Uranium des monts Kitongo : Les populations ont mauvaise mine

 

Au Cameroun, on dénombre 23 réserves d’uranium actuellement en phase d’exploration dont celle de Poli, dans la région du Nord. Le gisement des monts Kitongo (Hosséré Mango), situé à une douzaine de kilomètres de la ville, a été localisé pour la première fois en 1958. Les expéditions exploratrices des monts portaient, au début, sur le survol radiométrique (pour établir la carte), le creusage et le forage. Ces études seront abandonnées en 1987 en raison, selon l’Etat camerounais, de la chute des prix de l’uranium à cette époque. En 2006, la Nu Energy Corporation Cameroon, filiale de Mega Uranium Limited, une compagnie minière basée à Toronto (Canada), s’intéresse au minerai des monts Kitongo et obtient un permis de recherche. Ce qui devrait, plus tard, aboutir à la phase d’exploitation qui n’est pas sans risques sur la santé des populations et sur leur environnement. A quoi sert l’uranium ? Comment est-il exploité ? Est-il dangereux ? Que gagnera le Cameroun dans l’affaire ?

En 2006, la Nu Energy Corporation Cameroon (Necc) a débuté ses activités d’exploration d’uranium à Poli, circonscrites dans la concession de Kitongo, d’une superficie de 1000kmÇ, objet du permis de recherche n°95 signé le 20 mars 2006 du ministre de l’Industrie, des Mines et du Développement technologique. En mars 2007, les études menées sur les monts de Kitongo ont été bouclées. La société exploratrice a découvert 13.125 tonnes d’uranium à Poli. Elle procède au forage de 8 trous en 2009, et de 14 trous l’année suivante. La minéralisation est circonscrite.
Les teneurs et tonnages ont démontré que ce minerai est exploitable probablement à partir de 2012. Mais, depuis cette annonce, la psychose gagne la population locale qui ignore, dans son ensemble, ce qui se passe au sommet des monts Kitongo. Elle craint également la contamination de l’eau et de l’air par les déchets toxiques, l’émission de gaz dangereux appellé radon, la possible expropriation ou le déguerpissement forcé des populations des 12 villages du rayon d’exploitation. Inquiétudes corroborées par des experts.

Pour Bernard Piti, délégué départemental de l’environnement et de la protection de la nature du Faro, «il y a des risques liés à la dégradation de la biodiversité, à la pollution de l’eau et de l’air avec échappement de certains gaz mais aussi d’autres risques liés à des maladies cancéreuses». Cet argument est battu en brèche par le représentant de la société Mega Uranium. Dr John Eyong, le chef de la station d’exploration de Poli, se veut rassurant : «Il s’agit d’une phase d’exploration et non de son exploitation, donc moins dangereuse. Nous disposons de spécialistes chargés de veiller à l’application des normes internationales en matière de sécurité radiologique, définies par l’Agence internationale de l’énergie atomique (Aiea) dont le Cameroun est membre. Nous formons régulièrement notre personnel en matière de radioprotection.» Pour cet ingénieur, l’exploration souterraine pour laquelle a opté Mega Uranium ne présente aucun danger pour l’homme, contrairement à l’exploration à ciel ouvert. La probable exploitation pourra plutôt générer beaucoup d’emplois et de nombreuses infrastructures.

L’autre grief retenu contre Mega Uranium, c’est le silence assourdissant entretenu autour de l’activité qu’elle mène sur les sommets du mont Kitongo. «Il faut que les populations soient de temps en temps informées de l’évolution de l’exploration afin de calmer leurs inquiétudes», estime Mme Aboubakary Hadidja, 1er adjoint au maire de la commune de Poli. «Le suivi technique et administratif est fait par la direction des mines et de la géologie. Il n’est pas normal qu’une activité se déroule dans une localité sans que les services techniques ne soient impliqués», se plaint pour sa part le délégué départemental de l’Industrie, des Mines et du Développement technologique du Faro, Mohamadou Adamou. Ce à quoi le chef de station Mega Uranium répond : «Nous ne pouvons pas communiquer nos résultats et nos statistiques parce que notre permis l’exploration indique que nous devons traiter avec la direction des mines et de la géologie à Yaoundé. Toutefois, nos portes sont ouvertes au public qui aura des informations nécessaires sur l’exploration de l’uranium et de tout ce qui tourne tout autour.»

Craintes et espoirs
Dans le sillage de l’exploration de l’uranium de Poli, qui sans doute aboutira un jour à son exploitation, quelques membres de la société civile se sont constitués en groupe de réflexion pour défendre l’idéal environnemental pour une saine biodiversité et les abus dont ils sont victimes. Le 09 septembre 2008 à Poli, ils mettent en place une cellule de veille et de protection des victimes de l’uranium (Celrpo).
Lors d’une journée d’informations sur l’exploration de l’uranium, tenue à Poli le 07 juin 2011, Sadou Ahmadou, président de la cellule, a indiqué que «la Celrpro est née de la prise de conscience de quelques personnes sur le terrain, et a été stimulée à l’origine par la Coordination diocésaine justice et paix de Garoua du fait que, partout ailleurs, les projets d’exploitation des ressources naturelles à l’exemple de l’uranium de Mounana, au Gabon, dans la ville d’Arlit, au Nord du Niger, ont toujours eu des conséquences néfastes sur les populations et l’environnement». Il soutient mordicus que "l’exploration se fait selon les normes reconnues et en respect avec la protection de l’environnement. Il faut que nos populations soient les premiers bénéficiaires de l’exploitation prochaine de l’uranium".

Au-delà d’être tenues informées de l’évolution du projet d’exploration, lesdites populations attendent que l’exploitation annoncée permette le développement des infrastructures routières, sanitaires et scolaires. Et, déjà, elles ont demandé à Mega Uranium la réhabilitation du plateau technique de l’hôpital. Pour le sous-préfet de Poli, l’exploitation prochaine de l’uranium devrait augurer de lendemains meilleurs pour les administrés. Absalom Monoa Woloa estime en effet que "l’arrondissement de Poli peut se targuer d’abriter un important gisement d’uranium et d’autres ressources minières. Si l’exploration détermine une quantité suffisante à exploiter, cela veut dire qu’il y aura qu’une nouvelle compagnie va s’installer". Il espère également que "l’activité va générer de nouveaux empois, une amélioration des infrastructures routières, des moyens de communication, de nouveaux habitats, une meilleure productivité pour les agriculteurs et bien d’autres services indirects".

Rayonnements dangereux
L’uranium est un métal lourd que l’on retrouve à différentes couches de la croûte terrestre. A l’état brut, il est toujours combiné à d’autres éléments tels le phosphate et le granite. On le nomme également minerai uranifère. Il dégage plusieurs caractéristiques combinées à la fois radioactives, chimiques et toxiques. L’uranium constitue, surtout, une source d’importance stratégique et peut se retrouver dans pratiquement tous les milieux naturels : la roche ou encore l’eau.
L’uranium est un élément chimique instable, et qui se désintègre avec le temps dans environ 13 éléments différents. Durant cette désintégration, encore appelée radioactivité, il génère une émission permanente de rayonnements alpha, beta et gamma qui ne sont pas perceptibles à l’?il, ne dégagent aucune odeur, ont une incidence sur l’homme et peuvent entraîner l’endommagement des cellules du corps, des brûlures, des cancers, des difformités ou des anomalies et même causer la mort.

Ces dangers pour la santé dépendent non seulement de l’intensité du rayonnement et de la durée d’exposition, mais également du type de tissus concernés.
L’uranium est principalement utilisé pour la production de l’électricité, pour l’armement (fabrication des bombes, tanks, obus, missiles, avions et munitions), en médecine (radiothérapie, diagnostic et soins de certaines maladies) et dans l’industrie (fabrication de matériaux plus résistants, légers).
L’uranium existe à différents endroits du Cameroun, à l’état d’indice ou de gisement. Il n’y a actuellement aucun projet de son extraction dans le pays. Par contre, il existe beaucoup d’activités de compagnies sur le sol camerounais, toutes en phase de recherche. On dénombre deux principaux projets uranifères : Kitongo (Nord), avec une réserve probable de 13.125 tonnes et Lolodorf (Sud), dont les réserves probables sont de 11.000 tonnes. La teneur minimale du gisement est de 0,10%, alors que les concentrations en uranium des gisements connus dans le monde sont comprises entre 0,05 et 0,50%.

Source : ministère des Mines, 2009

Une enquête de Jacques Kaldaoussa, à Poli


mboasawa

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