Trafic des enfants : Bamenda, plaque tournante

Trafic des enfants

Bamenda, plaque tournante du trafic

Les multiples enfants qui travaillent comme domestiques dans des foyers en métropole sont pour la plupart des victimes du trafic d’enfants. Face au phénomène, l’Etat semble dépassé.

Les méthodes de recrutements
Jusqu’à un passé récent, la ville de Bamenda, capitale de la province du Nord-Ouest, était truffée de trafiquants d’enfants. Sur des plaques signalétiques, un peu partout, on pouvait lire « Recherche d’enfants sollicitant travailler comme domestique…». Le phénomène a pris de l’ampleur, au point qu’une chaîne de télévision locale passait des messages du genre : « Tous les enfants qui voudraient travailler comme domestique à Douala, Yaoundé, Bafoussam, etc. peuvent nous contacter pour un transfert », fait observer Joseph Ayeah Chongsi, directeur exécutif de Center for human rigths and peace advocacy (Chrapa), une organisation non gouvernementale de défense des droits de l’Homme, basée à Bamenda.
Si ces plaques de trafiquants qui avaient pignon sur rue ont disparu, la chaîne de télévision en question a un peu « changé de technique et insiste sur l’âge de ces enfants qui varie de 18 ans au-delà », explique notre interlocuteur pour qui « c’est une évolution tout de même. Mais, nous leur avons toujours dit que même entre 18 et 21 ans, on est toujours enfant au Cameroun, parce que sans emploi, ces enfants, pour la plupart vivent chez leurs parents. Donc ceci constitue toujours un trafic. »
La disparition de ces plaques ne traduit pas forcément la fin du trafic. Les habitudes ayant la peau dure, certains résistent aux mesures coercitives. « Certains, parce que usant de leurs relations avec des personnalités haut placées croient qu’ils doivent toujours continuer à trafiquer des enfants », fulmine le directeur exécutif de Chrapa.
Au demeurant, quatre cas sont pendants devant les tribunaux de Bamenda. « Il y a le cas de la petite Amara, âgée de 9 ans, de nationalité nigériane, trafiquée par une dame de la même nationalité. Elle a été maltraitée, torturée, tabassée. Les voisins nous ont filé l’information et nous avons pris le cas en main. La femme en question devait déjà être derrière les barreaux, mais son état de grossesse retarde l’action. Ce n’est qu’après accouchement que nous allons la réactiver », affirme Joseph Ayeah.

Nord-Ouest, terrain fertile
Le Nord-Ouest occupe naturellement le piédestal de ce commerce honteux de sa jeunesse sur l’échiquier national. Sur les 200 cas d’enfants trafiqués inventoriés à l’issue d’un sondage de l’Ong Chrapa à Bamenda en 2006, 25% viennent du département du Boyo, 17% du Donga Mantung et du Bui, 15% de la Menchum, 11% de Ngoketunjia, 10% de la Mezam et 5% du Nigeria. A l’observation, 80% de ces enfants ont moins de 18 ans et 20% ont plus de 18 ans. Cependant ces 20% avaient moins de 18 ans lorsqu’ils quittaient leur famille biologique.
Les raisons de cette sollicitation des enfants du Nord-Ouest sont évidentes. « A Yaoundé, Douala, Bafoussam et un partout, on tient un langage selon lequel « je ne suis pas ton Bamenda ». Cela signifie que les choses de Bamenda sont moins chères. Les services rendus par ces gens qui viennent du Nord-Ouest sont toujours très bon prix », avance notre interlocuteur. Selon lui, la plupart de ces enfants reçoivent 5.000 Fcfa, tout au plus 10 000 Fcfa, en guise de rémunération mensuelle.
Parfois même, cette pitance ne leur est pas reversée. « Ils finissent par être renvoyés ou bien regagnent la rue », explique Joseph Ayeah. Par conséquent, les filles deviennent très souvent des prostituées et les garçons des délinquants (enfants de la rue) pour les garçons. Parmi ces enfants, 70% ont atteint le Cm2, d’autres ont abandonné l’école faute de moyen. Ils sont en majorité des orphelins, ou encore issus des familles pauvres ou polygamiques.
Pour les appâter, les trafiquants leur font miroiter un avenir meilleur pendant leur embarcation. Leur bienfaiteur leur propose d’abord du travail comme domestiques dans des foyers, tout en leur promettant à terme un emploi décent.
Si certaines familles d’accueil les utilisent pour le ménage, d’autres par contre les transforment en de véritables esclaves. C’est le cas de Ya-Ah Vaity. Agée de 17 ans elle a été trafiquée de Nkambé pour Bamenda. Elle y travaillait comme fille de ménage (bonne ou berceuse) chez une certaine Mme Irène Beri, pour une rémunération mensuelle de 5 000Fcfa. Elle a été renvoyé un an plus tard dans son village par sa patronne qui lui avait acheté un ticket de voyage de 3000 Fcfa et remis 2000 Fcfa. Il est aussi à relever que ces fillettes sont assez souvent la proie des proxénètes. D’autres à la limite sont sexuellement abusées par le parent qui les accueille. D’autres encore utilisés dans des plantations de cacao, café, hévéa et bananeraie etc.

L’Etat responsable, mais pas coupable
Pour le directeur exécutif de Chrapa, « le véritable responsable de ce pourrissement c’est le gouvernement » qui a cessé de jouer son rôle « de protecteur de la vie et des biens des personnes ». Et d’ajouter : « le budget voté par l’Assemblée nationale finit dans les poches des individus. Dans ce contexte de détournement on ne saurait blâmer les parents qui n’ont pas les moyens pour subvenir à leurs propres besoins et même ceux de leurs progénitures ». Il se demande où est la sécurité sociale tant claironnée. « Pourtant notre pays est très riche», relève-t-il. Sans emploi décent, les jeunes sont toujours tentés de partir.
Taku Victor, chef service en charge de la protection des enfants à la délégation provinciale du ministère des Affaires sociales pour le Nord-Ouest, défend plutôt le gouvernement. « Je ne sais pas trop qui accuse le gouvernement, mais je crois que tout ceci c’est de la négligence ou bien de l’incompréhension. Si le gouvernement avait un parti pris dans ce phénomène, il n’aurait pas promulgué une loi pour le combattre, ou créer des services comme celui-ci pour éduquer, sensibiliser ou conseiller les gens sur les droits des enfants et en particulier sur le trafic des enfants. Ma position est que ceux qui accusent le gouvernement ne savent pas exactement ce que l’Etat attend d’eux. Au Minas nous ne procédons pas à la répression parce que nous croyons que, même si dans la société, quelqu’un ne connaît pas sa position, ce que nous devons faire est de le rééduquer. Plusieurs personnes ont été et sont souvent déférées en prison mais elles en sortent plus cruelles qu’à leur entrée. Elles ne savent même pas parfois pourquoi elles ont été emprisonnées. Cela donne l’impression que le système répressif est en train d’échouer. Mais le gouvernement pense que c’est nécessaire pour persuader les autres à renoncer au dit phénomène », regrette-t-il.
 

Par Donat SUFFO

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