Qui n’avance pas recule



Le Cameroun était premier producteur de cacao (avec plus de 50.000 tonnes) et de café en Afrique en 1960. La Côte d’Ivoire qui, à l’époque, venait en 3e ou 4e position après le Cameroun (avec quelque 25.000 tonnes), par an, bien entendu, est aujourd’hui le premier producteur mondial du cacao avec une production de 1500.000 (un million cinq cent mille tonnes) par an. De plus, le pays de Houphouët-Boigny est parmi les cinq premiers producteurs mondiaux de café, si je ne m’abuse. Et plus gros producteur d’ananas et de banane que le Cameroun !
En 2008, 48 ans plus tard, le Cameroun peut à peine revendiquer 250.000 tonnes de cacao, et moins de 200.000 tonnes de café robusta et arabica confondus.
A la fin des années 70, le Cameroun était à tout point de vue, le pays pilote de l’Afrique centrale, mais surtout au plan économique, jusqu’à ce que, pour devenir “ les nouveaux riches ”, des fonctionnaires “ gratte-papier ”, sans tradition culturelle de grenier, et sans fierté patriotique, s’approprient le pouvoir (par la ruse électorale et le chantage tribal) pour organiser une prédation systématique du patrimoine national. Et il aura fallu 25 ans au chef de l’Etat pour en trouver “ les preuves ”.
Au milieu des années 80, le Cameroun était légitimement fier de brandir un taux réel de croissance de 07%, et le président Biya en meublait ses discours aux investisseurs susceptibles de s’intéresser au Cameroun. En 2008, les experts nationaux (opérateurs économiques et fonctionnaires d’Etat) n’arrivent pas à accorder leurs violons pour dire si le pays a un taux de croissance réel de 3% ou de 4%. Encore que cela n’a pas d’importance du moment que cette croissance n’est pas ressentie par la ménagère camerounaise, qu’elle soit en ville ou en campagne ! Ils ne sont pas capables non plus – aucun ne l’évoque d’ailleurs – d’expliquer comment le coût de la vie peut de manière générale augmenter dans l’ordre de 30 à 200% sans que le taux d’inflation ait bougé de ses 3% depuis 8 ans !…

Le Lion devenu vieux…
Rappeler que le Cameroun, pays intermédiaire sur l’échelle de développement jusqu’en 1985, a dégringolé dans la vallée des pays pauvres très endettés en 2000, grâce à 12 ans d’ajustement structurel Fmi qu’il aurait pu éviter, c’est évidemment parler de la corde dans la maison d’un pendu. Si vous n’en avez pas déjà assez, et que l’on vous enlève le peu que vous avez, que vous reste-t-il ?
Devenir un pays pauvre très endetté et pillé, pour un pays comme le Cameroun, ne serait qu’un accident de parcours si en plus il n’était pas non gouverné et abandonné aux prédateurs intérieurs et extérieurs.
L’image que donne le Cameroun aujourd’hui au milieu des Pays les moins avancés (Pma) d’Afrique centrale, et aux yeux du monde, c’est tout à fait celle du “ Lion devenu vieux ” que Jean La Fontaine décrit dans une fable où, même l’âne (le plus méprisé des animaux de la jungle) vient donner des coups de pied à un “ roi des animaux ” prostré et poussant de grognements impuissants.
Ce n’est pas sans un pincement au cœur qu’on apprend qu’un Camerounais qui a commandé 35.000 tonnes de ciment pour rompre la pénurie au Cameroun, est obligé d’aller en délester 10.000 tonnes au Congo qui n’en a pas besoin, parce que son bateau ne peut pas entrer au Port de Douala, le chenal n’ayant pas été dragué depuis deux ans.
Ce n’est pas non plus en sautant de joie qu’on apprend l’exploit des Tchadiens qui, d’un côté, opèrent des raids dans le Nord du Cameroun pour prendre des otages (dont des enfants) et de l’autre, peuvent se flatter d’avoir, rétabli le contact entre le Nord et le Sud Cameroun, grâce à leur compagnie privée de transport aérien. Je ne reviendrai pas sur la situation de Bakassi… Et les Camerounais, où sont-ils ?

Toute souveraineté perdue
Les Camerounais en sont aujourd’hui à se coucher pour mourir de famine sur un sol qu’il suffit de gratter un peu pour se rassasier en toute saison. Malchance ou fatalité ? Cette Afrique en miniature dont le potentiel naturel et la densité des intelligences n’a que peu de comparaison sur le continent, avait-elle donc vocation à être “ suicidée ” par ses propres fils ? Croire que la terre, pour le Cameroun, tourne dans le sens inverse par rapport à nos voisins, n’est pourtant qu’une illusion d’optique.
Quand on dit que “ qui n’avance pas recule ”, ce n’est pas parce que celui qui n’avance pas fait la marche arrière. C’est parce que ceux qui étaient derrière lui, à force de marcher en avant, viennent le dépasser, et le reléguer en arrière ou sur place. Nous avons ouvert ce commentaire supra, par l’exemple du cacao dans le domaine agricole. Domaine agricole où nul n’a oublié que durant le premier quart de siècle de l’Etat camerounais, notre pays a joui sans faille d’une autosuffisance alimentaire certaine, et d’une certaine souveraineté alimentaire, toutes choses qu’aujourd’hui nous avons perdues, ainsi que le prouve la crise alimentaire nationale qui promet de durer.
La chereté de la vie que le gouvernement tente de réduire par toutes sortes de gesticulations autour des prix, nous fournit l’autre preuve que “ qui n’avance pas recule ”. L’approvisionnement du marché national est désormais et très fortement tributaire du transport maritime et de la logistique portuaire où le pays avait tout pour être le premier, ou au moins incontournable dans la sous-région, et se trouve aujourd’hui dépassé par tous ses “ petits ” voisins. Même le Congo-Brazzaville est sur le point de remplacer le Cameroun dans le désenclavement maritime de la Rca et du Tchad, dès qu’il aura terminé l’autoroute Pointe-Noire-Brazzaville-Ouesso, et pourra ainsi rallier Garoua-Boulaï par Bouar en Centrafrique. Cela s’appelle une vraie grande ambition.
Devenus par laxisme de la pensée, plus libéraux que les ultralibéralistes, et sous prétexte que la libéralisation bénéficierait aux consommateurs qui n’ont pas de pouvoir d’achat, “ parce que les biens importés coûtent moins chers ”, le gouvernement a choisi la facilité d’encourager les Camerounais à importer plutôt qu’à produire localement ce qu’ils consomment. Il se trouve, malheureusement que, pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons, une marchandise achetée à 100 francs à l’extérieur est transportée jusqu’au Cameroun à un prix entre 110 et 130 francs, auxquels il faut ajouter l’incidence des frais d’exploitation. Ce qui porte forcément le prix de vente sur le marché local de 250 à 300 francs. Que peut alors faire le Mincommerce, à part réprimer injustement ces prix ? A vendredi.
 

Par Jean Baptiste SIPA

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