Avec leurs panneaux, JCDecaux et National Com’ viennent faire bouger le secteur même si leurs innovations ont encore des points à parfaire.
Depuis quelques semaines, l’univers de l’affichage dans la ville de Yaoundé vit une nouvelle aire avec la prise de service de deux opérateurs qui viennent ainsi faire bouger le secteur. Le groupe français JCDecaux, numéro deux mondial de la communication extérieure (affichage, transport, mobilier urbain), avec un chiffre d'affaires de plus de 2 milliards d'euros en 2007, est en effet présent au centre-ville. Si le groupe est déjà très présent sur tous les continents, aussi bien en Europe qu'aux États-Unis et en Asie, notamment en Chine, le Cameroun, après l’Algérie il y a quelques années pour le Maghreb devrait permettre à cette société de s’ouvrir une porte sur l’Afrique subsaharienne.
Concernant l’implantation en cours au Cameroun, c’est en avril 2011 que la Commission européenne a autorisé, la création d’une entreprise commune entre JCDecaux Holding (filiale du groupe JCDecaux, France) et Socopao (du groupe français Bolloré France). De fait, il a été précisé que l’entreprise commune, JCDecaux Bolloré Holding, sera active dans la publicité extérieure au Cameroun et ultérieurement éventuellement dans d’autres pays du continent africain. A Yaoundé, les différents panneaux installés à travers la ville, bien que statiques, se différencient des panneaux existants de part leur configuration et la protection en écran qui évite aux affiches de se décoller et de subir les ravages des intempéries.
Pour la première campagne liée à l’affichage du président Biya dans le cadre de la campagne électorale du 09 octobre dernier, l’équipe de JCDecaux a dû user des moyens du bord en préférant les affiches classiques sur lesquelles se dévoilent clairement les traits de séparation, aux bâches à fixer généralement recommandées pour ce type d’affichage. A côté du groupe présent dans 145 aéroports situés dans 16 pays à travers le monde, un nouvel opérateur, discret mais tout aussi présent grappille également des parts de marchés dans le domaine de l’affichage urbain camerounais. Il s’agit de National Com’, une entreprise appartenant à un proche du délégué du gouvernement auprès de la communauté urbaine de Yaoundé, Gilbert Tsimi Evouna.
Passion
L’avantage des panneaux de National Com’ est qu’ils sont illuminés comme les panneaux de JCDecaux et sont déroulants. Ce qui pourrait permettre à plusieurs annonceurs de s’y retrouver. Seulement, au plan pratique, ils restent difficilement visibles à plus de cinquante mètres, les images sont écrasées et la luminosité n’est pas toujours la plus heureuse. Ce qui porte un doute sur leur efficacité dans la transmission des messages.
Un positionnement que les acteurs du secteur de la communication observent avec un intérêt certain et une certaine circonspection. Thierry Nomo de Optimedia estime en effet que cette forme d’affichage, mise en parallèle avec les panneaux classiques utilisés par les différentes régies publicitaires, reflète «le progrès et le dynamisme de la technologie dans ce domaine au Cameroun.
Ça change effectivement de l’affichage classique mais, il est important de se demander ce qu’en pensent les clients qui, très souvent, demandent des supports flexibles et peu chers». Tout en reconnaissant que ces panneaux déroulants ne sont pas aussi nouveaux que ça dans l’univers de la communication au Cameroun, il précise : «tout dépend de ce que demandent les annonceurs car, leur avis est toujours au centre des décisions».
Lorsque, il y a quelques années en effet, Global Outdoor a tenté l’expérience de grands panneaux déroulants, les annonceurs n’ont pas suivi le mouvement poussant ainsi la société à laisser tomber ce projet «novateur» qu’elle proposait aux entreprises.
Espoirs
Selon Jean Claude Bilana, promoteur de l’agence Idées Neuves, le tout n’est pas de «transporter une technologie et l’installer au Cameroun. Il faut préparer les clients donc, les agences conseil qui pensent les messages, à ces nouvelles technologies». De son avis, l’avènement de ces «nouveaux» supports de communication ne peut que faire du bien au secteur. «Ce qui est à déplorer dans ce secteur est que les gens ne veulent pas innover. Comment peut-on encore expliquer qu’au Cameroun, on se contente de l’affichage classique alors que dans toutes les capitales africaines, on est tourné vers l’innovation en matière d’affichage?», ne peut-il s’empêcher de s’interroger.
Côté consommateurs et bien que les entreprises n’adhèrent pas encore en masse à ce nouveau concept, certains y voient quelques avantages. «Nous avons expérimenté les panneaux fixes notamment dans le cadre des préventions routières mais nous avons eu l’impression que les usagers de la route ont du mal à percevoir le message. Nous avons soumissionné pour ces panneaux déroulants car, nous avons pensé que, étant éclairés de nuit, ils permettent d’interpeller les conducteurs à tout moment, de jour comme de nuit», estime Léon Bernard Gara, le responsable de la cellule de communication du ministère des Transports qui a souscrit une insertion sur les panneaux de National Com’.
Face à cet engouement, Alain Onguene exerçant dans le domaine de la Communication ne partage pas l’engouement général observé autour de ce nouveau mode d’affichage. «Pourquoi faut-il toujours que nous nous satisfassions de peu? Ces panneaux que Decaux vient nous poser et qui nous font danser sont dépassés. Dans aucun pays qui se respecte, on ne les utilise plus. Il y a au moins cinq générations de panneaux après ceux-là. De plus, je me demande où est l’innovation ? Ils sont aussi statiques que ceux qu’ils veulent supplanter. Ils ont séduits la communauté urbaine de Yaoundé en affirmant que ces panneaux seraient amortis sur 20 ans. Soyons sérieux : dans 20 ans nous en serons encore là? C’est désolant», fulmine-t-il en affirmant que dans ce cas, il vaut mieux garder les panneaux statiques actuels avant de poursuivre : «National Com’, lui, propose des panneaux microscopiques aux annonceurs qui les refusent d’ailleurs. Ça dit tout ce qu’ils en pensent. En tout cas, ma régie, elle, ne saurait conseiller ce genre de panneaux à ses clients».
Face à cette réaction jugée «excessive», le président de l’association des régies publicitaires du Cameroun, Alexandre Bessawa Pondo, appelle pour sa part à la prise de conscience. Selon lui, la présence de ces nouveaux opérateurs, quelque soit le bout par lequel elle est prise, est un appel à la modernisation du secteur au Cameroun. Bien que ce dernier n’ait pas encore digéré la façon peu cavalière dont l’agrément a été attribué à Decaux à la veille de la présidentielle, il pense qu’il est temps pour ses confrères et lui de se remettre en question et d’innover.
Et parlant d’innovation, Alain Onguene de s’offrir quelques instants de rêverie : «Qu’on arrête de nous servir de la supercherie et vienne nous proposer un écran illuminé qui permettra de lire un message inscrit sur l’immeuble de la Sni et permettre de lire des messages à mille lieux. A ce moment là, nous saurons que nous avons avancé».
Dorine Ekwè