Paul Biya, roi du Cameroun


Avec la modification de la constitution aux fins de s’arroger un nouveau mandat à la tête du Cameroun, Paul Biya s’aligne sur des dictateurs qui ont fait honte à l’Afrique, et présente le Cameroun comme une authentique dictature tropicale. Reste à savoir quel pourrait être le coût et la forme du dénouement de cette propension à l’éternité politique.

Il manquait probablement quelque détail pour faire du Cameroun une authentique dictature, digne héritière de celles des Mobutu Sese Seko et de Gnassingbé Eyadema. En s’engageant à manipuler la constitution à son seul bénéfice, dans le vain espoir de s’éterniser au pouvoir, Paul Biya peut désormais se réjouir de rentrer dans le portrait robot du dictateur des tropiques dans tout ce qu’il a de burlesque et d’inquiétant. Ils ont tout en commun : la recherche de la longévité record ou de la présidence à vie (voire la recherche de l’immortalité politique), l’excès d’assurance (d’arrogance ?), la rhétorique volontariste qui tranche avec les pratiques surannées, le culte de leur image, l’achat des consciences, le clientélisme politique, l’instrumentalisation de l’ethnie et des autres données sociologiques, les violations massives des libertés individuelles les plus élémentaires.
Tout commence à partir de l’accession au pouvoir. Dans une dictature primaire comme celle qu’est devenue le Cameroun, soit le chef est imposé au pouvoir par des artifices institutionnels (succession dans les dynasties royales ou impériales, mécanismes constitutionnels taillés sur mesure dans certains autres cas) ou il s’impose par la force. Paul Biya a fait les deux. D’abord imposé par des artifices constitutionnels par Ahmadou Ahidjo qui espérait pouvoir continuer à le manipuler, Paul Biya s’est finalement imposé par lui-même à tout le monde, comme on le sait, dans des circonstances tragiques, générées il est vrai par quelques nostalgiques. Arrivé au pouvoir dans des conditions qui n’ont rien de démocratique, le dictateur n’accorde que peu de foi aux vertus du suffrage universel transparent et équitable, expression par excellence de la démocratie. Et c’est bien ce que vit le Cameroun. La seconde caractéristique de la dictature réside donc dans les méthodes de conservation du pouvoir. Dans une dictature qui s’assume, le vote n’a qu’une fonction cosmétique. Puisqu’en cette ère de régimes politiques en cours d’uniformisation dans le monde entier, il serait inconvenant pour un chef d’Etat, fut-il un potentat assumé, de se maintenir au pouvoir sans les onctions institutionnelles qui lui permettraient de sauver les apparences d’une démocratie.

Parodies d’élections gagnées d’avance
Au Cameroun donc, le pouvoir de Paul Biya décide de confisquer le droit de vote et même le vote tout-court tout en organisant régulièrement des parodies d’élections gagnées d’avance par le parti présidentiel. Et, comme l’indique Georges Clémenceau, par définition, “Une dictature est un pays dans lequel on n’a pas besoin de passer toute une nuit devant son poste pour apprendre le résultat des élections ”. Et c’est bien le cas au Cameroun. Ainsi, le régime s’arrange- avec un grand succès, il faut le reconnaître- à priver les Camerounais de l’exercice de leur droit de vote à travers des inscriptions sélectives et des manœuvres de flou qui empêchent les inscrits d’accéder à leurs documents, sans parler des centaines de milliers de Camerounais de l’étranger privés du droit de vote. Sachant que sa marge de popularité est maigre, le régime multiplie des moyens de contrôler le processus électoral à son seul profit, sachant que sa survie ne dépend que de sa capacité à ruser avec le suffrage universel.
Enfin, lorsque le vote est effectué, il n’est pas surprenant que les résultats proclamés ne reflètent pas ceux des urnes. Albert Nzongang, un opposant, a de la sorte été surpris de ne pas avoir de vote favorable dans le bureau où il a voté pour lui-même… En tout cas, dans le registre des fraudes électorales, le régime certainement a beaucoup apporté à cette science dans le monde. A la place du droit de vote, oppose, depuis 25 ans, un droit de vol dont la devise est que “ la chèvre broute là où elle est attachée ”, sous entendu que chacun qui en a l’opportunité doit s’approprier les ressources nationales à sa portée ou sous son contrôle. Une logique qui prospère encore et qui, comme on sait, a mis l’économie camerounaise en pièces et compromis les perspectives de développement économique et social. Tout en superposant des générations de frustrés qui ne vont certainement pas attendre benoîtement que le pouvoir soit un jour mis aux enchères au sein de l’élite “ dirigeante ”.
Tout comme le vote, l’organisation institutionnelle du pays, comprenant la séparation des pouvoirs, est essentiellement cosmétique. Dans une dictature qui se respecte, l’Assemblée nationale, comme la justice, est à la botte, pour ne pas dire au service du régime. En la matière, les exemples sont légion, le dernier en date étant le discours prononcé par le secrétaire général du parti au pouvoir face aux députés, les menaçant de déchéance de leur mandat si jamais ils n’obéissaient pas aux injonctions du parti régnant et continuaient de revendiquer plus de démocratie dans le fonctionnement du parlement. Les parlementaires se sont contentés d‘acquiescer.
La constitution de clans installés dans les rentes perpétuelles de l’Etat constitue un des autres piliers de cette dictature. Cette tribu du ventre, comme le désigne Célestin Monga, où on ne trouve pour seules ambitions convergentes que le partage du gâteau national, sert jusqu’ici de rempart au régime contre les velléités -du reste atones- de résistance de la société civile ou de ce qui reste de l’opposition. Comme chez les défunts Mobutu ou Eyadema (père), et comme c’est déjà le cas au Cameroun, c’est à cette clique de prévaricateurs que le président laisse le soin de jouer la farce démocratique et de mettre le bon peuple au pas, selon la logique de Gustave Lebon qui veut qu’un dictateur ait à sa botte des centaines de sous dictateurs, souvent anonymes, qui se chargent de tyranniser la population.
Naturellement, cette propension à occulter la vérité au bénéfice d’une autre, créée de toutes pièces par les rentiers du régime, engendre le culte du chef, qui va souvent de pair avec son isolement des réalités. Paul Biya, déjà otage du pouvoir dont il apprécie le faste et les gloires, devient de surcroît otage de ce qu’on nomme abusivement comme étant son entourage. En fait d’entourage, et c’était aussi le cas chez Mobutu, il s’agit davantage de complices dans le contrôle et le pillage des ressources nationales, cooptés par le soin du président qui peut à tout moment les chasser de sa table. L’expression “ entourage ” est justement abusive, parce qu’au-delà de cette convergence des intérêts essentiellement alimentaire ces personnes ne partagent avec le président aucun idéal, aucune idéologie politique connue, ni même un quelconque héritage historique qui fonderait un compagnonnage politique. Dans cette ambiance d’autocratie qui distille ses charités au gré des ralliements, le culte de la personne -le chef en l’occurrence- est une caractéristique essentielle de la dictature, puisqu’elle est indispensable à l’ascension sociale et politique des ambitieux et au maintien de ceux qui sont déjà à table.
La dernière vague de motions de soutien au président de la république a donné à voir que le Cameroun n’a rien à apprendre des thuriféraires de régime déchu de Mobutu Sese Seko. Outre la presse aux ordres, les hommes qui veulent attirer l’attention du chef développent des ingénieries inattendues pour faire le culte du président. Le tout, pour parvenir à la quasi déification du président de la République dont on n’est pas loin de souhaiter l’immortalité. Car, sans lui, il n’y aurait presque pas d’air à respirer. Et lorsqu’il ne sera pas là, il ne restera plus qu’à dissoudre le pays. Car, selon ces courtisans jamais à cours d’inspiration, le Cameroun n’est rien sans le président Paul Biya. Résumons pour eux : le Cameroun sera avec Biya ou ne sera pas.

Abhorre la concurrence et la contradiction
Dans un tel contexte où le chef est aussi omniscient qu’omnipotent, il est malvenu de vouloir trouver la moindre aspérité à la surface polie du bilan du régime. Comme toutes les dictatures, le régime de Yaoundé abhorre la concurrence et la contradiction. Le propre des dictatures, notamment autocrates, est le règne sans partage, la tentation permanente d’instaurer un parti ultra dominant là où il ne peut plus être unique. De fait, le pouvoir a consacré l’essentiel de son énergie à éliminer -politiquement, s’entend- ses adversaires. C’est de cette volonté de réduire le peuple au silence que vient l’atomisation de l’Upc, le rapetissement de l’Undp, la fabrication de majorités démesurées au parlement et les folles rumeurs distillées sur les autres leaders politiques pour les compromettre et les discréditer aux yeux d’une opinion largement hostile au régime et à ses manières ostentatoires d’afficher ses nouveaux riches récemment cooptés à table.
On croirait d’ailleurs que le mal être et la misère entretenue de l’immense majorité des Camerounais et une mécanique bien planifiée pour les pousser, autant que possible, au ralliement ou, à défaut, à l’exil, comme en témoignent les longues files devant des différents consulats de Yaoundé, y compris les consulats des pays dont les ressortissants envient le Cameroun. Il est vrai que moins ils sont nombreux sur le territoire, moins il y en a pour contester le droit de vol du régime en place et de ses éléments.
Quoi qu’il en soit, il est incontestable que le régime de Yaoundé, comme ceux d’Eyadema ou de Mobutu, se sert de la précarité sociale et de la misère généralisée pour conforter leur pouvoir. Dans un climat de pénurie généralisée, les décrets bienfaiteurs du chef de l’Etat sont tellement espérés que personne n’ose le critiquer de peur d’y perdre sa carrière (cela s’est vu récemment avec ce directeur d’école sanctionné à pour avoir osé constater qu’il était anormal que des enfants soient assis à même le sol dans les salles de classe, faute de tables bancs). Ultime trait commun aux dictatures, les forces de l’ordre deviennent de plus en plus, parfois à leur insu, des milices à la solde d’un homme. On a ainsi vu l’armée défiler l’année dernière, en proclamant “honneur et fidélité à son excellence Paul Biya ”. On voit la même armée réprimer dans le sang la moindre revendication populaire qui viserait à réclamer un léger mieux être (répression sanglante des manifestations d’Abong-Bang où les jeunes réclamaient le rétablissement de l’électricité). Si l’élite qui a trouvé place à la table du régime prétend que le Cameroun se porte bien, la grande majorité silencieuse, qui n’a que la pénurie à consommer, a pour seuls droits et devoirs de se le tenir pour dit, sinon, gare à l‘armée.
Ainsi, avec soin, Paul Biya a construit un système dictatorial raffiné, qui présentait jusqu’ici quelques dehors de démocratie. Aujourd’hui, la dictature camerounaise apparaît plus caricaturale, digne de celles criminelles ou bouffonnes qui ont fait et continuent de faire honte à l’Afrique et à son histoire. Le plus vicieux est que dans le cas du Cameroun, ceux qui conduisent le pays à l’aventure ne sont jamais à court de discours aussi généreux que bien inspirés sur la démocratisation et le développement. S’ils pratiquent l’anti-démocratie à la perfection, ils savent pourtant ce que devrait être la vraie démocratie, puisqu’ils s’en réclament tous les jours. Pour mémoire, le dictateur Zairois Mobutu Sese Seko, au plus fort de son règne de plomb et de sang, tenait des discours de plus en plus emphatiques et auto-glorificateurs sur son œuvre de construction nationale et les progrès de la démocratisation que personne ne voyait. Exactement comme au Cameroun.
Le plus dur réside dans le dénouement de ces aventures qui semblent amuser beaucoup de ceux qui se croient immortels. Si François Mitterrand estime qu’ “ Un dictateur n’a pas de concurrent à sa taille tant que le peuple ne relève pas le défi ”, Franklin Delano Roosevelt avertit : “ Les chutes futures des dictatures coûtent à l’humanité bien plus que n’importe quelle chute d’une démocratie ”. L’histoire nous enseigne que le dénouement des aventures dictatoriales a toujours un coût économique, historique, social et surtout humain, que Paul Biya devra avoir la sagesse d’épargner à son pays.

François Bambou


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