La France est, quoi qu'on en dise, un pays de littérature. Aussi, ce qui n'est pas représenté dans les textes publiés en France, est supposé ne pas exister dans cet espace. Blues pour Elise vient montrer la face méconnue du pays, ses visages d'ambre et d'ébène. Sous ses abords volontairement légers, ce texte que l'auteur présente comme un roman à structure explosée, est une pierre apportée à l'édifice qu'est l'indispensable création d'un vocabulaire nouveau, permettant de dire la France de notre temps et les différentes populations qui la composent.
Chacun le sait, Léonora Miano chérit sa multi appartenance, la liberté de proposer des textes ayant pour décor les espaces auxquels elle est attachée. C'est ainsi qu'elle poursuit, avec ce nouvel opus, son travail entamé sur la présence noire en France. L'auteur s'était déjà emparée de ce matériau dans Afropean soul, recueil de nouvelles destiné aux classes de collège, et dans Tels des astres éteints, roman portant une réflexion sur la race et sur la place de l'Afrique dans la conscience de sa diaspora au sens large.
À travers un ensemble d'histoires ayant Paris pour décor, se répondant les unes aux autres, et présentant des personnages unis par des liens familiaux ou amicaux, Léonora Miano offre, dans ce roman éclaté, une plongée dans l'intimité de cette France urbaine et colorée dont on parle parfois sans la voir véritablement, sans en rien en savoir.
Les protagonistes de Blues pour Elise sont de nationalité française. Ce ne sont pas des sans papiers. Ils ne grugent pas les allocations familiales, ni ne vivent d'activités illicites. Ils font du Vélib, se marient, pendent la crémaillère, tombent amoureux, travaillent, cherchent leur identité sexuelle, vont chez le coiffeur, se réjouissent (ou pas) de l'élection de Barack Obama, découvrent des secrets de famille, détestent qu'on leur demande s'il leur est déjà arrivé de coucher avec des Blancs... Si leurs spécificités ethniques ne sont pas dissimulées, ils sont avant tout montrés dans ce qu'ils ont de commun avec les autres : la quête de l'amour. Celui de soi, celui qui se partage.
Le sous-titre, Figures afropéennes saison 1, annonce qu'une suite est prévue. En effet, l'auteur a fait le choix d'écrire ce roman de la France actuelle en plusieurs étapes, avec la facilité d'accès d'une série télévisée, tout en conservant la complexité subtile d'une oeuvre littéraire. Blues pour Elise présente, en douceur les personnages de cette aventure au long cours, avant qu'un autre texte permette d'entrer dans le vif du sujet.
La structure du texte
C'est celle d'un album de musique, chaque histoire en représentant une plage. Et comme sur les cd, il y a un titre bonus, un morceau mystère à découvrir dans le livre. Deux monologues écrits dans une langue orale, totalement hybride, servent de respirations, comme les interludes qu'on trouve fréquemment sur les disques de neo soul.
Les femmes du livre
Les Bigger than life.
Ce sont Akasha, Shale, Malaïka et Amahoro. Amies depuis le temps de leurs études universitaires, elles ont baptisé ainsi leur trio, afin de ne jamais se laisser vaincre par l'adversité. Elles dînent une fois par mois au Waly Faÿ, dans le 11ème arrondissement de Paris, aiment les bijoux DiviNéa, les vêtements So&So, les bonnes bouteilles trouvées chez Christian de Montaguère. Chacune a son tempérament, sa sensibilité, ses tracas intimes.
Malaïka est une jeune femme bien dans sa peau. Gourmande, ronde, elle assume sa taille 46. Pour elle, le 38 est la burqa de la femme occidentale. Et puis, elle est aimée telle quelle. C'est du moins ce qu'elle pensait jusque-là. Mais voilà. La panique la gagne au moment où Kwame, son compagnon, lui demande sa main. Peut-elle l'épouser ? Cet immigré subsaharien anglophone dont elle est éprise ne la fréquente-t-il pas uniquement pour améliorer sa situation administrative en France ?
Akasha est lasse de l'image de force, de puissance, qui colle aux femmes noirs et les isole souvent. Elle n'en peut plus d'enchaîner les catastrophes amoureuses avec des hommes d'ascendance subsaharienne (proche ou plus lointaine), décide de changer son fusil d'épaule. Elle a affûté son corps grâce au cardio training, préparé son esprit en écoutant la musique sensuelle de Millie Jackson. Pourtant, après s'être préparée à vivre une folle soirée de speed dating, elle finit par rester chez elle, broyant du noir, remettant en cause sa féminité.
Amahoro se fait du mauvais sang. Michel, son amoureux, la boude depuis trois semaines. Tout ça, à cause d'une petite gâterie qu'elle lui a offerte lors de leurs derniers ébats. Depuis, il la prend pour une sorte de professionnelle du sexe. Lui reviendra-t-il ? Tout en se posant la question, elle va travailler dans une boutique de vêtements du Sentier, d'avance excédée à l'idée d'y retrouver Madeleine, son employeuse, une femme que, pourtant, elle ne détestait pas.
Shale a tout pour être heureuse. Sûre d'elle en apparence, c'est le genre de fille qui offre des boules de geisha à ses copines, pour leur éviter de s'encrasser. Elle se réalise dans le domaine qu'elle a choisi, possède son appartement, file le parfait amour avec Gaétan, après avoir collectionné les liaisons avec des hommes choisis pour leur aptitude à être beaux et à se taire. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes, si une vieille blessure ne lui striait pas le coeur.
Estelle :
C'est la soeur aînée de Shale, avec qui elle entretient une relation compliquée. Elle vient de rencontrer Ernest, apparemment son âme soeur, l'homme que son coeur attendait. Pourtant, au moment de passer à l'acte, elle se crispe, se traite d'idiote, mais n'y arrive décidément pas. Ernest saura-t-il briser la glace ?
Élise :
La mère d'Estelle et de Shale est une sexagénaire magnifique, très soucieuse de son apparence, adepte du tissage Naomi. Veuve depuis quelques années, elle a fait la rencontre de Frédéric, de quinze ans son cadet. Déterminée à vivre pleinement cette histoire d'amour, elle souhaite se libérer de ses entraves intérieures. Il lui faudra donc dire à Shale, la plus jeune de ses filles, quel lourd secret pèse sur sa naissance.
Bijou :
Personnage secondaire, mais très vivant, cette femme qu'on rencontre dans un salon de coiffure fréquenté par d'autres protagonistes, représente, avec son langage épicé, le versant le plus strictement subsaharien de cette France afro. C'est dans un taxiphone, lieu de passage par excellence des populations ayant des attaches lointaines, qu'elle nous fait savoir de quel bois elle se chauffe.
Les hommes du livre
Michel :
Compagnon d'Amahoro. Il se pose des questions depuis que son amie s'est un peu lâchée la dernière fois qu'ils ont fait l'amour. Au fond, la connaît-il vraiment ? Lui appartient-elle ? Peut-il envisager de continuer à vivre à ses côtés ? Dans le cas contraire, pourrait-il tolérer de l'imaginer au bras - et surtout dans le lit - d'un autre ?
Gaétan :
Meilleur ami de Michel, très épris de Shale qu'il vient de rencontrer, Gaétan est blanc. Ayant passé ses jeunes années en Afrique subsaharienne. Il se considère comme un immigré en France, et ne se voit pas y bâtir son futur. Seulement, Shale, elle, qui est noire et née de parents subsahariens, ne l'entend pas de cette oreille.
Bogus :
Cousin d'Estelle et de Shale, ce jeune homme, qui s'appelle en réalité Baptiste, est un être tourmenté. Il y a trop longtemps que cela dure. Que faire ? Continuer à déposer des intentions de prière dans les églises de son quartier ?
Extraits de la bande son
Des paroles de chansons sont parfois insérées dans la narration, et les personnages écoutent beaucoup de musique. Toutes sont mentionnées dans le livre. Ici, sur le site, nous avons fait le choix de ne vous en présenter que quelques-unes. Blues pour Elise paraît en octobre 2010. D'ici là, bonne écoute !
Le son de Malaïka :
Happy, par Sandra Nkaké
Le son d'Estelle (choisi par Ernest) :
Contagious, par The Isley Brothers
Le son de Shale :
Jim, par Jean-Louis Murat
Le son de Bogus :
Pas à vendre, par Casey
Le son d'Amahoro :
Pas cool, par Bams
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