Le journaliste a été extrait de sa cellule au moment où sa famille subit des pressions.
Junior Binyam
La désormais affaire Duke Atangana, le journaliste enlevé dimanche dernier à Yaoundé, a connu un coup d’accélérateur hier mardi, dans la mi-journée. A 15h10 min, devant l’entrée principale de la Division de la sécurité militaire (Semil), une Toyota blanche immatriculée Ce 5636 Y a pris place dans la cour intérieure de ce service. A bord, sur la banquette arrière, on reconnaissait Duke Atangana. Le journaliste a esquissé un sourire à la vue de ses deux confrères présents sur les lieux depuis près de trois heures. A sa gauche, un élément de la Semil, qui faisait office de chef de poste de contrôle quelques minutes plus tôt. Un autre militaire en civil est venu prendre place à sa droite, question peut-être d’éviter toute éventuelle évasion. Devant le regard inquisiteur de ses confrères, Duke Atangana a juste lâché : "Je ne sais pas où on m’amène". La voiture, conduite par l’adjudant chef de gendarmerie Lahdon, est partie vers une direction inconnue. Un officier placé à l’entrée de la porte de la Semil venait de parler d’un ton autoritaire : "allez et revenez vite!".
Quelques minutes après, la sœur cadette de Duke Atangana est sortie du bureau du chef de la division de la Sémil (le lieutenant-colonel Gédéon Youssa) où elle est entendue depuis 13h par le lieutenant Mba. Elle ne sait pas que son frère vient d’être exfiltré des cellules de la Semil où il se trouve depuis dimanche dernier. Elle dit avoir enfin pu parler avec son frère. Pendant cinq minutes. Le temps pour elle de se rendre compte que ce dernier couve une crise de paludisme : "il m’a dit qu’il dort à même le sol, dans une cellule qui a une large ouverture. Il est donc exposé au froid, puisqu’il n’est vêtu que de la culotte et de la chemise qu’il arbore depuis dimanche, au moment de son enlèvement".
Tentacules
La jeune dame a été "cuisinée" pour savoir si son frère avait d’autres soutiens dans son entreprise naissante. L’intérêt des hommes de Gédéon Youssa pour elle découle de ce que le journaliste a affirmé que c’est sa soeur qui lui avait trouvé de l’argent pour lancer son journal, L’Afrique centrale. Elle affirme l’avoir confirmé aux enquêteurs. Ces derniers auraient voulu utiliser sa présence pour infléchir la position du journaliste, accroché à la protection de ses sources, depuis son enlèvement. La flicaille, qui s’est appropriée le téléphone portable du journaliste dont elle exploite le répertoire à sa guise, révèlera d’ailleurs à la sœur du journaliste qu’il est "têtu", "méprisant" et refuse de parler malgré les assurances données qu’il ne lui arrivera rien. Il n’est pas exclu qu’ils se servent de ce répertoire pour engager quelque chasse aux sorcières…
Avant la sortie d’interrogatoire de la sœur cadette du directeur de publication du mensuel L’Afrique Centrale, qui n’était venue que pour donner à manger à son frère , on a assisté à un véritable manège à partir de 14h35. Il a commencé avec l’arrivée à la Semil du lieutenant-colonel Emmanuel Tchinda, commandant du groupement opérationnel de gendarmerie de Yaoundé. Il sera suivi par l’adjudant-chef Lahdon à bord de son Toyota de couleur blanche. Moins de deux minutes après, ce sera au tour du lieutenant-colonel Yvette Yaka, présidente du Tribunal militaire de Yaoundé, de retrouver ses camarades d’armes dans le bureau du chef de division de la Semil. Elle y restera à peine 10 minutes, avant de repartir. L’adjudant-chef Lahdon sortira, quand à lui, de la Sémil avec un exemplaire du journal à problème, qu’il range à l’avant de son véhicule.
Cinq minutes avant l’arrivée de cette équipée, le capitaine Messmer Eloundou, un des éléments ayant participé à l’enlèvement du journaliste dimanche dernier, avait quitté les locaux de la Semil à bord d’une Peugeot 406 bleue. Il reviendra juste au moment où la voiture qui amène Duke vers une destination inconnue se met en mouvement. Dans le même temps, le lieutenant Ngokeng, qui a participé à la traque de Duke Atangana depuis samedi, rôdait dans les parages. Quelques sources militaires, contactées au moment où nous mettions sous presse, laissent croire que Duke Atangana est désormais détenu dans les cellules du Secrétariat d’Etat à la Défense. Joints par téléphone, les lieutenants-colonels Tchinda et Youssa se sont gardés de confirmer ou d’infirmer cette information.
A titre de rappel, Duke Atangana a été enlevé pour avoir publié une série d’articles, dont les uns présentaient le ministre de la Défense, Rémy Zé Meka, sous son meilleur jour, alors que les autres, vilipendaient certains membres du gouvernement et quelques officiers généraux. Depuis son enlèvement, il est interrogé au sujet de ses sources d’information et des moyens de production de la son journal.
ReactionsUnion des journalistes du Cameroun
L’armée séquestre le journaliste Duke Atangana Etotogo
Dimanche, 3 septembre 2006, le journaliste Duke Atangana Etotogo, directeur de publication du journal L’Afrique Centrale, a été enlevé par des éléments de la Sécurité militaire. Il est détenu à la Semil, dans les conditions que nous ignorons, puisqu’il est interdit de contact avec l’extérieur, y compris sa famille. Ce mardi, 5 septembre, sa sœur cadette a été convoquée et entendue dans les mêmes locaux.
Nous avons appris, dès les premiers moments de son interrogatoire, qu’il était demandé à notre confrère, de dire qui lui avait donné les informations contenues dans son journal paru le lundi précédent et qui traitaient de l’affairisme de certains généraux qui contraste avec les projets de reforme du ministre de la Défense.
Quoi qu’il en soit, L’Ujc dénonce cet abus d’un autre âge et les conditions d’interpellation et de détention de M. Duke Atangana Etotogo et exige la libération immédiate et les conditions d’interpellation et de détention de M. Duke Atangana Etotogo et exige la libération immédiate et sans condition du journaliste. L’Ujc rappelle que la Semil, un service de renseignement militaire, n’est pas habilitée à connaître d’éventuels délits de presse, si délit il y a.
Fait à Yaoundé le 5 septembre 2006-09-05
Le président de L’Ujc
Célestin Lingo
Communiqué de presse du Collectif des directeurs de publication camerounais
Le journaliste Duke Atangana Etotogo détenu arbitrairement à la sécurité militaire
Duke Atangana Etotogo, journaliste et directeur de publication du mensuel l’Afrique Centrale a été enlevé le dimanche 03 septembre dernier par des éléments de la sécurité militaire camerounaise dirigés par le lieutenant-colonel Gédéon Youssa, chef de division de cette unité. Notre confrère jusqu’à ces heures est toujours détenu dans les locaux de la Semil. Il est privé de tout contact. Il lui serait reproché d’avoir publié dans la première édition de son magazine du mois d’août dernier des articles jugés diffamatoires à l’encontre de certains militaires de haut rang et du ministre de la Défense Rémy Zé Meka. Ses ravisseurs de la Semil parlent également d’atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat.
Le collectif des directeurs de publication dénonce cette arrestation arbitraire et rappelle à l’intention de la hiérarchie militaire que la Semil n’est ni une unité de police, ni une Cour de justice. Par conséquent le Collectif des directeurs de publication exige la libération immédiate et inconditionnelle du directeur de la publication et invite ses bourreaux à mettre un terme à ces actes barbares.
Nous restons tous solidaires de notre confrère.
Fait à Douala le 05 septembre 2006