
Jules Romuald Nkonlak
Si l'on se refère à l'expérience de Siméon Fotso, directeur du cinéma théâtre Abbia, il y aura une certaine affluence ce soir dans cette salle, qui reste l'unique de la ville de Yaoundé. Dans le quotidien Mutations du 4 août 2006, il déclarait : "Il y a un public pour le cinéma camerounais et africain. Depuis 1990, la rentabilité de ces films que nous avons diffusés est de loin supérieure à celle des films occidentaux, Titanic y compris. Avec La déchirure, on ne savait pas où mettre les gens. Idem avec Les Saignantes. (...) Deux films africains arrivent dans les prochains jours. Et je vous promets que nous allons faire salle comble comme d'habitude."
Un avis partagé par Jean Marie Mollo Olinga, critique de cinéma, qui écrit : "Une certaine opinion a souvent soutenu que les Africains n'aiment pas leur cinéma. Evidemment, c'est un point de vue qui peut être diversement apprécié. Au Cameroun, on peut observer qu'en l'absence d'une politique efficace de financement du cinéma, les quelques rares salles du pays -trois- sont toujours peines à craquer, chaque fois qu'il y a sortie d'une production nationale."
Et peut-être que le gérant de l'Abbia pensait déjà à l'événedment de ce soir. A partir de xxx en effet, les clients de sa salle auront l'occasion de découvrir, en avant-première, la toute dernière production cinématographique locale. Emeraudes, un film d'Isidore Modjo, entièrement tourné au Cameroun, dans la ville de Yaoundé plus précisément, avec des acteurs locaux (Alphonse Béni, xxx), et qui traite d'un sujet bien local : un chef d'entreprise qui est approché par des escrocs(feymen) qui lui offrent une opportunité de gagner beaucoup d'argent, mais qui, en fait, veulent lui extorquer de l'argent.
Le public de Yaoundé pourra se faire une idée et comparer cette autre sortie aux précédentes, La Déchirure, Les Saignantes, Urban Jungle, Path of love, d'autres films camerounais qui ont également été projetés dans les salles de Yaoundé (Abbia) et Douala (Wouri). La demande en films camerounais reste grande, mais le rythme des productions s'est également accéléré.
Si les longs métrages, tournés pour le cinéma sont moins nombreux, parce que plus rares, il y a de plus en plus de films tournés sur supports numériques. Il existe certes, à ce jour, un débat sur le classement de ces productions dans la catégorie des films, mais ils sont là, comme ces films venus du Nigéria, et se trouvent progressivement un public.
Depuis quelques jours, de jeunes gens sillonnent les artères de la ville de Yaoundé et proposent des Cd d'un film récemment produit au Cameroun. Il s'intitule "Dette fatale" et est l'oeuvre d'un groupe de jeunes étudiants camerounais sous la conduite de Hugues Ongoto, le réalisateur. Ce dernier qui, propose son film à 1000 Fcfa, indique qu'il s'agit d'un moyen de lutter contre la piraterie. Et pour le moment, ça se passe plutôt bien, car plusieurs personnes se montrent intéressées.
Le procédé utilisé par Hugues Ongoto est bien récent. Son film n'a pas été fait pour les salles de cinéma qui se sont progressivement rerefiées (une salle à Yaoundé, contre huit il y a quelques années) mais plutôt pour la maison : le cinéma à domicile, dont Ongoto devient ainsi l'un des pioniers au Cameroun, et qui pourrait permettre aux Camerounais de goûter un peu plus régulièrement au travail de leurs réalisateurs.
Beaucoup de ces oeuvres, peut-être parce qu'elles attendent d'être prêtes pour les salles, n'ont pu être regardées que par les personnes qui se sont rendues à la dernière édition du festival Ecrans Noirs, du 29 mai au 6 juin 2006 à Yaoundé. Des films tels que "Ultime résolution" de Désiré Nohotio, "Rêve brisé" d'Axel Patoudem, ou encore "Before de Sunrise" de Fred Amata, y ont été projetés. Et depuis, on n'en a plus vu de traces.
Blaise Nnomo Zanga, secrétaire général de l'Association des cinéastes camerounais (Acc), justifie ce nouveau boom de la production cinématographique locale par l'avènement de la vidéo numérique, mais aussi par les subventions du ministère de la Culture. Dans ce second cas, même si quelques fonds ont été versés dans le cadre du fonds spécial d'affectation, il n'en démeure pas moins que la question du financement reste centrale.
Moyens
Isidore Modjo, pour le film Emeraudes, a avoué s'être départis de quelques millions de Fcfa. Sans plus. On sait que pour Les Saignantes, le budget était de près de 300 millions de Fcfa. "Mais qu'est ce qui coûte cher dans un film ? A mon humble avis ce sont les cachets divers et la post-production. Je travaille sur ce film avec mon équipe depuis un an. Imaginez les coûts de location d'un studio, de montage professionnel pendant 6 mois. Ensuite il y a la communication, car il faut vendre le film.", affirme Isidore Modjo dans une interview au journal Le Messager.
Mais en général, ces productions locales se font avec de faibles moyens financiers. Ce qui a un certain nombre de conséquences sur la qualité du film. Nnomo Zanga parle de médiocrité qualitative et quantitative. Même si on note quelques carences, liées notamment à la qualité des acteurs qui manquent parfois de formation, la qualité des films camerounais s'améliore cependant progressivement. On peut toutefois continuer à se plaindre du manque de variété dans les thèmes abordés.
"Ultime Résolution", le film de Bertrand Désiré Nohotio et de Eloi Bela Ndzana, est l'histoire d'une famille originaire de la province de l'Ouest du Cameroun. Inspiré d'une histoire vécue, cette fiction s'intéresse à la question de la gestion des biens matériels dans certaines familles, et soulève l'éternel conflit des générations. "Dette fatale" évoque aussi plus ou moins cette question de conflit des générations dans une famille musulmane. Quant à "Before the Sunrise", c'est l'histoire d'une querelle de terrain entre deux familles qui se pose en obstacle à l'amour entre deux jeunes gens issus de ces familles.
Pour Mollo Olinga, ces thématiques ne sont pas étrangères à la difficulté de financements, ou plutôt à leur origine : "Les bailleurs de fonds ne se limitent pas à donner de l'argent. Les payeurs étant les conseilleurs, ils orientent aussi les films. Ceux qui les dérangent ayant plus de difficultés à être financés que ceux véhiculant les clichés et la vision qu'ils se sont faits de l'Afrique. On fait donc, malgré soi, des films ayant du mal à s'émanciper de la fatalité scénaristique qu'est l'opposition entre tradition et modernité, ville et campagne, Afrique et Occident", pense-t-il.