Fonds publics au Cameroun: Près de 2000 milliards détournés en six ans

Le chiffre emane d’un rapport du Contrôle supérieur de l’Etat datant de mai dernier.

Quotidien La Nouvelle Expression/lundi 17 septembre 2007

Les techniques d’atteinte à la fortune publique vont de la distraction des fonds aux dépassements non autorisés des crédits budgétaires, en passant par la violation de la réglementation dans la passation des marchés publics, la livraison partielle ou fictive, le déficit de caisse, la cession irrégulière ou distraction des biens meubles de l’Etat, l’engagement des structures de l’Etat dans les dépenses manifestement ruineuses, l’ octroi des avantages indus, la surfacturation...

Pour être officiel, le chiffre n’est pas moins susceptible de donner le tournis. “ Les services du Contrôle supérieur de l’Etat estiment à plus de 1845 milliards de F Cfa le montant total des distractions des deniers publics opérées entre 1998 et 2004 soit 300 milliards par an ”. Le constat est implacable. Il figure dans des documents qui datent de mai 2007. On pourrait ajouter que cette somme est proche du montant du budget de l’Etat pour l’exercice 2006 qui s’élevait à 1861 milliards F Cfa.

Les statistiques avancées par les services du Contrôle supérieur de l’Etat se fondent sur quarante et une missions effectuées par cette institution auprès des collectivités territoriales décentralisées, des organismes publics et des entreprises publiques, entre 1997 et 2004.

D’une manière générale, ces missions “ ont permis de déceler des irrégularités préjudiciables à la fortune publique ”. Plus précisément, “ la synthèse de ces irrégularités se résument (sic) comme suit : distraction des fonds ; violation de la réglementation dans la passation des marchés publics ; livraison partielle ou fictive ; déficit de caisse ; cession irrégulière ou distraction des biens meubles de l’Etat ; engagement des structures de l’Etat dans les dépenses manifestement ruineuses ; octroi des avantages indus ; surfacturation ; certification des états financiers dont certaines prestations se sont avérées fictives dans les entreprises publiques ; non reversement à la Cnps des cotisations sociales ; recrutements irréguliers du personnel ; non prélèvement ou non reversement des impôts et droits de taxes par les gestionnaires de fonds publics ; dépassements non autorisés des crédits budgétaires ”.

Pas besoin de décliner les structures concernées par ces détournements. Au vu de certains indicateurs, les observateurs peuvent d’ailleurs être fondés à considérer que ces données pourraient ne refléter que la partie visible d’un iceberg qu’on imagine plus impressionnant. D’abord, parce que les chiffres se fondent sur des missions entreprises entre 1998 et 2004. Ce qui suggère que les statistiques concernant la période de 2005 à 2007 n’ayant pas été prises en compte dans les évaluations officielles commises en mai 2007, le montant de ces atteintes à la fortune publique- dont nul n’imagine qu’ils ont disparu des mœurs managériales comme par enchantement- pourraient entre temps revu à la hausse.

Ensuite, en raison du caractère circonscrit des missions effectuées : une quarantaine seulement en six ans, alors qu’au moins six cent cinquante entités devraient être logiquement concernées, dont 33 départements ministériels, 336 collectivités territoriales décentralisées, 251 entreprises du secteur public et parapublic et 30 établissements en liquidation, selon une évaluation officielle.

Illustration

Encore, le Contrôle supérieur de l’Etat travaille-t-il dans des conditions peu susceptibles de garantir un rendement optimal. Officiellement, “ les crédits alloués aux missions mobiles de vérification n’ont jamais dépassé le seuil de 2/10 000 ( soit 0,02%) du budget de l’Etat.

Au plan des ressources humaines, le gel des recrutements dans la Fonction publique, la promotion d’un certain nombre de personnels à des hautes fonctions ainsi que les départs massifs à la retraite des vérificateurs chevronnés et autres personnels d’appui, et l’insuffisance de formations permanentes de ces derniers ont considérablement hypothéqué l’atteinte des résultats attendus de cette auguste institution”. Tout un réquisitoire.

Qui questionne au moins la volonté politique de ceux qui ne loupent pas une occasion pour proclamer, urbi et orbi, leur ferme détermination à lutter contre la corruption depuis que les bailleurs de fonds ont érigé cette question en “ repères ” de réussite des programmes économiques, et institué la gouvernance comme “ déclencheur ” du point d’achèvement de l’initiative Ppte - du reste atteinte en avril 2006 par le Cameroun.

A titre d’illustration, en l’espace de quelques mois, Paul Biya a, au moins en deux occasions d’une solennité particulière, annoncé de mesures vigoureuses. Le 21 juillet 2006 - soit six mois après le déclenchement de ce qu’on a appelé “ opération épervier ”- du haut de la tribune du troisième congrès extraordinaire du Rdpc, il affirmait : “ Nous avons encore, je dois le dire, un grave problème de morale publique. Malgré nos efforts pour les combattre, la fraude, les détournements de deniers publics, la corruption continuent de miner les fondations de notre société. J’ai eu souvent à m’exprimer sur le sujet et à dire ma détermination à éradiquer ces comportements asociaux. Des sanctions sévères ont été prises au cours des derniers mois. Nous n’allons pas nous arrêter en chemin. Ceux qui se sont enrichis aux dépens de la fortune publique devront rendre gorge”.

Lors du conseil ministériel du 12 septembre 2007, le président de la République, revenait à la charge. “ La troisième priorité du gouvernement consistera à lutter contre la corruption avec encore plus de détermination que par le passé. C’est la corruption qui, pour une large part, compromet la réussite de nos efforts. C’est elle qui pervertit la morale publique. Chacun d’entre vous doit se sentir responsable de ce combat dans son domaine de compétence. Je vous invite donc à plus de vigilance. Le détournement de l’argent public, quelle qu’en soit la forme, est un crime contre le peuple qui se voit privé des ressources qui lui reviennent. Il doit donc être sanctionné avec la plus grande sévérité. ”

Or, secret de Polichinelle : le président de la République est, au vu de ses responsabilités instituées et institutionnelles, naturellement concerné au premier chef par cette question à la gravité avérée. En l’espèce, très peu d’observateurs pourraient imaginer qu’il ne soit pas informé de l’étendue et de l’ampleur de ces atteintes à la fortune publique. Et de toute évidence, en cette matière, le Contrôle supérieur de l’Etat dépend, pour sa mobilité, sa mise en mouvement, du seul chef de l’Etat.

Des considérations et d’autres qui tendent à accréditer l’hypothèse selon laquelle les blocages à l’action du Contrôle supérieur de l’Etat sont à rechercher du côté d’Etoudi. On pourrait ajouter le décalage criard entre les déclarations souvent tonitruantes du président de la République et les actions espérées, voire attendues de l’opinion et des bailleurs de fond.

Comme si la lutte contre la corruption exigeait davantage encore que la multiplication et la superposition des institutions, et plus encore que des procédures judiciaires spectaculaires.

Valentin Siméon ZINGA



 

Les 2000 milliards CFA détournés au Cameroun illustrés en 10 exemples concrets

Entre 1997 et 2004, les sommes détournés par la corruption au Cameroun atteignent 2.000 milliards de CFA (ce sont les chiffres officiels)…. 2.000 milliards de CFA, qui arrive à imaginer ce que ça représente?La question que je me pose immédiatement est alors:» 2.000 milliards CFA, c’est beaucoup. Mais c’est beaucoup comment?»  Sans repère, on a du al à évaluer l’ampleur des dégâts. Je vais donc faire ce qu’on appelait en classes préparatoires « l’interprétation physique»  afin de comparer cette somme à quelques symboles forts. Voici donc 10 exemples pour essayer de fixer les idées:

 

  1. Supposons que le gouvernement camerounais décide d’allouer une bourse (disons 75.000 CFA/mois) à chaque étudiant ou élève camerounais pour l’aider dans ses études. Alors 2.000 milliards permettraient d’accorder une bourse de 75.000 CFA/mois pendant 10 ans à 220.000 étudiants camerounais (plus de 2 fois le nombre total d’étudiants dans les universités camerounaises).
  2. On sait que le coût du barrage électrique de Memve’ele est estimé à 200 milliards de CFA. Ainsi, 2.000 milliards auraient permis au Cameroun de construire 10 barrages hydroélectriques !!
  3. En lisant cet article, on y apprend que le coût d’un Boeing 777 est d’environ 280 millions de $. Un simple calcul permet de savoir que 2.000 milliards CFA permettraient au Cameroun d’acquérir 15 Boeings 777 flambants neufs !
  4. La dette extérieure du Cameroun devrait être située entre 4.000 et 5.000 millliards de CFA. Cela coûte de rembourser toute cette somme, et sur le site du Club de Paris (l’un des organismes à qui le Cameroun emprunte de l’argent), on y lit (dans ce document PDF) que le Cameroun remboursera ses dettes jusqu’en 2042….. 2.000 milliards de CFA permettrait de diminuer la dette du Cameroun d’environ 50% et je ne suis pas sûr que le Cameroun aurait alors eu adhérer à l’initiative PPTE !!
  5. Cet article de Mutations estime le coût unitaire de construction d’un logement à 20 millions de CFA. 2.000 milliards permettrait de construire 100.000 logements au Cameroun et résorber la crise de l’immobilier !!
  6. Si un logement coûte 20 millions CFA, supposons qu’une école primaire coûte 10 fois plus chers, c’est à dire 200 millions de CFA. Alors, avec ces 2.000 milliards, le Cameroun aurait pu construire 10.000 écoles primaires !!
  7. Voici un document PDF très instructeur (quelle aubaine cet Internet) sur le coût de construction et de maintenance des 2 hopitaux généraux de Yaoundé et Douala. On y apprend que chaque hopital a coûté 340 millions de FF, c’est à dire en CFA à 34 milliards de CFA en 1987. Au vu de la dévaluation et puisque beaucoup de matériels sont importés, ça fait aujourd’hui un coût de 68 milliards de CFA par hopital. En tenant compte des fluctations financières, de l’augmentation du coût des matières premières, on peut limiter le coût de construction et de maintenance d’un hopital à 100 milliards de CFA. Avec 2.000 milliards, le Cameroun aurait pu construire au bas mot 20 hopitaux supplémentaires du standing des 2 hopitaux généraux !!
  8. Environ 40.000 étudiants frappent (par concours ou autres) aux portes des universités camerounaises et autres établissements supérieurs. Si chacun d’eux recevait un ordinateur d’environ 500.000 CFA (allez, disons au moins des Pentium IV) de la part de l’Etat, alors 2.000 milliards de CFA pourrait offrir un ordinateur par étudiant entrant dans le supérieur pendant….100 ans!!!
  9. Le Satellite panafricain RASCOM nécessite un coût d’investissement de 361 millions $ environ, c’st à dire 180 milliards CFA. Ainsi, avec 2.000 milliards, le Cameroun aurait pu tout seul lancer 10 satellites de Télécommunications de type RASCOM !!!
  10. D’après plusieurs articles (voir ici ou ), un stade de football à peu près correct (pour les matchs de la 2ième division) coûterait environ 300 millions CFA, et un gymnase sportif opérationnel serait dans les 200 millions CFA. Ainsi, 2.000 milliards aurait pû construire 3.000 stades de football et 5.000 gymnases olympiques.


 

Voilà, ces calculs n’engagent que moi, j’ai essayé de faire les approximations grosses mailles, et j’espère avori donné les bons ordres de grandeur.En considérant le 1/10 de chacun des exemples ci-dessus, entre 1997 et 2004, le Cameroun aurait pu:

  1. acheter un boeing 777
  2. construire 3 barrage hydroélectrique
  3. construire 50 stades de football et 100 gymnases sportifs
  4. lancer 2 satellite de communication
  5. offrir 1 ordinateur à tous les étudiants réussissant le baccalauréat ou le GCE
  6. construire 10 hopitaux de haut standing
  7. construire 1.000 écoles primaires
  8. accorder une bourse de 75.000CFA/mois à tous les étudiants de l’enseignement supérieur.

Voilà donc l’ampleur des dégâts, et ça risque de continuer si rien n’est fait.

Notre sous-développement, celui de l’Afrique toute entière, n’est pas une affaire de bailleurs de fonds, d’aides internationales et d’investisseurs étrangers. Il faut chercher le problème en nous même; ou en nos dirigeants.


Nino
http://www.20mai.net
 


mboasawa

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