Rencontres au Cameroun ( Ou l'impéralisme médiatique se porte bien).
Trois jours à Yaoundé, capitale du Cameroun, l’occasion de quelques rencontres passionnantes, et de quelques réflexions.
Enfonçons d’abord quelques portes ouvertes, mais oubliées depuis longtemps : l’impérialisme culturel existe toujours. Dans les années 70, c’était un sujet de débat répandu : comment rendre la parole aux peuples du tiers monde, comment les libérer de l’information conçue par les nations qui les avaient colonisées, et les irriguaient via les grandes agences de presse ? Le sujet a lassé les intellectuels et les médias occidentaux, alors qu’il est plus d’actualité que jamais : les paraboles amènent notre information dans tous les foyers du monde, et une seule chaîne -Al Jazeera-, renverse un peu la vapeur en donnant un point de vue différent, venu du Sud ( différent, ma non troppo : sa version internationale est réalisée par une équipe anglaise venue de la BBC).
Idem sur le front des radios, qui jouent un rôle essentiel dans l’information de tous les peuples de la terre. En Afrique francophone, c’est souvent RFI qui domine les audiences et côté anglophone, la BBC tient le même rôle. On peut s’en réjouir : ces radios sont exigeantes, professionnelles, de bon niveau, elles ouvrent l’esprit de leurs auditeurs, elles les informent plus que bien. Aucun Etat africain, même l’Afrique du Sud, n’aurait pas les moyens de se payer une information internationale de cette qualité. Pour les Africains, si RFI et la BBC n’existaient pas, la vie culturelle serait plus pauvre encore : c’est une information gratuite, présente partout, à tout moment de la journée, écoutée dans tous les milieux, du gouvernement jusqu’aux marchés populaires. On ne peut toutefois pas oublier que ces radios viennent des anciennes puissances coloniales, et celles ci les financent non pas dans un esprit de générosité, mais pour conserver leur influence culturelle sur les esprits du continent. Les Etats africains leurs ouvrent leurs émetteurs en FM, alors qu’il est interdit en France d’accueillir des radios ou télévisions dont le capital est majoritairement extra européen. Il est donc impossible légalement de rendre la pareille aux radios africaines qui en exprimerait le désir, ainsi que me le fait remarquer Jean-Pierre Biyiti, ministre de la communication du Cameroun.. C’est la que situe l’impérialisme culturel, dans ce déséquilibre.
C’est encore plus criant en télévision, ou il est impossible de créer une industrie locale des programmes. « Vous savez ce qui est le plus choquant pour moi ? » me demande JP Biyiti, en me montrant un téléviseur « C’est que sur ces chaînes par satellites qui arrivent partout dans le pays, nous pouvons suivre les championnats de football de tous les pays européens, mais qu’il nous est impossible de voir les rencontres du championnat du Cameroun, parce que nous n’avons pas les moyens financiers de les retransmettre. Les camerounais ne peuvent pas se reconnaître à la télévision, ils n’y existent pas». Le poids des chaînes françaises, diffusées via Canal horizon, la filiale de Canal plus est énorme : TF1 ou France2 sont partout. Chacun suit donc religieusement les affaires internes françaises, notamment les aventures des Sarkozy ( de ce point de vue la, difficile de penser que l’intégration culturelle des populations africaines puisse être compliqué en France). Même Direct 8 est diffusée sur tout le continent, et ses émissions et animateurs y sont sûrement bien plus populaires qu’ici !
Corollaire du développement des radios, puis télés privées depuis quinze ans : l’effondrement des médias locaux et notamment de la presse locale. A la fin des années 80, le Messager qui était considéré comme le meilleur des quotidiens du Cameroun, le plus indépendant, celui qui résistait au président Paul Biya, et qui a obligé le gouvernement à accepter de laisser parler les voix discordantes ( avec un prix élevé : Pius Njawe son fondateur a été arrêté 126 fois, condamné 3 fois, il a passé 10 mois en prison et seules les pétitions internationales ont réussi à le faire gracier par Paul Biya) et il subit toujours la colère du gouvernement : sa nouvelle radio Freedom a été saccagée il y a quelques temps, son matériel a été détruit…et le gouvernement est sûrement à l’origine de ces problèmes) ; le Messager, donc, vendait à 120 000 exemplaires par jour en 1990. Le très officiel Cameroon Tribune gouvernemental était à 100 000 exemplaires. Aujourd’hui, c’est la cata : Le messager vend moins de 10000 exemplaires – il est le plus vendu des journaux privés- et il ne survit que parce que Pius a créé une agence de conseil en communication. Le Tribune est à 20 000 avec les abonnements obligatoires des ministères et administrations…Il y a des dizaines de quotidiens, mais aucun ne vend beaucoup. Pour survivre, les journalistes se font payer les articles, ou ils menacent les personnalités d’articles calomnieux…sauf rémunération avant publication, qui garantit la destruction de l’article. La presse est donc à la fois très virulente, mais pas exacte, et les excès de la presse de caniveau menace l’image de la presse d’opposition, qui dénonce la vraie corruption. (On appelle « killavisme », m’apprend Pius Njawe, cette tactique : quand un journal sérieux dénonce un scandale gouvernemental, une polémique est lancée dans le presse de caniveau, financée parfois par les officiels, pour détourner le regard des gens vers un autre point annexe et superficiel). Jean-Pierre Biyiti – qui est loin d’être innocent sur ces questions, en tant qu’adversaire de Pius Njawe-, pense que pour résoudre ce problème, il faudrait créer une agence de presse camerounaise, qui fournirait en info locale sérieuse les quotidiens…mais cette solution ne serait pas idéale parce que l’agence serait contrôlée par l’Etat, qui n’est pas un modèle de démocratie. Comme l’Etat n’a pas les moyens de financer une agence de presse, le problème se résout de lui même : les quotidiens font leur propre info, plus ou moins sérieuse, ou recopiée des médias occidentaux.
L’influence de la presse sérieuse a donc sévèrement décliné au fil des ans : la faute à la chute du pouvoir d’achat. Le Cameroun avait réduit les salaires des fonctionnaires de 70% au début des années 90, puis la dévaluation du franc CFA a de nouveau réduit de moitié le pouvoir d’achat. Le pays ne s’en est jamais remis : comme un salaire « moyen » ne permet plus de vivre, les fonctionnaires doivent demander des bakchichs à tout le monde, ce qui généralise la corruption, et par ailleurs, pour acheter un quotidien vendu 300 francs CFA, soit un demi euro, il faut appartenir aux lasses moyennes supérieures. Les pauvres ont donc la radio, donc RFI…on y revient à l’impérialisme culturel. Une information de très bon niveau, mais qui n’est pas dictée par les préoccupations locales. C’est sa force et sa faiblesse.
Claude Soula
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