L’opération d’assainissement des pratiques de gestion de la fortune publique qui a cours au Cameroun sous le nom de code “ Epervier ” peut-elle, en étant confiée au seul corps judiciaire, véritablement produire les résultats attendus par le peuple, à savoir : mettre hors d’état de nuire tous les pilleurs de la république, récupérer l’argent et les biens volés, et décourager toute velléité de reproduire ces fléaux de corruption et de détournement ? Nous avons de bonnes raisons d’en douter.
Si l’opération “ Epervier ” consistait simplement à punir les détourneurs et les corrompus de la république, nous n’aurions pas de grosses craintes quant à la capacité de notre justice à atteindre cet objectif, pour peu qu’on laisse les coudées franches à ce corps. Quand on leur en donne les possibilités (morales, matérielles et financières), nos policiers savent mener et boucler des enquêtes, et nos magistrats savent prononcer les sanctions les plus lourdes à l’endroit des justiciables sans distinction de rang social ou de fonctions. Donc il suffit d’un réel courage politique (accepter l’indépendance de la Justice comme valeur républicaine) et législatif (consacrer la séparation nette des pouvoirs) dans notre pays pour que la justice mène avec succès le volet arrestations et punitions de l’opération “ Epervier ”.
Là où les choses commencent à se compliquer, c’est dans le volet restitution de la fortune publique par ceux qui l’ont pillée. Car des montages financiers tortueux et des législations financières internationales labyrinthiques permettent de dissimuler les fonds détournés dans des comptes intouchables à l’étranger. Ici, les choses ne dépendent plus uniquement de la volonté et de la dextérité de nos juges, et des exemples autour de nous montrent que c’est quasiment mission impossible que d’essayer de ramener l’argent public volé dans un pays. La seule issue susceptible d’être efficace serait donc de convaincre les pilleurs de l’argent du contribuable camerounais à ramener eux-mêmes ce qu’ils ont volé. Cela semble relever de l’utopie, surtout si on ne croit pas au repentir, à la capacité de l’être humain à s’amender, et à devenir un être social meilleur. Pourtant, l’esprit humain est un véritable laboratoire capable de produire le pire, mais aussi le meilleur, au gré de celui qui y fait les manipulations. Ainsi, certains “ hommes de Dieu ” parviennent à désintéresser leurs ouailles des biens matériels qu’ils possèdent, qu’ils remettent alors volontiers à leur “ église ”, et adoptent une nouvelle vie d’austérité.
Il est certain qu’en parlant au cœur et à la raison des êtres humains, on obtient des résultats insoupçonnés. A-t-on seulement essayé, depuis que les arrestations de “ baleines ” ont cours dans le pays, de parler à ces gens qui ont mal tourné ? Depuis le lancement de l’opération “ Epervier ”, des études ont-elles été menées pour comprendre les mécanismes qui se déroulent dans l’esprit d’une personne apparemment équilibrée, et qui subitement devient égocentrique au point de croire que le bien public lui appartient ? En clair, quelles sont les motivations réelles (mais cachées) qui conduisent des gens à priver leur propre pays de ressources pour son développement, dont ils profiteraient eux-mêmes ? L’expérience a montré qu’il est vain de penser combattre un phénomène dont on ne comprend ni les tenants, ni les aboutissants.
Des “ psy ” commis d’office
C’est donc le lieu de nous étonner que les “ psy ” camerounais soient restés si discrets depuis le début de la lutte anti-corruption dans le pays. Eux si prompts à monter au créneau en grand nombre pour expliquer les agissements de charmeurs de fous et autres revenants, toutes choses qui ne mettent pas vraiment le pays en danger. Les “ psy ” doivent intervenir pour nous expliquer si les camerounais ont en eux un gène qui les incite à l’enrichissement illicite. Ils doivent nous dire comment il se fait que des fils de pauvres qui devaient être sensibles aux problèmes de pauvreté, sont autant portés vers l’ostentation et œuvrent à l’accroissement de la fracture sociale. Il se peut que la peur de retomber dans les affres de la pauvreté qu’ils ont vécue dans leur enfance, les pousse à amasser le maximum d’argent, auquel cas nos “ psy ” devraient étudier la question du sentiment d’insécurité matérielle qui accompagne les camerounais dans leur quotidien.
En plus des avocats que leur fortune leur permet de se payer, l’Etat ne devrait-il pas commettre d’office des “ psy ” auprès des pilleurs du pays ? Des séances de psychanalyse et autre coaching peuvent contribuer à les retourner, et il n’est pas à exclure que certains ramènent volontairement ce qu’ils ont volé. En multipliant les “ séances ” avec ces individus, nos “ psy ” aboutiront peut-être à l’hypothèse selon laquelle ce ne sont que des grands malades qui s’ignorent. Franchement, qui, sauf un malade, pourrait détourner de l’argent destiné à la prise en charge de personnes vivant avec le Vih, ou des paludéens, alors même qu’il est médecin et a pour mission de combattre ces pandémies ? Des soins adaptés seraient donc prodigués, et on imagine tel détourneur de 50 milliards de Fcfa, ramener l’argent volé, et se voir infliger la corvée de suivre le chantier de construction d’un nouveau pont sur le Wouri avec une partie de cet argent (13 milliards Fcfa, disait-on). Il apprendra ainsi par la pratique, les délices de l’œuvre d’intérêt général.
Empêcher le renouvellement
de l’espèce “ pilleurs ”
C’est dans le 3ème domaine d’efficacité de l’opération “ Epervier ” que la contribution des “ psy ” est urgente et indispensable : celui de la prévention, afin que ne prospèrent d’autres pilleurs dans la république. Car, à supposer que les prévaricateurs actuels soient considérés comme des cas désespérés et irrécupérables, le Cameroun ne doit pas laisser germer d’autres individus de ce type. Malheureusement la prévention est complètement ignorée, et les nouvelles générations qui entrent dans les cercles du pouvoir reproduisent les tares des anciennes. Les organismes de lutte contre la corruption qui pullulent dans notre pays, devraient pourtant mettre un point d’honneur à la prévention, au lieu de débiter des statistiques de répression sans effets (depuis qu’on montre des poumons noirs de cancer, les fumeurs n’ont pas disparu). Elles devraient par exemple réclamer aux ministres en charge de l’éducation de la jeunesse l’introduction dans les programmes de modules de “ reformatage moral ” des esprits dans notre pays.
Des “ psy ” seraient alors sollicités pour expliquer aux jeunes générations que seul compte le bien-être pour un individu. Et ce n’est pas la matière qui leur fera défaut pour démontrer par l’exemple que l’enrichissement n’est pas une garantie de bonheur. Les “ psy ” sauront trouver les bons mots pour convaincre les jeunes générations qu’on ne peut pas bâtir un îlot de prospérité dans un océan de misère, et qu’il est donc stupide d’appauvrir les populations en pensant pouvoir être plus heureux.
Oui, il est urgent que nos “ psy ” montent en première ligne, qu’ils envahissent les studios de télé et de radios, qu’ils inondent la presse écrite pour réapprendre aux camerounais le sens de l’honneur, et réveiller de nouveau en eux le sentiment de honte qu’ils ont perdu. Afin que nous n’assistions plus à ce piteux spectacle d’adultes qui se renient carrément (en chantant béatement les louanges de leur contemporain) pour quelque poste ou quelques millions de francs Cfa, sans se soucier du regard de leur progéniture. Et qu’on ne voit plus des compatriotes s’humilier à quémander “ un petit quelque chose ” avant de fournir le service pour lequel ils sont pourtant payés.
Où sont les “ psy ” ?
Les “ psy ” doivent faire entendre leur voix pour tuer en nous cette tendance à la facilité qui semble nous coller à la peau. Avec des mots et des exemples justes, ils sauront nous édifier sur l’évidence qu’il n’y a aucune gloire à tirer de la facilité. Ainsi, les parents cesseront de payer de fortes sommes d’argent aux secrétariats d’examens pour “ acheter ” des diplômes à leurs enfants. Les jeunes filles aussi arrêteront de lorgner vers ces hommes qui ont l’âge de leurs grands parents, et qui les couvrent de bijoux de luxe et de belles voitures acquis bien souvent avec de l’argent sale. C’est aussi cette recherche de la facilité qui pousse nos frères et sœurs vers les sectes qui leur promettent monts et merveilles, moyennant la pratique d’actes déviants et avilissants.
Mais où sont donc nos “ psy ”, au moment où notre société a besoin d’être psychanalysée ? Pourquoi ne se penchent-ils pas sur ce grand malade qu’est le Cameroun aujourd’hui ? Il faut dire que nombre d’entre eux opèrent dans la fonction publique, et en bons fonctionnaires, ils sont soucieux de préserver leur carrière. Et comme il est difficile de diagnostiquer le mal moral de la société camerounaise sans égratigner ceux qui gouvernent le pays, les “ psy ” se terrent, et préfèrent expliquer des films et documentaires sur la sorcellerie à la télé. Encore que beaucoup d’entre eux aiment bien ces sujets qui correspondent à des chapitres de leurs leçons d’université, qui leur donnent l’occasion de réciter leurs cours, avec force citations du Dieu des “ psy ” qui s’appelle Freud. N’a-t-on pas souvent vu un de ces “ psy ” officiant dans un hôpital public à Douala, méconnaître la sorcellerie et d’autres réalités culturelles de notre terroir, simplement parce que les grands penseurs occidentaux ont nié ces phénomènes ? C’est dire que les “ psy ” dont notre pays a besoin doivent adapter leur savoir à notre environnement, étudier véritablement les phénomènes qui se présentent, au lieu de n’être que des caisses de résonnance de leurs enseignants occidentaux dont le mépris pour nos cultures est connu.
L’opération “ Epervier ” est un vaste chantier au sein duquel les “ psy ” peuvent trouver du grain à moudre pour montrer qu’ils sont utiles dans le réarmement moral de notre société. Sauf à vouloir absolument donner raison au papa de “ Miché ” (pas celui auquel vous pensez compte tenu de l’actualité) du sketch de Kouokam Nar6 qui demandait à son fils qui lui avouait être en train de faire des études de psychologie : “ Miché, pissychologie c’est quoi ? Est-ce que ça donne l’argent ? ”.
mboasawa
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