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Lapiro de Mbanga : Martyr de la liberté et… apprenti sorcier

A la fois adulé et vilipendé, le destin singulier de "Ndinga Man" fait de lui un personnage historique.
Eugène Dipanda





La coïncidence est remarquable. Il y a quelques jours, la commission des lois constitutionnelles de l'Assemblée nationale a reçu, pour examen, le projet de loi portant modification de la Constitution introduit par le gouvernement camerounais. Passé comme "lettre à la poste", le texte a été adopté en plénière hier. La veille du scénario, un acteur majeur du "Non" à la modification de la Loi fondamentale, le bien connu artiste et leader d’opinion Lambo Sandjo Pierre Roger alias Lapiro de Mbanga, est interpellé manu militari et jeté en prison. Avant lui, un autre artiste engagé dans la protection de la Constitution de janvier 1996, Joe La Conscience, écope de six mois d’emprisonnement ferme, puis est écroué à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé.
On a beau retourner l’affaire dans tous les sens, quel que soit le bout par lequel on prend la chose, malgré les charges prétendument retenues contre les mis en cause… il est bien difficile de dissocier les événements du contexte politique actuel. Selon toute vraisemblance, en effet, le pouvoir Rdpc semble désormais vouloir mettre hors d’état de nuire tous les empêcheurs de modifier (la Constitution) en paix. Et particulièrement Lapiro de Mbanga, qui traîne derrière lui une notoriété d’opposant, incontournable leader d’opinion de son Mbanga natal, réputée ville frondeuse; et particulièrement adulé des classes sociales défavorisées dont l’artiste dit d’ailleurs être le porte-voix.

Depuis plusieurs mois, Ndinga Man, comme l’appelle ses fans du fait de son aptitude à grincer les cordes de la guitare, a en effet pris position par rapport au débat de l’heure. Comme le parti politique auquel il appartient, le Sdf, et dont il fut le candidat malheureux aux dernières élections municipales, il est profondément contre la révision de la Loi fondamentale. Véritable écorché vif, l’artiste a récemment mis un "Single", "Constitution constipée", sur le marché du disque, dans lequel il réaffirme son opposition au toilettage annoncé de la Constitution. Du fait de la profondeur du texte, sa musique choque incontestablement. Mais, Lapiro est loin d’être hypocrite. En homme courageux, il dit haut ce que certains ne veulent pas forcément entendre. "Libérez Big catica. Libérez répé ndos. Le pater est fatigué, foutez-lui la paix. 2011, Cameroon must change…", chante-t-il, par exemple, dans "Constitution constipée". Un vrai brûlot à l’adresse de tous ceux-là qui s’agitent pour le maintien au pouvoir de Paul Biya au-delà de la fin de son second septennat à la tête de l’Etat.

Paul Biya
"Les bandits à col blanc veulent braquer la Constitution de mon pays. Les fossoyeurs de la République veulent mettre les lions en cage. Les poussins veulent échapper aux serres de l’épervier. Le peuple est harcelé et menacé d’une tentative de hold-up. En vérité et en vérité je vous le dis, ils veulent Tcha Pablo en otage", fredonne l’artiste, dans un style qui lui est propre, avec des propos en français et en pidjin, devenu pratiquement sa langue maternelle. Très admiratif de Nelson Mandela, Lapiro de Mbanga semble en effet vouloir, lui aussi, marquer son temps. A travers sa musique, il fait une sorte de satire du milieu dans lequel il vit. Et, depuis son premier album, "Persévérance", sorti en 1978, l’homme est resté fidèle à sa logique : décrier et provoquer. En 1986, "No Make erreur", son premier grand succès populaire, confirme cette inclination. Partout où il passe, Lapiro est porté en triomphe par un peuple affamé, qui semble trouver en ses chansons un certain réconfort, un espoir. S’en suivent, avec le même succès, "Surface de réparation" en 1987, et "Mimba Wi" (pense à nous) en 1989. Quand sonne l’heure du multipartisme au Cameroun, en 1990, le pouvoir voit en Lapiro de Mbanga un leader qu’il faut absolument enrôler dans ses rangs.

Contacté par Jean Fochivé, alors Directeur du Cener et Délégué général à la Sûreté nationale, l’artiste jouera la carte de l’apaisement à fond. Il organise notamment un concert dit de réconciliation en juin 1991, avec près de 25.000 fans venus l’écouter. Mais, des millions de Camerounais le traiteront de "vendu", de "traître", pour avoir osé sauver un "gouvernement bandit".
Sa carrière en prendra d’ailleurs un sérieux coup. Pendant plusieurs années, Lapiro cesse d’être ce parangon que le bas peuple voyait en lui. Il est traqué et menacé, et ne doit la vie sauve que grâce à une protection très rapprochée de la force publique. Mais l’homme refuse de baisser les bras. L’album "Lef’am So" qu’il commet en 1995, a été analysé comme une demande de pardon à ses "complices" sauveteurs, chargeurs, débrouillards... Dans la foulée, Ndinga Man règle quelques comptes à des journalistes, qui auraient écrit "n’importe quoi" sur sa personne pendant son passage à vide. La célèbre chanson "Ndinga Man contre-attaque", constitue ainsi une adresse directe à Benjamin Zébazé, Pius Njawé et Séverin Tchounkeu.

Provocation
"Je suis satisfait, car le combat que j’ai mené pour les petits débrouillards mérite du respect, et le résultat est là. Ils sont devenus les interlocuteurs avec qui on discute, on n’arrache plus leurs marchandises, on ne leur verse plus de l’eau, le gouvernement discute avec eux. Et c’était ça mon combat, qu’on sache que ce sont des Camerounais à part entière, et non des Camerounais entièrement à part", se vante Lapiro. Aujourd’hui en pleine reconquête de son aura passée, l’artiste est devenu chef traditionnel au quartier 12 de Mbanga. Et c’est dans le repli de sa chefferie qu’il a conçu "Constitution constipée", l’ultime création artistique qui semble lui valoir ses déboires actuels.
"C’est quoi l’urgence et pourquoi cet acharnement farouche, à modifier absolument l’article 6 alinéa 2 d’une Constitution dont la mise en application graduelle n’a jamais été amorcée ? Dix années sont passées, le Sénat et les Régions sont toujours attendus ; le peuple attend toujours la déclaration des biens des individus appelés à gérer les fonds publics ; ce qui, en cette période de lutte contre la corruption endémique, est une priorité.

Le peuple attend toujours d’avoir une structure indépendante pour gérer les élections libres et transparentes, afin que la grande majorité des citoyens aient le droit de voter. Et ça, les marathoniens de la mangeoire n’y trouvent aucun intérêt, sauf celui d’éliminer la limitation du mandat présidentiel de la Constitution…", chante Lapiro de Mbanga dans le "Single" controversé.
Lapiro de Mbanga n’a donc pas eu l’opportunité d’infléchir les choses à travers cette chanson, puisque la Loi fondamentale a été modifiée. L’artiste n’aura pas non plus la chance de protester outre mesure, parce qu’il a préalablement été précipité au cachot. Pour de supposées accointances avec les émeutiers de février dernier. Mais, reste-t-il convaincu, "J'ai écrit mon nom en lettres d'or dans l'histoire du Cameroun. Celui qui oserait écrire l'histoire du Cameroun à cette période précise sans parler de Lapiro de Mbanga aurait triché".

mboasawa

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