beaucoup à l'école, car pour elle, "Qu'on y aille où qu'on y aille pas, ça change pas grand-chose. Puis c'est la troisième fois que je fais ma quatrième. J'en ai ma claque". Le génie de l'auteur qui rend ce livre incomparablement vrai c'est qu'elle a utilisé les codes de jeunes. Leurs mots et expressions. Outrée par une remarque de sa prof de français sur son échec scolaire, Pauline rétorque "Mais il n'y a pas de honte à ne pas savoir lire, mademoiselle. On n'a pas besoin de savoir cultiver le shit pour fumer du hasch". Pauline a aussi des rapports conflictuels avec sa blanche de mère. Qui est surtout une femme blessée par la vie, chaque fois déçue dans ses relations avec les hommes. Il y'a aussi ces sentiments que Pauline ne comprend pas chez "son fiancé", Nicolas. Elle voulait garder son hymen pour le mari qui lui dirait je t'aime. Nicolas l'a violé à 12 ans. Son frère Fabien lui a dit que c'était normal, "puisqu'il est plus facile pour un homme de gifler une nana que de lui dire je t'aime".
Dans cet univers difficile et triste la lumière pour pauline viendra de son enseignante, qui va lui donner à lire "le livre de ma mère" d'Albert Cohen. Pauline est dans le rejet total de sa mère au moment où elle rencontre Mlle Mathilde. Elle estime que la mère est la colonne vertébrale de l'être humain, et va essayer de lui donner ce livre où l'exaltation des sentiments maternels est très forte. La lecture de ce livre va lui permettre de commencer à se construire une nouvelle identité, à rêver d'être écrivain, à aller à l'école, même si l'attrait de la rue va rester fort. Elle évolue aussi au niveau linguistique. Elle devient comme le dit sa copine Lou dans le livre "une autre Pauline". Sarkozy y est cité par trois fois, non, quatre fois, furtivement, succinctement, pour ne pas trop effleuré son égo. C'est bien Calixte en finesse. Les banlieusards sont très informé et parlent du discours de Dakar de triste mémoire. La page 25 est un régal. Une sorte de mélange, entre une plume corrosive et accusatrice. Une réhabilitation qui, au fil des pages, est faite de drames, d'échecs, de réussites et de tendresse. Pauline en sort. Malgré tout. Une future intellectuelle de banlieue.
Marion Obam
mboasawa
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