Le Cameroun Cède Au Chantage


Le Cameroun Cède Au Chantage De L'union Européenne



Pour sauver certaines filières agricoles dont les produits sont essentiellement destinés au marché européen, le Cameroun se résout à signer les accords de partenariat économique avec l'Europe. Une mesure qui aura de graves conséquences sur l'économie camerounaise.


Finalement, la stratégie européenne visant à discuter séparément avec les pays africains au sujet de l'entrée en vigueur des accords de partenariat économique (Ape) a été payante. A la suite de la Côte d'Ivoire, le Cameroun est engagé dans ce que l'on nomme par pudeur accord d'étape. Paul Biya a en effet déjà engagé son pays à "la signature d'un accord d'étape couvrant notamment l'aspect commerce des marchandises et les questions de développement qui y sont liées, en incorporant l'engagement de traiter les autres sujets au courant de l'année prochaine".

La décision de Paul Biya est certainement motivée par le refus de Bruxelles de renégocier avec l'Organisation mondiale du commerce un moratoire pour le démantèlement des dispositions de l'accord de Cotonou, qui instaurent les préférences commerciales en faveur des produits Acp. "Je puis déjà vous dire que nous ne pouvons pas répondre positivement à votre demande concernant une prorogation de la dérogation OMC en cours (") Tant d'un point de vue politique que juridique, une demande de prorogation est exclue. "

L'Omc estime que ce régime de dérogation, qui permet aux produits agricoles africains d'entrer sur le marché européen en franchise de douanes, est contraire aux règles du commerce international. Un accord de libre échange entre l'Europe et l'Afrique est donc nécessaire pour proroger ce régime. Problème, ce libre échange permettra aux produits européens d'entrer sans droits de douane sur le continent, et de mener une concurrence rude aux petites industries locales. Une situation qui serait désastreuse pour les économiques africaines. D'où le dilemme qui agite les esprits en Afrique, y compris au sein du gouvernement camerounais. De ce fait, en refusant de signer les accords de partenariat économique au 31 décembre 2007, le Cameroun courait le risque de devenir un fournisseur ordinaire du marché européen, et de voir ainsi ses produits agricoles, déjà peu compétitifs, subir les droits de douane, qui limiteraient leur compétitivité sur le marché.

Or, il est avéré que des produits comme la banane, dont le Cameroun vend quelque 150 000 tonnes annuelles sur le marché européen, ne sont commercialisés que parce que les accords Union européenne/Acp (Afrique, Caraïbes, Pacifique) offrent des conditions préférentielles d'accès à la banane camerounaise. Il faut noter, à ce propos, que le Cameroun est un des grands fournisseurs de banane sur le marché européen, grâce aux accords qui fixent un quota d'accès à la banane camerounaise, quand bien même elle coûterait plus cher que la banane dollar sud-américaine. L'enjeu donc de la signature de cet accord d'étape est donc financièrement important. Préserver près de 250 milliards de francs F Cfa que l'exportation de la banane rapporte au Cameroun chaque année, et préserver les milliers d'emplois générés par l'activité fruitière dans le Mungo. En conséquence de quoi, Luc Magloire Mbarga Atangana, d'ordinaire connu comme un chantre du commerce équitable, mais surtout un des acteurs majeurs du secteur bananier (il a représenté la banane camerounaise en Europe pendant longtemps, avant d'être nommé président du conseil d'administration du plus gros producteur de banane au Cameroun), se retrouve à louer les vertus de ces accords que tout le monde conteste : " Il s'agit en premier lieu de préserver les préférences tarifaires asymétriques dont nos produits, essentiellement agricoles, mais aussi industriels à l'exemple de l'aluminium bénéficient à leur entrée sur le marché de l'Union européenne ".

Le Cameroun est donc otage de sa banane, alors qu'il serait plus efficace de la part du ministre du Commerce d'ouvrir de nouveau débouchés à la banane camerounaise et de travailler à la compétitivité du secteur fruitier pour échapper au diktat du client unique qu'est l'Europe. Martin Abéga, le secrétaire exécutif du Gicam qui participé à diverses instances de discussion sur l'entrée en vigueur des Ape, n'est justement pas de l'avis du Mincommerce. Il est de ceux qui pensent que la démarche de la partie camerounaise est risquée : " Sur un plan purement technique, j'observe qu'un éventuel accord de ce type présenterait notamment deux inconvénients majeurs : il pourrait remettre en cause le Tarif Extérieur Commun (TEC), le Code et le Tarif douaniers tout comme les règles d'origine et les mesures relatives à la facilitation des échanges au sein de la Cemac. Le tissu industriel de notre pays serait d'autant plus menacé que sa production serait alors taxée à l'entrée dans les autres pays de la sous-région, compte tenu de ce que le Cameroun ne serait plus fondé à revendiquer l'avantage qui, aujourd'hui, découle de la libre circulation des biens au sein de la Cemac", expliquait-il à notre confrère Repères, la semaine dernière. Sans compter qu'au plan diplomatique, c'est la constance du Cameroun qui serait remise en cause, puisque le pays a été chef de file de la contestation de cette forme d'Ape pendant de longues périodes.

La plupart des experts, hormis ceux qui soutiennent le projet européen de mise à mort de l'embryon industriel africain, reconnaissent que l'entrée en vigueur de cet accord sera néfaste pour les pays concernés, que certains préalables sont indispensables avant l'entrée en vigueur de cet accord. " La libéralisation des échanges entre l'Ue et l'Afrique centrale va entraîner une perte de recettes tarifaires et une hausse du flux d'importations venant concurrencer les producteurs locaux", justifient Jacques Gallezot et David Laborde de l'International Trade and Quantitative Analysis. Il s'agit alors de chiffrer ces impacts et de définir une stratégie globale de libéralisation qui permet de les réduire en proposant une liste d'exclusion et un calendrier de démantèlement tarifaire. (") Cette approche permet de conduire une sélection des produits à exclure et de proposer une formule de démantèlement progressive en adéquation avec les impacts spécifiques de l'Ape. Elle permet aussi de préciser que les impacts commerciaux consécutifs à l'Ape conduiraient à une augmentation de 24% des importations en provenance de l'Ue et entraîneraient une perte de 62% des recettes fiscales de porte et de 20% des recettes fiscales totales ".

A titre d'exemple, un groupe d'experts camerounais a identifié quelque 900 produits camerounais dont la fabrication pourrait être directement affectée, voire arrêtée par l'entrée en vigueur des accords de partenariat économique tels que proposés par l'Union européenne. En termes fiscaux, ces produits représentent environ 200 milliards de francs Cfa que le Cameroun perdra avec la signature des Ape. D'où la nécessité, évoquée par les pays de la région, d'établir une liste des produits qui seraient exclus du régime des Ape. Et de négocier le temps qu'il faut pour aboutir à un accord qui ne lèse personne. Manifestement, ce n'est pas le souci de l'Europe qui use du chantage pour obtenir séparément les signatures des Etats. Et il s'agit là de la même Europe, qui dit vouloir promouvoir l'intégration régionale. Là où ils clament leur intention de promouvoir l'intégration régionale.

Tandis que les pays européens exercent ce chantage sur leurs ex-colonies pour leur arracher cet accord, les négociations à l'Omc sont toujours dans l'impasse. Et jusqu'ici, personne n'a songé à obliger les pays riches, qui violent allègrement les règles de l'Omc, à se mettre au pas.

François Bambou
La Nouvelle Expression


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