Michel Bama : Un détenu de l’opération Epervier parle

Lettre rédigée de la prison centrale de Yaoundé à Kodengui par l’ex-chef de caisse au guichet financier de Douala.

A-Interprétation erronée de l’épargne des particuliers dans les guichets financiers du Crédit foncier du Cameroun en deniers publics
Le tribunal de grande instance du Mfoundi a délibéré le 11 juillet  2008 dans l’affaire ministère public/Crédit foncier du Cameroun contre Edou Joseph et autres coaccusés de détournement de deniers publics au Crédit foncier du Cameroun (Cfc). La condamnation pour détournement de deniers publics de Bama Michel en sa qualité de chef de caisse au guichet de Douala, service qui gère exclusivement les fonds privés, lance le débat sur la nature de l’épargne des particuliers gardée dans les guichets financiers du Cfc. Cette épargne constitue-t-elle le denier public ou la fortune privée ?


Les faits remontent à janvier 2001, lorsqu’un déficit de caisse constaté au guichet financier de Douala avait été imputé à Bama Michel. Pour les mêmes faits, l’intéressé par décision de licenciement n°955 du 14 juin 2001, ne faisait plus partie des effectifs du Cfc lors de son incarcération le 1er mars 2006 dans le cadre de l’opération Epervier.
A l’audience du 1er  mars 2007 portant sur ce volet d’accusation, l’inculpé Bama Michel avait plaidé non coupable, estimant qu’il n’avait ni la charge ni la décharge  de la caisse principale du guichet financier de Douala où le déficit de caisse avait été constaté le 04 janvier 2001 et qu’on lui avait imputé à tort.
a- La charge de la caisse principale incombait au responsable du guichet financier qui assurait les fonctions de guichetier principal et de caissier principal.
b- La décharge étant la transmission au nouveau caissier principal de tous les éléments de la caisse principale consignés sur procès-verbal.
Lorsqu’on sait que :
 l’ex-chef de caisse du guichet financier de Douala détenait une clé de la caisse principale ;
- le double de cette clé de la caisse principale était détenu par une autre personne ;
- la clé de la salle forte était aussi détenue par quelqu’un d’autre ;
- le code secret de la caisse principale était resté inchangé ; ce qui n’avait pas été démenti par le conseil de discipline du 20 mars 2001, ni par le tribunal de grande instance du Mfoundi, peut-on imputer à Bama Michel, ex-chef de caisse, la responsabilité du déficit de caisse survenu au guichet financier de Douala ?
Le tribunal qui, aux dires du représentant du Cfc, avait relevé que l’ex-chef de caisse pouvait créer son code secret comme toute autre personne, démontrait sans le savoir que la caisse principale du guichet financier de Douala était accessible à plusieurs personnes.
La nature des fonds gérés dans les guichets financiers du Cfc
Intervenant dans le cadre des plaidoiries, la défense assurée par Me Mben Sylvestre avait expliqué que les guichets financiers au Cfc traitent les opérations de versements et de retraits des clients des guichets dans leurs comptes d’épargne  et courants. Le guichet financier du Cfc gère donc les fonds privés et non les fonds publics.
La concurrence aux banques commerciales
Créé pour financer l’habitat social au Cameroun, le Cfc a connu, dans les années 90, les secousses de la crise économique qui ont entraîné la suspension par le ministère des Finances du reversement de la contribution crédit foncier (Ccf) au Crédit foncier du Cameroun.
Pour faire face aux charges de fonctionnement, la Direction générale du Cfc avait obtenu du ministère des Finances l’autorisation d’ouverture d’un service de banque commerciale appelé guichet financier. L’ouverture d’un guichet financier à Yaoundé, puis à Douala, avait soulevé le mécontentement des banques commerciales qui avaient estimé que : bénéficiant d’une taxe parafiscale, le Cfc ne devait plus mobiliser la fortune privée.
L’épargne gardée dans les guichets financiers au même titre que les fonds privés dont le greffier a la garde dans sa juridiction ne constitue pas les avoirs de l’Etat.
En soutenant dans ses réquisitions que les fonds des guichets financiers sont le dernier, le Cfc doit rassurer les épargnants des guichets financiers du Cfc sur la nature de leurs dépôts et éviter le spectre de l’épargne de la Caisse d’épargne postale.

B-L’erreur administrative qui a conduit à l’erreur judiciaire
La décision de licenciement n°955 du 14 juin 2001 de Bama Michel pour détournement de deniers publics en sa qualité de chef de caisse du guichet financier de Douala a induit la justice en erreur. Cette décision de licenciement survenu à la suite d’un déficit de caisse et qui est la base de l’accusation de l’opération Epervier appelle les observations suivantes :
1)Sur la nature des fonds gérés dans les guichets financiers du Cfc
- les opérateurs de versements et de retraits des clients des guichets financiers dans leurs comptes courants et d’épargne. Parmi  les clients du guichet financier de Douala, le Cfc détient un compte courant où il effectue ses opérations ;
- et la gestion des prêts de consommation des prêts de consommation accordés aux clients titulaires d’un compte courant.
Le guichet financier est donc un service qui gère les fonds privés et non les deniers publics.
2)Sur le déficit de la caisse
Dans l’arrêt de la Cour suprême n°209 / p du 19 juin 1986 revue camerounaise de droit série 2 n°31-32 pages 277-280, il est dit que le seul manquant ne peut être considéré comme détournement. Le conseil de discipline du contrôle supérieure de l’Etat inflige dans le cas de déficit  de caisse, la mise en débet qui consiste au remboursement échelonné par retenue sur salaire du montant du déficit.
Dans l’affaire Sic, le tribunal de grande instance du Mfoundi avait qualifié la charge du caissier principal en déficit  de caisse et avait acquitté l’intéressé  en relevant que le déficit de caisse n’était pas le détournement.
3)Sur la responsabilité d’un chef de caisse
Le chef de caisse dans un guichet de banque assure les tâches :
- d’un caissier, à savoir percevoir les versements des fonds et payer les effets visés par le guichetier ;
- d’un chef de caisse, qui consiste à contrôler et arrêter toutes les caisses du guichet en fin de journée.
En droit bancaire, le chef de caisse n’est pas tenu responsable  des écarts de la caisse principale tenue par le caissier principal ni des écarts de caisse des autres caissiers.
4)Sur le motif de licenciement
Le Cfc a licencié Bama Michel au motif de détournement de deniers publics alors qu’il n’a ni compétence, ni qualité à qualifier une faute en détournement de deniers publics sans au préalable une décision de justice.
5)Sur l’interpellation de Bama Michel
Intervenant sur les ondes de la Crtv en 2007 dans le cadre du détournement à la Communauté urbaine de Yaoundé, le délégué du gouvernement auprès de cette communauté  avait déclaré qu’il a pris la sanction suprême, à savoir le licenciement de ses agents coupables de détournement de centimes additionnels en complicité avec certains agents des Finances et que l’affaire était close. Au même moment, Bama Michel, licencié en 2001 pour déficit  de caisse dans un service qui gère les fonds privés est détenu depuis mars 2006 à la prison centrale de Yaoundé pour détournement des « deniers publics ».
A ce stade où l’erreur judiciaire prive Bama Michel  de ses droits, la cour d’appel va-t-elle juger  ce non-lieu de détournement  de deniers publics ? Ou le garde des Sceaux va-t-il appliquer le nouveau code de procédure pénale en déclarant l’abandon des poursuites de l’Etat à l’encontre de Bama Michel ?

C- Le statut juridique du Cfc
Crée par décret n°77/140 du 13 mai 1977 portant création et organisation du Cfc, établissement public à caractère commercial, modifié et complété par le décret n° 81/236 du 17 juin 1981, le Crédit foncier du Cameroun est une banque spécialisée dans les prêts immobiliers. Il est régi par la convention du 16 octobre 1990 portant création de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac).
Comme toutes les banques et en exécution des instructions de la Cobac, le Cfc a été transformé en société anonyme régie par l’acte Ohada sur les sociétés commerciales  et le groupement d’intérêt économique.
En admettant que le Cfc est un établissement public, une banque, une société anonyme, la loi recommande  l’application  de la législation favorable à l’accusé ; c’est ce qui  a abouti dans l’affaire Banque camerounaise de développement (Bcd) à l’arrêt n°55 du 19 janvier 1965 de la Cour suprême suivant : « la qualification de deniers publics doit être écartée pour les sommes qui alimentent un service industriel  et commercial, l’exploitation de ce service  étant incompatible avec le caractère qui s’attacherait à ces deniers ».
Cette jurisprudence de la Cour est confortée par l’article 4 alinéa 2 de la loi du 22 décembre 1999 qui indique que « les biens du domaine privé de l’Etat transférés en propriété et notamment par apport pour la formation du capital sont intégrés de manière définitive dans le patrimoine de l’entreprise »
Que ce soit à la Béac, au Cfc ou dans toute la banque où l’Etat a des participations, on ne parle pas de deniers mais de l’apport de l’Etat qui peut subir des bénéfices mais aussi des pertes ; la mauvaise gestion dans ces établissements devant être traitée d’irrégularité de gestion qui ne sauraient être le détournement, mais des abus de biens sociaux.
La jurisprudence de la Cour suprême énoncée plus haut est imposable à toutes les juridictions. Le non respect de la jurisprudence de la Cour suprême observé dans le jugement de l’affaire Crédit foncier du Cameroun est un motif de cassation en application de l’article 35 J de la loi n°2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour suprême. La crédibilité de l’opération Epervier passe par le respect des lois et jurisprudences en vigueur au Cameroun. 

Bama Michel
Prison centrale de Yaoundé,
condamné à 12 ans de prison.
Quartier 07.

mboasawa

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