Dans son ouvrage intitulé Comment il faut écrire l'histoire, Lucien de Samosate, un rhéteur et satiriste syrien rappelle les deux principales qualités dont doit jouir un bon historien.
Par Marcellin Vounda Etoa*
La première est, dit-il, " une grande intelligence des affaires " et la seconde, une " netteté parfaite d'expression ". L'intelligence des affaires selon Lucien de Samosate, ne peut s'apprendre, c'est un don de la nature, l'autre qualité " peut s'acquérir par un exercice constant, un travail suivi, un vif désir d'égaler les Anciens ". Par son expression dont on a pu juger de la limpidité mardi dernier au Hilton Hôtel, à l'occasion de la cérémonie de dédicace de son autobiographie, Félix Sabal Lecco jouit assurément de la seconde qualité d'un bon historien.
Sa fréquentation des Anciens (Grecs) et des grands classiques de la littérature contemporaine (Talleyrand) n'est pas indifférente à son style.
Outre l'intelligence des affaires dont il a fait montre tout au long de sa longue et riche carrière (Préfet, Inspecteur Fédéral de l'Administration, Secrétaire d'Etat, Ministre, Président du Conseil Economique et Social, Ambassadeur, …) Félix Sabal Lecco est aussi et surtout un acteur de premier plan de notre histoire. Depuis 1937 en effet, il n'a plus quitté la scène publique nationale. Il peut donc témoigner avec lucidité à la fois de la politogénèse de notre pays et des temps forts ayant marqué son évolution. Sabal Lecco a également le mérite naturel, à l'âge où paraissent ses mémoires (89 ans) d'être un homme libre de ses opinions, de ne rien craindre et de ne rien espérer. Il peut ainsi poursuivre l'unique objet que Lucien de Samosate assigne à l'histoire : l'utilité, laquelle ne peut naître que de la vérité.
Il est donc heureux de constater que bien qu'il ne s'y soit pas préparé en prenant des notes personnelles de sa longue et riche expérience des affaires publiques, Sabal Lecco ait pu, avec le sens du devoir que ceux qui l'ont côtoyé lui reconnaissent, réussir le tour de force de produire une œuvre à la valeur patrimoniale avérée. Son livre est d'autant bienvenu qu'il n'était presque plus espéré.
Dans son poème intitulé L'Esprit pur, Alfred de Vigny disait, il y a plus d'un siècle, toute la difficulté pour un homme public, de se recueillir pour se consacrer à l'écriture. Le même poète qui ne reconnaissait que deux races d'humains : ceux qui ont écrit et les autres, disait par la suite l'estime dans laquelle il faudrait tenir les bons auteurs dont le nom est gravé en lettres d'or sur " le pur tableau des livres de l'Esprit ". Le mérite de Félix Sabal Lecco est donc grand d'avoir su " graver quelque page et dire en quelque livre/Comme son temps vivait et comment il sut [et continue de savoir] vivre ".
Il ne reste plus qu'aux historiens professionnels à se saisir de la matière de ce livre et à la confronter à celles des autres témoins et des autres acteurs de l'époque couverte par le témoignage de Sabal Lecco, pour que la lumière sur notre passé soit toujours plus éclairante pour les jeunes générations.