Débat

La constitution de 1996 portait en elle-même les germes de sa réforme

En 2003, c’est-à-dire, alors que la révision constitutionnelle de 1996 n’avait que sept ans, et que les nouvelles dispositions constitutionnelles prévues par cette charte n’étaient même pas encore toutes mises en œuvre, (elles ne le sont toujours pas toutes jusqu’ici), l’idée de retoucher cette loi fondamentale était lancée par certains caciques du Rdpc. Depuis lors, cette idée suivait son cours, mais pas autant bruyamment que depuis le passage remarqué du président Paul Biya à France 24, où, répondant à une question q’un Camerounais de France lui a posée à travers Ulysse Gosset, journaliste français, qui l’interviewait, et qui portait sur le point de savoir si l’intention qu’on lui prête de vouloir modifier la constitution de 1996 dans la perspective de se porter candidat à l’élection présidentielle de 2011, était exacte ou non ? En réponse, le président Paul Biya, tout donnant à croire que l’élection présidentielle de 2011 était encore assez lointaine pour être au centre de ses préoccupations du moment, a cependant opté de laisser le débat suivre son cours sur la question afin que le peuple, le moment venu, puisse choisir, en toute connaissance de cause, “ lui-même ce qui est bon pour lui ”.

Cette réponse ambiguë du président Paul Biya, comme il fallait s’y attendre, a donné cours à un intense débat entre partisans et non partisans de la révision de la constitution de 1996.

Mais, les uns et les autres, ont une seule question au centre de leur préoccupation, à savoir : pour les uns, permettre au président Biya de se présenter à vie à la présidence de la République et pour les autres, le voir partir afin de permettre à quelqu’un d’autre de tenter aussi son expérience. L’on peut donc regretter que soit escamoté le débat de fond c’est comme si la campagne électorale pour 2011 était déjà lancée, bien que le président Biya ait pris soin d’inviter, en même temps, les Camerounais à s’atteler à des tâches plus urgentes.

Pourtant, pour tout observateur objectif des institutions camerounaises, qui se soucie un tant soit peu du devenir historique du “Renouveau”, la constitution de 1996 portait en elle-même les germes, sinon de sa refonte, du moins de son toilettage.

De ce point de vue, l’on sait que c’est dans un contexte d’affrontement entre le président Paul Biya et l’opposition que la révision constitutionnelle de 1996 avait été opérée. Il s’était donc agi pour celui-là de se forger un instrument juridique pour la conservation du pouvoir que les autres voulaient lui arracher.

Pour tout dire, cette révision était faite dans l’optique du professeur Joseph Owona qui soutient que : “ L’adéquation entre le droit et les faits, les institutions et les circonstances, constitue une garantie de stabilité des société étatiques. Le créateur des normes juridiques se doit d’adapter à tout moment droit et circonstances de façon qu’à un état de fait déterminé corresponde une légalité déterminée : légalité ordinaire pour les situations normales, légalité dérogatoire du droit commun pour les situations exceptionnelles et anormales. Chaque collectivité nationale adopte ses propres solutions et intègre dans l’ordre juridique de l’Etat cette légalité dérogatoire du droit commun, ce droit des circonstances exceptionnelles.”

A vrai dire, la révision constitutionnelle de 1996 s’était opérée en pleine crise politique née à partir du 26 mai 1990 à Bamenda lors du lancement du Sdf de Fru Ndi dans le sang. Ainsi, on a parlé des années de braise pour caractériser cette époque de notre histoire politique. Il en résulte que la constitution de 1996 participe de ce que le professeur Joseph Owona appelle “ légalité dérogatoire du droit commun” qui tendait à régir une situation exceptionnelle, anormale, à savoir, la crise du pouvoir. Or, l’on sait qu’une Constitution est faite non pas seulement pour résoudre les problèmes spécifiques du moment, mais, plutôt, pour poser des principes tels que l’impossibilité du despotisme, la séparation des Pouvoirs, la distinction du pouvoir constituant et des pouvoirs constitués etc. Pour tout dire, une constitution est faite pour perdurer, pour survire a ses auteurs, longtemps après leur mort, afin de les rendre immortels. Ainsi, on ne peut pas parler de la constitution américaine qui date de plus de deux siècles, sans penser à Thomas Jefferson, ou des Institutions de la Vème République en France sans penser à Charles De Gaulle, en bien ou en mal. Pourquoi le Président Paul Biya ne peut-il pas s’octroyer, lui aussi, dans les annales de l’histoire politique de notre pays, un tel honneur et un tel privilège ? Pourtant, il y avait pensé à son avènement à la magistrature suprême en 1982. Malheureusement, certaines circonstances qui le menaçaient, non seulement dans sa dignité, sa réputation, ses plans à moyen et long terme, mais aussi dans sa vie même, l’avaient contraint à y renoncer d’autant qu’il était acculé dans un coin où il ne pouvait sortir que par le combat ou par la fuite. Or, aujourd’hui, on peut prétendre et soutenir valablement qu’il a les mains libres pour agir en inscrivant, en priorité, la réforme constitutionnelle dans le chapitre “ des grandes ambitions ”.

Dans cette perspective et en me situant dans l’optique du professeur Joseph Owona, je voudrais d’abord passer en revue les antécédents historiques de la révision constitutionnelle de 1996, avant de donner ensuite, les raisons objectives et subjectives qui plaident en faveur d’une réforme constitutionnelle.

Les antécédents historiques de la révision constitutionnelle de 1996.
L’on sait que depuis son avènement au pouvoir suprême le 06 novembre 1982, le président Paul Biya n’a eu de cesse de se heurter à toutes sortes d’obstacles que lui opposent ses adversaires politiques et qui suscitent en lui une énergie agressive ou auto défensive qui l’empêche de méditer sur son programme politique avant de le mettre en branle.

Or, la première flèche empoisonnée décochée contre lui était venue de là où il ne pouvait pas soupçonner le moins du monde. Ainsi, c’est Ahmadou Ahidjo, son ”illustre prédécesseur”, comme il l’appelait affectueusement, qui, au lendemain de la passation du Pouvoir, allait déclencher un conflit, qui d’abord latent allait éclater au grand jour en 1983 avec le procès de la conspiration. Qui l’aurait pensé ? C’est pourtant ce qui s’était passé. Il faut avouer que la surprise était profonde, troublante, voire branlante pour Paul Biya. Compte tenu de la recommandation chaleureuse au peuple camerounais et à l’opinion internationale que le Président Ahidjo avait faite dans les termes suivants : ”J’invite tous les Camerounais et toutes les Camerounaises, à accorder sans réserve leur confiance et à apporter leur concours à mon successeur constitutionnel M. Paul Biya. Il mérite la confiance à l’intérieur et à l’extérieur”

Cependant, avec son avènement à la présidence de l’Unc le 14 septembre 1983, celui-ci croyait avoir vaincu ce premier obstacle. Aussi, comme on le verra plus loin, il avait déjà commencé à réfléchir sur la mise en marche de son programme de réforme Institutionnelle. Mais, il s’était avéré que, pour ses adversaires, il s’agissait d’un simple ‘’repli stratégique”, pour l’endormir. En effet, sept mois plus tard, plus précisément le 06 Avril 1984, était déclenché le putsch manqué. Il faut avouer que, bien que sorti vivant de ce putsch, et que les Institutions étaient sauvées, mais à quel prix ? Le président Biya était psychologiquement encore plus
ébranlé. Or, cette situation allait encore être aggravée par la profonde crise économique qui, née en 1985, perdure jusqu’ aujourd’hui. Plus grave encore, à partir de 1990 était née la crise politique à laquelle était venue se greffer la profonde crise sociale provoquée par la dévaluation du F Cfa de 50% de 1994 suivie de la baisse des salaires de 75% à la fonction publique.

Comme on peut le constater, il résulte de ces observations sommaires que c’est dans un contexte de crise multiforme que la révision constitutionnelle de 1996 avait été opérée pour juguler ces diverses crises. Il va donc falloir maintenant substituer, à l’instar de Charles de Gaulles en 1958 en France, à cette ”légalité exceptionnelle dérogatoire du droit commun,” une “légalité ordinaire ”, tendant à régir durablement et paisiblement notre pays tels que le percevaient et le souhaitaient les auteurs de notre Hymne National dans ces termes “ Que tous tes enfants du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, soient tout amour. Te servir que ce soit leur seul but. Pour remplir leur devoir toujours. ”
J’en arrive-là à la réforme constitutionnelle pour laquelle je plaide.

Les raisons profondes d’une réforme constitutionnelle
Ces raisons sont, à la fois objectives et subjectives. De ce point de vue, en effet, nous savons qu’une constitution est faite, objectivement, non pas pour résoudre des problèmes ponctuels d’un moment, mais pour gérer durablement et paisiblement les sociétés politiques ; elle est faite pour que chaque parti, droite ou gauche, y trouve son compte ; même l’extrême droite ou l’extrême gauche aussi. Que chacun arrive au Pouvoir et gouverne sans avoir besoin de charcuter la loi fondamentale. C’est ce qui se passe aux Usa depuis plus de deux siècles, c’est la même chose en France depuis 1958. Pourtant, la gauche française avait décrié les institutions mises en place par Charles De Gaulles. Or, François Mitterrand, l’un des procureurs, alors chargé de dresser un réquisitoire sévère contre ces institutions (voir coup d’Etat permanent) non seulement avait réussi à se battre dans ce cadre pour la conquête du pouvoir suprême, mais aussi, à régner pendant quatorze ans sur la base de ces Institutions sans anicroches d’autant que celles-ci permettent même la cohabitation entre deux partis antagonistes pour la gestion du pays.

Or, dans notre contexte, il ne fait aucun doute que la constitution de 1996 ne pourra pas survivre à son géniteur puisque même de son vivant elle est déjà attaquée, même au sein de son parti.

Pourtant, une constitution est faite pour être vénérée. Aussi, le Professeur Michel Troper peut-il soutenir, à juste titre, que : ”La constitution est obligatoire et reste obligatoire longtemps après la mort des hommes qui l’ont voulue. Mais ce n’est pas à leur volonté qu’on obéit. La constitution s’impose en raison de l’autorité, dont au delà des hommes qui l’ont adoptée, elle émane vraiment, et aussi en raison de son contenu. L’autorité dont elle émane vraiment, c’est le titulaire de la souveraineté. Le constituant se bornait à l’exercer, mais elle appartient par nature à un autre, la nation ou le peuple, dont le constituant exprime la volonté.

Mais cette volonté exprimée dans la constitution n’est pas la volonté politique d’un moment, sans quoi, rien ne justifierait qu’elle s’impose encore plusieurs siècles après. C’est une volonté tendue vers une certaine fin. Elle vise a réaliser une fin juste, juste par nature, la liberté politique, et s’efforce d’y parvenir par la structure du pouvoir, par des principes constitutifs, séparation des pouvoirs ou gouvernement représentatif, c’est-à-dire, en fin de compte, par sa nature propre. La réponse du constitutionnalisme est donc simple ”la constitution s’impose en raison de sa nature ; le fondement de son caractère obligatoire, c’est le droit naturel.”

Or, objectivement parlant, la constitution de 1996, nous l’avons dit avait été faite pour résoudre un problème du moment. Elle n’était pas faite pour la durée d’autant qu’elle maintient en vigueur deux lois fondamentales. Elle porte donc en elle-même les germes de sa destruction d’autant qu’elle ne se situe pas dans la perspective que voulait le président Biya lui-même à son avènement au pouvoir en 1982. Et j’en arrive là aux raisons subjectives qui plaident en faveur d’une refonte de nos Institutions.

De ce point de vue, en effet, dans son discours de clôture du congrès extraordinaire de l’Unc du 14 septembre 1983, assise au cours desquelles il avait été élu à l’unanimité Président de cette formation politique. On peut lire “ ... en un mot, c’est en dernière analyse, à un changement profond de la vie nationale que l’histoire nous appelle depuis le 06 Novembre 1982, un changement à conduire résolument et en étroite collaboration avec le peuple certes, mais aussi à conduire dans un esprit de responsabilité, de réalisme et de méthode en vue de donner progressivement naissance à une démocratie plus authentique et à une société plus ouverte ”. Mais, comme nous l’avons souligné plus haut, le putsch manqué du 06 avril 1984, suivi de la grave crise économique née en 1985 et qui perdure toujours, l’a empêché de passer à l’action. Mais malgré cela, il n’avait pas renoncé à cette ambition. C’est ainsi que dans son essai politique ”Pour le libéralisme communautaire” publié en 1987, il invite tous les Camerounais à l’aider à construire ”une société politique plus ouverte, plus tolérante et plus démocratique” une ‘’société au sein de laquelle la vie commune repose sur le débat permanent dans la libre confrontation d’idées”.

Mais, une fois de plus, au moment où, après cet appel prémonitoire, certaines forces exogènes,notamment la décomposition du monde communiste, à partir de Moscou, citadelle du monisme politique d’où l’avaient importé les chefs d’Etat africains, suivie du discours de mise en garde de François Mitterrand à la Baule, au moment où ces forces, dis-je, étaient nées et, étant de nature à le contraindre à passer de la déclaration d’intention aux actes en opérant une large ouverture démocratique dans notre pays, tout en restant maître de jeu, le Président Biya avait hésité, encore traumatisé qu’il était, par les diverses crises dont j’ai parlé plus loin. Dès lors, il s’était laissé, consciemment ou inconsciemment, en tout cas par erreur politique qui avait consisté pour lui, à se laisser d’une part, déborder par l’aide conservatrice du Rdpc qui était viscéralement contre le retour du pluralisme dans nos mœurs politiques, rampant ainsi à contre courant, et d’autre part, devancé par Ni John Fru Ndi qui, en lançant dans le sang son parti, le Sdf, le 26 mai 1990 à Bamenda. Lui avait ravi la vedette en se posant dans l’inconscient collectif des masses, sinon comme celui qui aurait apporté la démocratie au peuple camerounais, du moins comme celui qui aurait contraint Paul Biya à accepter le retour du pluralisme dans nos mœurs politiques.

Mais, aujourd’hui, tous ces obstacles, aussi bien endogènes qu’exogènes, qui jonchaient sa route, ont été balayés. De ce point de vue, en effet, l’on peut prétendre et soutenir valablement qu’à la suite de l’élection présidentielle au 11 octobre 2004, Paul Biya reste et demeure seul maître de céans tant au sein du Rdpc où la lutte entre modernistes et conservateurs, loin de l’ébranler, l’a plutôt grandi en le confirmant comme seul maître d’autant qu’il est le seul dont le mandat est encore valable; les autres responsables ne faisant qu’expédier les affaires courantes, leurs mandats étant finis depuis. Quant à l’opposition, cette Tour de Babel à la camerounaise, elle a perdu la pédale. Il lui faut assez de temps pour se reconstituer.

Il en résulte que le président Biya est, non seulement, le “ personnage central ” de la vie politique camerounaise, mais il est lui seul ”l’essentiel du pouvoir”, Maintenant qu’il a les mains libres, à lui d’en profiter pour réaliser le changement profond de la vie nationale auquel l’histoire l’appelle depuis le 06/11/82. il y va de son immortalité, à la Jefferson ou à la Charles de Gaulle, j’entends, dans les annales de l’histoire politique de notre pays. C’est d’ailleurs, dans cette perspective qu’on peut lire, dans son essai politique ”Pour le libéralisme communautaire”, ce qui suit ”... En effet, toutes les sensibilités politiques sont sollicitées pour affronter les réalités du pays, réalités dont la spécificité recommande l’esprit de nuance et l’esprit de finesse-il s’agit donc d’élargir le cercle du débat idéologique, sans dogmatisme livresque, ni idéalisme théorique, mais plutôt sur la base des réalités nationales quotidiennement expérimentées”.

Aux constitutionnalistes, politologues, anthropologues et autres, et Dieu sait que notre pays en regorge, d’animer le débat sur cette importante question ! Suivant quelles pistes ? Avant d’essayer d’en préciser quelques-unes, je voudrais tout d’abord relever pour souligner l’une des dimensions qu’on semble avoir toujours, sinon oubliée, du moins négligée, dans la rédaction de nos constitutions de (1961) (1972) et (1996), à savoir, l’ambivalence de notre culture juridico-politique.

L’ambivalence de la culture juridico-politique du Cameroun
De ce point de vue, nous savons que depuis qu’en 1916, à la suite de la défaite allemande sur le champ camerounais, au cours de la 1ère Guerre mondiale (1914 - 1918), la France et l’Angleterre s’étaient partagées entre elles, notre pays, alors Protectorat allemand, partage entériné en 1919 par la Société des nations (Sdn), le peuple camerounais était désormais soumis à deux systèmes de culture en général et de culture Juridique plus particulièrement. Ainsi, les Camerounais de la zone anglophone étaient soumis au système de la “Common law” tandis que les camerounais de la zone francophone relevaient, quant à eux, du droit civil français. Mais, c’est surtout dans la théorie et la pratique du gouvernement constitutionnel que l’on observe nettement la différence entre les deux cultures.

Ainsi, Terence Marshall, dans théorie et pratique du gouvernement constitutionnel a, fait observer que : “ sur les principes des droits de l’homme, les Etats-Unis et la France sont tous deux classés comme des démocraties constitutionnelles, multipartistes, ayant un système de séparation des pouvoirs et de gouvernement présidentiel, soumis à une forme de contrôle juridictionnel en vue de protéger la constitution et les droits. Toutefois, dans ces deux pays, les institutions se manifestent de manière profondément différente. Aux Etats-Unis, dès 1776, le fédéralisme, la “Common law ”, l’économie politique et le droit d’équité faisaient partie intégrante de la stratégie de “ poids et de contrepoids ” pour atteindre les buts constitutionnels de la séparation des pouvoirs. En France, par contre, dès le début de son histoire républicaine, cette stratégie fut sciemment rejetée. A la place d’un système de poids et de contrepoids, la séparation des pouvoirs y a été conçue d’une manière fonctionnelle, permettant ainsi à l’article XVI de la déclaration française des droits de l’homme d’être en accord avec l’article VI sur la volonté générale connue critère de légitimité. Ainsi, peut-être, les deux pays diffèrent non seulement au sujet des rapports entre l’exécutif et le législatif, mais à l’égard de la notion même de la loi ” (Ed. de P Espace Européen, Paris 1992).

De ce point de vue, en effet, l’on sait que le constitutionnalisme angloxason participe de la doctrine jusnaturaliste qui était au centre des préoccupations philosophiques et intellectuelles des pères fondateurs des Etats-Unis, doctrine selon laquelle ”il existerait au-dessus du droit positif, qui relève de la volonté humaine- un droit supérieur institué par la providence ou inscrit dans la nature des choses”. Or, il s’avère à l’analyse que dans la pratique, les gouvernants américains qui se sont succédés à la tête de cette grande puissance depuis 1776, ne se sont jamais écartés notoirement des principes inscrits dans leur constitution alors rédigée sur la base de la ”Déclaration d’Indépendance” qui est l’une des sources de la Déclaration universelle des droits de l’homme. C’est ainsi que depuis plus de deux cents ans, cette loi fondamentale n’a pu faire l’objet que de vingt six amendements qui signifient adaptation de cette charte à l’évolution de la société américaine et non modification.

Par contre, la pratique française du constitutionalisme participe, quant à elle, du positivisme juridique qui au contraire, considère, dans sa version la plus tranchée, que le droit nature! n’existerait même pas, encore moins, un droit qui lui serait supérieur. Pour les positivistes, en effet, l’on ne doit prendre uniquement en considération que ce qui est empiriquement constatable et observable, c’est-à-dire le droit positif. Pour eux, si le droit positif est obligatoire, c’est seulement en raison de ses caractères propres, notamment de sa procédure d’élaboration, et non pas en conformité de son contenu à un quelconque droit supérieur. Pour tout dire, il s’avère que dans la doctrine politique française, l’on est préoccupé beaucoup plus par la légitimité du pouvoir basée sur la théorie de la souveraineté nationale qui est largement absente dans la doctrine américaine fondée, quant à elle, sur la théorie de ”poids et contre-poids” si chère à Montesquieu.

Au bénéfice de ces observations, je prétends et soutiens objectivement, que pour élaborer des institutions fiables et durables devant régir notre pays, il faudrait absolument faire la synthèse de ces deux systèmes, sans par ailleurs oublier le système traditionnel. Or le président Paul Biya est de cet avis lorsqu’il fait appel, comme nous l’avons souligné ci-dessus à toutes les sensibilités politiques pour l’accomplissement d’une telle tâche.

C’est dans cette perspective que je m’en vais faire ci-dessous quelques suggestions pour cette réforme qui s’impose pour la gloire et la prospérité du peuple camerounais et en souvenir du règne du Renouveau.

Quelques pistes suggérées pour la réforme
Je voudrais, une fois de plus, m’inspirer de Terence Marshall qui elle-même, s’inspirant des idées des auteurs de la constitution américaine, fait observer que : “Puisque les ambitions et les intérêts affectent toujours les débats politiques, l’autorité publique doit être divisée de manière à préserver au milieu des passions en concurrence, la possibilité qu’un esprit plus noble, plus raisonnable, puisse exercer son influence. Or, une simple séparation fonctionnelle des pouvoirs n’empêchera pas une majorité organisée autour d’un projet injuste ou déraisonnable, de s’emparer à la fois du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Pour prévenir une telle éventualité, les constituants américains avaient séparé les pouvoirs publics de telle façon que la majorité présidentielle fut toujours différente de celle de la majorité législative. Outre le bicaméralisme, les durées différentes des mandats, de même que les élections échelonnées, sont des exemples de cette stratégie visant à protéger les droits dans un régime populaire. Plus importante encore est, dans cette stratégie, la tentative pour atténuer la force des passions politiques par la multiplication des intérêts auxquels elles s’attachent”. Au regard de ces observations de Terence Marshall, l’on remarque que nos Institutions souffrent de certains maux que les constituants américains avaient éliminés pour le bon fonctionnement de leurs Institutions. Je n’en retiendrais qu’un seul pour illustrer mon point de vue. Il s’agit, vous vous en douterez peut-être, de la simple séparation fonctionnelle des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, qui ne peut pas empêcher à une majorité organisée autour d’un projet injuste ou déraisonnable, de s’emparer, à la fois de tous les trois pouvoirs. Or, c’est ce qui semble se passer dans notre pays depuis toujours, même à l’ère du pluralisme politique.

De ce point de vue, en effet, il est indiscutable qu’aussi bien sous l’ancien régime, où régnait un état d’exception et de répression permanent, que sous le Renouveau, les lois qui nous régissent ont été toujours d’origine gouvernementale en ce qu’elles procèdent toutes soit des ordonnances, soit des projets de loi. Or, dans un cas comme dans l’autre, la discipline du parti est telle que ces projets gouvernementaux ne donnent lieu à aucun débat, sinon de pure forme, car l’Assemblée nationale et le Gouvernement émanent tous deux du parti. Or, c’est ce dernier, du moins sous l’ancien régime, qui pense pour eux. C’est ainsi que feu Ahidjo disait : “... En matière d’élection, ce que l’élection doit choisir, c’est une direction. Cette direction lui est donnée par le parti. Le peuple fait confiance au parti qui lui désigne son candidat qui, lui, n’aura pas à se forger personnellement une clientèle, mais aura mérité du parti par sa capacité à encadrer politiquement nos populations, à transmettre fidèlement les principes d’action du parti et du gouvernement... l’élu sera ainsi un représentant du parti... Il faut faire comprendre aux candidats qu’ils ne vont pas être élus en raison de leur popularité ; de leurs compétences dans tel ou tel domaine ou en raison de leur degré d’instruction. Ils seront élus uniquement en raison de leur fidélité au parti, c’est-à-dire, au régime, de leur capacité à être des pions efficaces et loyaux sur l’échiquier du parti ”.

Comme on peut le constater, sous feu Ahidjo, le législatif et le gouvernement était entièrement, l’un comme l’autre, assujettis au parti, donc à lui-même. Il y avait une totale confusion des pouvoirs puisque même le judiciaire n’y échappait pas. C’est pourquoi, il avait souvent recours aux ordonnances. C’est donc à juste titre, qu’un observateur a parlé de la “dépossession toujours plus poussée de la souveraineté populaire, au profit d’une oligarchie ”. Toujours est-il que Ahmadou Ahidjo avait fini lui-même par tomber sous le coup de cette législation d’exception.

Et sous le Renouveau, comment les choses se passent-elles ? Certes, les ordonnances de répression ont été abrogées ; le chef de l’exécutif a de moins en moins recours aux ordonnances. Mais, il demeure que l’Assemblée nationale s’affirme de plus en plus comme une chambre d’enregistrement et pour cause. De ce point de vue, en effet, nos “ honorables ”, aussi bien du bloc au pouvoir que de l’opposition, ne sont toujours pas élus en raison de leur “ popularité, de leur compétence dans tel ou tel domaine, ou en raison de leur degré d’instruction ”, mais en raison de leur fidélité au parti, mais beaucoup plus de la corruption. Dès lors, comment voulez-vous que les gens qui ont une culture villageoise, paysanne, paroissiale, qui ne savent même pas ce que c’est qu’une loi, une ordonnance, un décret ou un arrêté, puissent discuter un projet de loi élaboré par des gens qui ont passé des années sous les bancs pour se former pour cela ? C’est d’autant vrai que feu François Mitterrand disait : “ Là où on exigeait, il y a cinquante ans, le certificat d’études, il y a trente ans, le baccalauréat, il y a vingt ans, la licence, le développement de la science et des techniques oblige la société dirigeante, pour le développement de son propre système, à élever le niveau du savoir ”.

A cette tare dont souffre le législatif camerounais depuis toujours, est venue se greffer une autre qui l’aggrave. Il s’agit du phénomène de la “feymania”. En effet, depuis quelques années, lorsque les feymens, qui infestent la société camerounaise, ont su qu’une fois devenu député, on était couvert par l’immunité parlementaire qui vous met à l’abri de tout ennui judiciaire, ils ne ménagent aucun effort, ni aucun moyen pour s’octroyer cet honneur et ce privilège. Aussi, notre Assemblée nationale est-elle devenue, peut-être, sans le savoir, un refuge pour des prisonniers en sursis. Et, comme si cela ne suffisait pas, après l’immunité parlementaire, il leur faut aussi une immunité diplomatique. Ainsi, l’on a appris, dernièrement, à travers les Journaux, qu’ils étaient en guerre contre le ministre des Relations extérieures parce qu’il avait voulu mettre de l’ordre dans l’attribution des Passeports diplomatiques dans le strict respect de la loi que eux-mêmes ont votée.

Face à cette insatiabilité de nos “ honorables ” et compte tenu du fait que, d’une part, il est constant que le gros du travail parlementaire, à savoir élaborer les lois, est fait dans les administrations extraparlementaires par les fonctionnaires dont les salaires, depuis 1994, ont subi une baisse drastique de 75%, et que, d’autre part, nos “ honorables ”, bien que ne “ travaillant ” que trois mois par an, émargent chaque mois, au budget de l’Etat- d’énormes sommes d’argent au titre de salaire, auxquelles viennent s’ajouter d’autres avantages tels des fonds pour des petits projets, non toujours réalisés, la pension de retraite au bout de trois mandats successifs, nous disions que face à cet enrichissement sans cause, n’est-il pas opportun de suggérer, à la suite de René Dumont, il y a plus de quarante ans, que l’on verse à nos “ honorables ” des indemnités de session, même très substantielles, et non de salaire ? On pourrait même passer par le Référendum, s’il le faut.

Les fonds ainsi récupérés devront être affectés aux institutions universitaires en vue de la formation adéquate de la jeunesse ”fer de lance” de la Nation et de recherche pour notre développement durable.

Par ailleurs, si on ne peut pas opérer une séparation des pouvoirs à l’américaine, l’on pourra, tout au moins, aménager les Institutions de telle sorte que, face au pouvoir majoritaire qui réunit la puissance de gouverner et la puissance de légiférer, il y ait un pouvoir d’opposition qui lui fait effectivement contrepoids. Dans ce cas, ce pouvoir d’opposition devra automatiquement jouir du droit de saisine du Conseil constitutionnel qui, selon le professeur Louis Favoreu : “ Contribue à la pacification de la vie politique en donnant la certitude à l’opposition qu’elle a le moyen de faire respecter par la majorité les limites constitutionnelles ; assure la régulation et l’authentification des changements et des alternances politiques en évitant un trop fort “ retour de balancier ”susceptible de rompre l’équilibre constitutionnel et en canalisant le flot des réformes de la nouvelle majorité ”.

Parlant du pouvoir d’opposition, le professeur Maurice Duverger écrit : “ En face d’un pouvoir majoritaire qui réunit la puissance de gouverner et la puissance de légiférer, dans la main, l’existence des contre-poids est plus indispensable que jamais. Les uns sont exclusivement dans les mains de l’opposition parlementaire. Les autres forment des organes plus ou moins indépendants et neutres, dont elle use pour borner l’action de la majorité, mais dont celle-ci peut également se servir ”. Telle est la nouvelle séparation des pouvoirs qui structure le pluralisme d’aujourd’hui. Il reste illusoire si la minorité n’a pas les moyens de critiquer les autorités établies et les contenir afin d’empêcher quelle puisse abuser.

Par Dr. Kengne Pokam Emmanuel*
* Magistrat


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