L’histoire des millions de dollars de l’Albatros

Reconstitution :

En s'appuyant sur des révélations faites à la justice américaine par un ancien homme de main de Yves Michel Fotso et révélées par Francis Nana, expert financier qui a enquêté pour la Camair, Mutations fait le décompte de l'argent sorti des caisses de l'Etat pour l'acquisition d'un avion présidentiel qui n'a vécu que quelques semaines.
Une enquête de Christophe Bobiokono

L'affaire Albatros, qui a rebondi le 25 avril 2008, à la faveur de l'audition par la police judiciaire de l'ancien secrétaire général de la présidence de la République, Jean Marie Atangana Mebara, suivie de celle de Yves Michel Fotso, ancien Administrateur directeur général (Adg) de la Cameroun Airlines (Camair), mercredi dernier, remonte à sept ans au moins. En effet, au début des années 2000, les aéronefs qui composent la flotte de la présidence de la République présentent des signes de vieillissement. Paul Biya, qui s'offre régulièrement des déplacements en Europe, veut acquérir un nouvel avion. Le Cameroun est alors sous ajustement structurel et les bailleurs de fonds internationaux, le Fmi et la Banque mondiale, sont hostiles à ce type de dépenses. Le chef de l'Etat va trouver la parade pour contourner le regard des gendarmes de Bretton Woods.

C'est alors qu'il décide de confier le projet d'achat de son avion à la Camair. Il s'agit de brouiller les pistes pour faire croire que la compagnie nationale de transport aérien en est le vrai acquéreur. En fait, la Camair prend en charge l'opération, mais c'est la Société nationale d'hydrocarbures (Snh), qui va délier sa bourse. C'est l'époque où Yves Michel Fotso est Adg de la Camair. Il se retrouve donc, de fait, au centre du processus. Avec des relais comme Marafa Hamidou Yaya, secrétaire général de la présidence de la République et président du Conseil d'administration de la Snh, et Blaise Benae Mpecke, le chef de l'Etat major particulier du président de la République. Chacun de ces trois responsables se fait assister par de proches collaborateurs choisis sur le volet.

En 2001, le processus d'acquisition d'un aéronef neuf de type Boeing business jet de 2ème génération (Bbj 2) est lancé. Yves Michel Fotso décide de s'appuyer dans cette opération sur un intermédiaire. Grâce à l'intermédiation de Jean Marie Assene Nkou, député mais surtout propriétaire et gérant de la Nac (National Airways Cameroun), une compagnie privée de transport aérien qui dessert l'intérieur du pays, un contact est noué à cet effet avec Gia International. C'est une société dormante, quasiment en faillite, appartenant à un certain Russel Meek, qui vit au fin fond de l'Etat de l'Oregon à l'ouest des Etats-Unis d'Amérique. Gia va en principe jouer le rôle d'intermédiaire pour trouver des financements sur la base des avances que lui verse le Cameroun.

20 milliards
En août 2001, la Camair, par l'entremise de cet intermédiaire, va lancer la commande de l'aéronef auprès du constructeur Boeing. Deux millions de dollars américains sont versés, c'est-à-dire l'équivalent de 1,5 milliards Fcfa. Cette avance ne vaut rien devant les 68 millions de dollars (environ 45 milliards Fcfa) que représentent le coût total de l'avion et les aménagements de la cabine pour un voyageur aussi prestigieux que le chef de l'Etat. Mais la Snh ne tarde pas à réagir : dès septembre 2001, elle met à la disposition de l'Adg de la Camair 31 millions de dollars (environ 20 milliards Fcfa). L'argent va transiter par le compte squelettique de Gia International à la Bank of America.

Chose curieuse : tel que M. Meek le révélera plus tard à la justice américaine, Yves Michel Fotso accepte d'assortir le versement des 31 millions de dollars à Gia d'une clause de non remboursement. Cela veut dire que passé un certain délai, si la transaction n'est pas conclue, la Camair perd son argent... 20 milliards Fcfa. Une menace sérieuse pèse sur les dollars. Contre toute attente, Yves Michel Fotso change quand même d'option : il affecte cet argent à d'autres fins (Voir ci-contre). Mais, ni le ministre chargé des Finances, ni les administrateurs de la compagnie aérienne ne sont au courant du montage. A ce moment, l'achat de l'avion présidentiel ne fait plus partie des priorités de l'Adg de la Camair.

Incompétence
Une mission de l'Etat major particulier va pourtant se rendre chez Gia, en avril 2002, avec à sa tête Blaise Benae Mpecke, pour suivre le processus d'acquisition du Bbj 2 qui n'est toujours pas sorti des ateliers. Se rend-elle compte de tout ce qui se trame ? En informe-t-elle le président de la République et le secrétaire général de la présidence de la République d'alors ? Las d'attendre que le Cameroun confirme sa commande en versant une somme d'argent substantielle, Boeing va rembourser à l'Adg de la Camair, en mai 2002, les deux millions de dollars déjà reçus. Ce qui vaut radiation de la commande. L'arrivée d'une somme supplémentaire de 2,5 milliards Fcfa venue du Trésor public camerounais pendant cette même période n'y changera rien. En tout cas, jusqu'à juillet 2002, Gia ne trouve aucun financement.

Yves Michel Fotso est obligé de constater, "officiellement", l'incompétence de Russel Meek compte tenu de l'échec de la recherche des financements. Sans pour autant se séparer de lui, il va se rabattre sur la Suisse et Singapour pour trouver des fonds nécessaires à l'achat du coucou présidentiel. En Suisse, l'Adg de la Camair est en contact avec un certain Fernando Gomez, un Colombien très infiltré dans les réseaux maffieux. A Singapour, il s'appuie sur Shanmuga Rethenam, un Indien d'origine, très actif dans les projets d'aviation. Les recherches de financement en Suisse font chou blanc. La piste de Shanmuga semble donner des espoirs.

On en est là lorsque Jean Marie Atangana Mebara devient secrétaire général de la présidence de la République, le 24 août 2002, et prend le relais de Marafa Hamidou Yaya dans le dossier. Blaise Benaé Mpecke et Yves Michel Fotso sont encore en poste. Mais une sourde bataille a déjà commencé à opposer les plus proches collaborateurs de Atangana Mebara à Yves Michel Fotso au sujet de la gestion de la Camair. En effet, un cabinet immatriculé aux Iles Caîman et dénommé Aircraft Portfolio Management (Apm) a proposé à la présidence de la République divers services, dont son expertise supposée en matière aéronautique. Apm s'est même proposé à l'achat, pour le compte de la présidence, d'un Boeing Business Jet 2 neuf de 18 places luxueusement aménagé au prix de 57 millions de dollars. Il n'y a pas meilleure façon de marcher sur les plates-bandes de Yves Michel Fotso.

Atangana Mebara
Plus curieux : le cabinet londonien va prendre des parts dans une société en création au Cameroun sous le nom de Asset (à ne pas confondre avec Aircraft) Portfolio Management. Celle-ci a pour président du Conseil d'administration, M. Inoni Ephraïm, secrétaire général adjoint à la présidence de la République, et pour directeur général adjoint un certain Otélé Essomba Hubert Patrick, qu'on présente comme un proche parent de feu René Owona, à l'époque homologue d'Ephraïm Inoni. Apm Londres et Apm Cameroun ont pour Dg commun Kevin Walls. Pour beaucoup, la collusion est évidente et n'a d'autres visées que le contrôle des très juteux marchés que charrie le secteur de l'aviation au Cameroun.

C'est donc entouré de René Owona et de Inoni Ephraïm que Atangana Mebara hérite du dossier d'acquisition de l'avion présidentiel. Se laisse-t-il influencer par ces derniers ? Conserve-t-il les pistes ouvertes par Yves Michel Fotso ? Notre enquête ne nous permet pas de répondre. Ce qui est certain, c'est que jusqu'au limogeage de M. Fotso de la Camair, le 03 novembre 2003, il conserve son rôle dans le dossier. Mais son influence, sans doute très forte à l'époque de Marafa, a connu un recul avec l'arrivée de M. Mebara et l'implication de l'ambassadeur du Cameroun aux Usa, Jérôme Mendouga. Et entre temps, en mai 2003, un autre virement de 5 millions de dollars sera effectué en faveur de "Boeing" à partir des comptes de la Snh, ce qui porte à environ 40 millions de dollars l'argent parti du Cameroun, sans la moindre trace de l'avion.

Entre novembre 2003 et avril 2004, date de la livraison du Boeing 767-200 à la présidence de la République, le fameux Albatros, notre enquête n'a plus de trace des nouvelles dépenses effectuées pour l'achat de l'avion présidentiel. Combien la Snh et le ministère des Finances ont-il encore sorti en cinq mois pour l'acquisition de l'avion ? L'entourage du chef de l'Etat va entretenir un épais mystère autour de l'opération, malgré le scandale que déclenche le vol inaugural de l'Albatros le 24 avril 2004. On apprendra de sources officieuses, relayées par la presse, que 5 millions de dollars (environ 3 milliards Fcfa) ont été payés par le Cameroun pour les réfections de ce vieil aéronef alors âgé de 18 ans. Que sa location devrait coûter 130 millions Fcfa par mois au Trésor public. Mais il n'est pas exclu que d'autres dizaines de millions de dollars aient été engloutis. Et c'est à la justice qu'il appartient désormais de tenir le décompte final et de dire où est passé l'argent de l'Albatros.

mboasawa

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