La soif de grandeurs mise en scène

Joseph Ndzomo Molé vient d’adapter son essai y relatif en tragi-comédie.

 



Dans son format livre de poche, la pièce de théâtre de cet enseignant de l’Ecole normale supérieure (Ens) de Yaoundé, se veut un moment de confession publique pour la société camerounaise «mangée» par une bourgeoisie avide d’accumulation de richesses. L’onomastique des acteurs, le champ lexical de l’auteur et le genre littéraire utilisés dans cet ouvrage de 146 pages, en font bouquet réaliste de la représentation du Cameroun d’aujourd’hui.
La scène se déroule dans un village, Bilikbekassa, quelque part au Cameroun. Au regard de l’onomastique, dans le Centre et plus précisément au cœur de la Lékié. Adingakuma, directeur général de l’une des nombreuses entreprises d’Etat, ancien député et ministre, meurt en prison victime des rudesses du milieu carcéral pour avoir voulu exécuter son fils, Robertin sur les recommandations d’un charlatan lui ayant promis son retour prochain au gouvernement. Obsédé par le pouvoir, Adingakuma se rend chez Ngambi, le sorcier qui lui demande de lui céder son épouse, Mélanissia. En effet, dans son appât du gain d’argent facile, Ngambi s’est juré d’infliger différentes formes d’humiliations aux «grands».

Au rang de ses fais d’armes, il allie l’extorsion de fonds et paiement en nature pour ses prestations. Limogé de ses fonctions de directeur général, Adingakuma tente de convaincre son épouse (arrachée à son neveu) qu’il câline, de céder à Ngambi. Dégoûtée, celle-ci le couvre d’invectives, jure comme un palefrenier et finit par le rouer de coup. A son retour chez le charlatan, l’ancien directeur général de qui se joue Ngambi est reçu à genoux et les mains tendues vers l’avant. Après avoir fait part de sa déconfiture vis-à-vis de son épouse, son sorcier lui exigera près de sept millions pour son traitement.
Au bout de l’opération, au prétexte que ce sont les exigences des esprits, Ngambi lui demandera de remplacer son épouse par un sacrifice humain. Après avoir affûté la machette devant servir à la sale besogne, Adingakuma réussira à droguer son fils avant de le ligoter et enfermer dans une caisse. Transporté dans un taxi en course chez Ngambi, le cas Robertin embarrasse le charlatan qui se rend à l’évidence que son client a perdu la tête et est prêt à retourner au gouvernement à tous les prix. C’est alors que Ngambi le remet à genoux dos tourné, les mains tendues vers l’avant et les yeux fermés.

Pendant ce temps Ngambi a libéré Robertin de ses liens. Il a par ailleurs appelé la gendarmerie pour l’interpellation du ministre qui par ailleurs a voulu en finir rapidement avec son fils aîné au nom du «bonheur familial». Incarcéré à la prison centrale, Adingakuma est soumis au bizutage. Une rude étape au cours de laquelle il se montrera arrogant comme à son habitude. Une étape au terme de laquelle il trouve la mort. Adingakuma sera inhumé sans obsèques au risque d’être la risée de toute la contrée.
La tragi-comédie de Joseph Ndjomo Molé est donc riche d’enseignements. Si la pièce de théâtre est écrite dans un style qui varie au gré des acteurs, le niveau de langue est globalement soutenu. Riche en figures de style, les cinq actes sont la représentation de prétention et de l’illusion de domination des détenteurs du pouvoir contemporain chez nous. Comme Adingakuma, nombreux d’entre eux ont du mépris pour tout le monde et se font tout petits, à la limite perdent leur sang froid dès qu’ils n’y sont plus.
Jouisseurs, mégalomanes, gourmands, avides des honneurs, ils sont des délinquants impénitents. D’où leur fin tragique. Celle de Adingakuma résume la tragique fin de cette bourgeoisie épuisée de jouissance. Un démon que le sang neuf doit exorciser.

Léger Ntiga


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