Yaoundé : Bernard Njonga arrêté par la police



Le président de l'Acdic a passé la nuit au commissariat central N°1 en compagnie de cinq de ses membres qui voulaient manifester à leur siège hier.
Parfait Tabapsi

Bernard Njonga, le président de l'Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (Acdic) n'oubliera pas de si tôt la journée d'hier, mercredi 10 décembre 2008. Journée au cours de laquelle il a été interpellé par les agents du Groupement mobile d'intervention (Gmi) alors qu'il s'apprêtait à faire un sit-in en son siège de Yaoundé. Une interpellation suivie d'une arrestation avec quelques-uns de ses collaborateurs et membres et qui les aura mené au commissariat central N°1 de Yaoundé. Où il doit certainement se remémorer la journée passée hier, histoire sans doute de trouver les motifs qui auraient concouru à son arrestation.
Car avant ce moment fatidique de 10h 20, il n'aura pas fait l'économie de ses efforts en vue de calmer la foule de paysans accouru de tous les recoins du pays suite à l'appel de son Ong à manifester sur le détournement de deux milliards du projet maïs "par des Gics fantômes". Une foule au milieu de laquelle on pouvait reconnaître les membres de l'Association de défense des intérêts des étudiants du Cameroun (Addec) venu offrir leur solidarité à cette revendication finalement citoyenne.

Dès les premières heures de cette journée où l'on célébrait partout sur l'étendue de la planète le 60è anniversaire de la déclaration universelle des droits de l'homme, de nombreux leaders paysans avaient pris d'assaut les alentours de la bâtisse de l'Acdic sis en face du Lion's club à la "Rue Ceper" au quartier Elig-Essono à Yaoundé. Dans la foule, les esprits étaient calmes même si d'aucuns s'impatientaient de voir enfin "les choses commencer à l'heure prévue", c'est-à-dire 7h30. L'un d'eux lâchait même à notre micro "je suis venu de l'Ouest pour apporter ma contribution à cette lutte. Nous manifestons pour sauver notre agriculture, marquer notre ras-le-bol à propos des détournements des financements accordés aux Gics fictifs, demander que ces financements aillent là où ils devraient aller, aviser les fonctionnaires véreux de leur responsabilité…"

Un confrère blanc
De contribution, il était question pour ces leaders de se joindre à l'Acdic afin de porter le message de cette dernière qui était un "appel à la manifestation citoyenne contre les détournements et la corruption au Minader (Ministère de l'Agriculture et du développement rural Ndlr) et contre la crise du maïs". Une crise qui puise sa source dans le fait que "depuis 2006, on n'autorise plus les importations de découpe de poulets congelés au Cameroun. Et les producteurs, grands comme petits, qui avaient abandonné leurs fermes ont repris le chemin des poulaillers (…) Mieux encore, les pouvoirs publics ont accordé deux fois des subventions aux éleveurs : 1,2 milliards et 41 millions de Fcfa pour les soutenir et les encourager à satisfaire la demande sur les marchés en qualité et en quantité, surtout pendant les fêtes de fin d'année".
Et pour donner plus de profondeur à leurs messages de soutien, ils ont recouru aux pancartes. Où ils prennent en grippe les fonctionnaires du Minader ; où ils réclament plus de transparence et d'équité. Ils lui demandent aussi de stopper la distraction des fonds. Bref, sur ces pancartes, ils écrivent que "les fonctionnaires bouffent et les paysans étouffent." Des pancartes qui, en ce début de matinée, ont été confinées dans le garage de l'enceinte de l’Acdic où les rayons de soleil leur donnent plus d'éclat. En attendant le début de la manifestation donc, ils déambulent dans l'environnement immédiat comme des écoliers qui attendent le coup de sifflet qui sonnera l'hallali de la récréation.

Cela dure jusqu'à neuf heures lorsque le président Njonga ressort de son bureau flanqué des commissaires du central N°1. Ils y étaient depuis au moins un quart d'heure, à l'abri des regards. Que s'y sont-ils dit ? Impossible de le savoir. Toujours est-il qu'après les avoir raccompagné à leurs voitures situées en contrebas et de l'autre côté de cette voie qui conduit à la direction de la police, M. Njonga peut confier à la presse : "je crois que chacun est là pour faire son travail. Au cours de nos entretiens, je leur ai expliqué le bien fondé de notre manifestation qui se veut pacifique. Il nous a seulement été recommandé de ne pas franchir la voie publique." Sur l'interdiction de la manifestation, il sera plus laconique, disant que "l'interdiction est écrite et, pour l'instant, je n'ai rien reçu comme document de la part des autorités."
Il n'en dira alors pas plus. Convaincu sans doute de ce que la manifestation doit avoir lieu puisqu'il faut "sauver les acquis de la campagne contre les poulets congelés importés, soutenir les producteurs, demander la mise en œuvre du renforcement des programmes de recherche à l'Irad (Institut des recherches agricoles pour le développement, Ndlr) sur les variétés de maïs, créer les centres de promotion de la maïsiculture dans les autres régions, accorder les subventions et les primes directes à la production".

Quelques minutes après, la foule grossie est priée par Bernard Njonga, à travers un mégaphone, de rejoindre l'intérieur de l'Acdic. Ici, la foule prend place en silence pendant que celui-ci continue de parlementer avec les agents des forces de l'ordre visiblement déterminés à empêcher toute manifestation. Des éclats de voix sans conséquence fusent même. Entre temps, une haie de policiers est formée et bloque l'entrée qui mène au quartier. Quelques habitants du coin seront surpris de subir les questions des agents qui insistent pour savoir s'ils viennent pour la manifestation. Mais tout se passe plutôt dans le calme, même si la tension semble perceptible de part et d'autre. Comme on peut le voir avec cette commissaire de police qui s'agite inlassablement pour faire passer des ordres qui ne varient pas : "tous les manifestants doivent regagner l'intérieur", vocifère-t-elle à l'endroit de ses obligés et même des curieux accourus.
Au passage, le reporter de Mutations est sommé de déguerpir des lieux par celle-là qui prétend lui enseigner les cours de journalisme, surtout en ce qui concerne la couverture des événements programmés. Malgré la témérité de ce dernier, elle n'en démord pas. Demandant à ses agents de faire place nette. Pourtant, un confrère de couleur blanche, camera au poing, filme sans être inquiété le moins du monde. On apprendra plus tard qu'il s'agissait d'un journaliste de la chaîne européenne Euronews.

Chants, colère et arrestations
Dans le ciel, le soleil brille de plus belle, même si la température est encore supportable. On en est là lorsqu'un camion du Gmi arrive pour se garer près les locaux du Lion's club situé à quelques pas du lieu des manifestations. Déversant une vingtaine de policiers casqués qui rejoint le contingent de la même taille présent depuis les aurores. Ils sont tous armés de matraques. Déjà, les manifestants ont pris place sur la route pentue qui passe devant l'Acdic. On entend des chants dont les paroles sont inintelligibles de loin. Une fanfare s'emploie pendant que les pancartes sont brandies. Il est 10h 20 et l'on craint déjà le pire. Tant des invectives et de petites échauffourées sont en train de naître entre les manifestants et les policiers. La colère monte. Les agents du Gmi s'avancent vers la foule en chants et l'irréparable survient.

Echanges de parole entre les deux camps et une rixe naît. Bernard Njonga est pris à partie et à la ceinture par les policiers qui le traînent vers leur camion. En descendant, deux, peut-être trois, policiers se retrouvent par terre. Le leader associatif est secoué ainsi que l'un de ses collaborateurs. La route traversée, il lui est demandé de "monter dans le camion". Déjà, d'autres collaborateurs arrivent à la hauteur de la voiture. Et dans une brutalité inqualifiable, Théophile Nono, ingénieur agronome et leader paysan basé à Bafoussam, est frappé au niveau du crâne par une matraque. Le sang lui gicle de la tête et il se renverse sur la chaussée, en proie aux douleurs qui lui arrachent des cris. Un autre leader paysan arrêté et qui a déjà pris place dans le camion connaît un sort similaire. Malgré ses plaintes en vue d'être autorisé à aller se faire soigner, Franklin Mowha venu de Baganté essuiera un échec.
Dans les minutes qui suivent, le camion se met en position départ, avec à son bord ses occupants de départ et neuf manifestants. Direction le commissariat central n°1. Dans l'espace aussi, le reste des manifestants qui chantaient bruyamment a été dispersé et s'est disséminé dans le quartier.

Les pancartes sont confisquées sans autre forme de procès. La circulation a aussi repris normalement. Mais les policiers continuent d'occuper les lieux. Au cas où… Trois quarts d'heure plus tard, Franklin Mowha sera autorisé à suivre des soins et rejoindra Théophile Nono à la "Clinique du docteur Ze Meka" en contrebas du siège de l'Acdic. Où il découvrira que son compagnon a déjà été suturé à la tête et a retrouvé ses esprits malgré les filets de sang qui lui embuent encore le visage. Il lui donnera par la même occasion les nouvelles de M. Njonga et des compagnons qui continuent d'être détenus. On apprendra tard le soir que deux autres manifestants ont été libérés. Et que M. Njonga a été enfermé avec cinq autres camarades dans une cellule du commissariat central N°1. Où ils méditent sur la conduite à tenir au cours de la visite de l’ambassadeur des Etats-Unis que des sources concordantes annoncent pour ce matin.

mboasawa

3713 Blog des postes

commentaires