Il y en a qui en parle. Pas forcément pour s'en émouvoir ou s'indigner.
Par Junior Binyam
Mais plus pour étaler cette autodérision que d'aucuns envient aux Camerounais qui, entre indolence et résignation, démontrent chaque jour un peu plus qu'on peut rire de ses malheurs au lieu d'en pleurer. Prétextant que même si le trajet était fait à pied, il y a longtemps que le chef de l'Etat aurait rallié Yaoundé car de tous ses pairs présents à l'Onu, il est indubitablement le seul à n'avoir pas rejoint son pays. Mais la question pour beaucoup demeure. Où est donc passé le président de la République du Cameroun, Paul Biya, depuis sa participation au débat général de la 63e assemblée générale de l'Organisation des nations unies au cours duquel il a d'ailleurs prononcé une allocution le 25 septembre dernier ?
A bien des égards, c'est un secret de polichinelle que d'indiquer qu'il a pris ses quartiers à l'Intercontinental de Genève, le luxueux hôtel de la capitale Suisse, qui au fil des ans a fini par être l'autre résidence officieusement officielle du chef de l'Etat qui s'y retire assez souvent pour vivre des moments relativement paisibles en famille. Camer.be, un site d'informations animé par des Camerounais de Belgique, s'est d'ailleurs ému cette semaine de la relative insécurité dans laquelle se trouvait l'avion présidentiel camerounais abandonné à l'arrière cour de l'aéroport international de Genève, à la lisière d'un camp d'accueil pour réfugiés politiques, sans le moindre dispositif de sécurité. Ce n'est qu'après que ce site internet a tiré la sonnette d'alarme sur l'insécurité rampante autour de l'avion du chef d'un Etat d'environ 20 millions d'habitants que les officiels suisses ont disposé autour de l'appareil des militaires armés.
Sans qu'on ne sache si la visite officielle pour laquelle il s'est rendu au siège de l'Onu se poursuit, il a maintenu à ses côtés tous les membres du gouvernement et assimilés qui faisaient partie de sa suite officielle à New-York aux Etats-Unis. Parfois au mépris de l'agenda de certains d'entre eux à l'instar d'Henri Eyebe Ayissi, absent hier de la cérémonie d'ouverture de la 4e session de la "grande commission mixte Cameroun - Nigeria". Elle intervient six ans après la dernière édition de cette instance et marque une relance franche de la collaboration entre les deux pays qui partagent plus de 1800kms de frontière commune et dont les relations avaient été viciées par un différend frontalier sur la presqu'île de Bakassi. Ailleurs, le président de la République n'aurait pas été de trop au plan symbolique pour marquer le coup.
Au Cameroun la vie ne s'est pas arrêtée en l'absence du président. Un pied-de-nez a été fait aux forces de sécurité camerounaises dans la nuit du 27 au 28 septembre dernier lorsqu'une cinquantaine de bandits arrivés par la mer, vêtus de tenue militaire et armés d'explosifs divers, pistolets et kalachnikovs ont pendant plus de deux heures amorcé impunément le pillage de quatre banques situés le long de la côte. Pourtant, des indiscrétions bien renseignées laissent entendre qu'avant son départ du pays le chef de l'Etat, chef suprême des armées, avait instruit un renforcement du dispositif de sécurité autour de la Société nationale de raffinage (Sonara).
Le casse de Limbe survenait après que certains journaux camerounais ont révélé le vol d'une mallette appartenant au chef de l'Etat à l'hôtel intercontinental de Genève. Le suspect désigné, un officier subalterne qui a été rapatrié, étant un membre de la sécurité rapprochée, présenté d'ailleurs comme un des garçons de course de Paul Biya. Ce dernier, fidèle à lui-même s'est gardé jusqu'ici de toute réaction officielle. Même pas un communiqué. Même pas des mesures conservatoires comme on en voit ailleurs pour rassurer le peuple. A l'instar de la sanction des responsables dont les défaillances transparaissent a priori. La gravité de ce qui s'est passé à Limbe, quelque soit la relativisation que tentent certains, aurait commandé à un autre chef d'Etat de rejoindre son pays toutes affaires cessantes pour au moins marquer sa préoccupation et rassurer ses compatriotes.
Les exégètes de ses paroles, faits et gestes vous diront que "l'agitation n'est pas signe de vitalité" et qu'il se garde d'un "activisme stérile". D'aucuns auront même beau jeu de mentionner ces catastrophes et faits gravissimes dans la vie de la nation qui n'ont pas toujours appelé une réaction officielle de sa part. Ils ne manqueront pas de situer sa longévité au pouvoir dans cette relation particulière qu'il a au temps et qui fait que les urgences du peuple duquel il tient en principe sa légitimité ne semblent pas être les siennes.