Essai : L’Afrique victime de collabos

Certains penseurs africains seraient stipendiés par l’Occident pour vendre leur continent à l’encan; telle est la thèse que soutient Charles Romain Mbele.

 



Les éditions Cle viennent de redonner vie à une de leurs plus célèbres collections : la collection « Point de vue », celle-là même qui a révélé et fait la notoriété de deux philosophes camerounais : Marcien Towa et Ebénézer Njoh Mouelle. Le livre qui relance cette collection est un pamphlet de 124 pages réparties en trois chapitres et dont les cibles sont: le système de gouvernement politique et économique du monde et ses adjuvants que sont certains penseurs africains et africanistes ayant théorisé le concept de postcolonialisme.
Après la traite négrière, après l’esclavage, après la colonisation, le postcolonialisme apparaît à Romain Mbele comme le « nouvel arbitraire imposé à l’Afrique ». En effet, le mot « postcolonialisme » ne renvoie ni à « ce qui a fini » ni à «ce qui vient après», encore moins au refus d’une « temporalité linéaire » ; le concept que recouvre ce vocable est une « critique cauteleuse de la pensée négro-africaine qui a nourri les luttes de libération » de notre continent. Le postcolonialisme préconise l’ajustement passif de l’Afrique à l’ordre du monde.

De nombreux penseurs africanistes et, africains, paradoxalement «accompagnent cet ajustement de l’Afrique subsaharienne à la mondialisation du «capitalisme ultralibéral» (p.15). L’auteur en dresse une longue liste : Jean-Godefroy Bidima avec sa philosophie de la traversée, Kwame Anthony Appiah et sa philosophie analytique, Achille Mbembe, théoricien d’un foucaldisme téléonomique et mondialiste, Bassidiki Coulibaly penseur taoïste et Fabien Eboussi Boulaga dont le néo-pragmatisme poursuit les mêmes fins.
Tous ces penseurs, influencés pour la plupart par la pensée occidentale des auteurs comme John Rawls ou Jean-François Bayart, se caractérisent par l’abdication face à la puissance de l’impérialisme capitaliste; ils ont renoncé à toute idée de révolution, prétendument par réalisme, au regard du rapport de force entre l’Afrique et les puissances du capitalisme mondial. Selon eux, l’Afrique au mieux peut espérer tirer de temps en temps son épingle du jeu de la mondialisation par la ruse et l’opportunisme.

Stratagèmes
Ce déséquilibre des forces en défaveur de l’Afrique est le résultat d’un long travail de sape des stratèges occidentaux. Les concepts de Paix, Droit et Commerce sont les stratagèmes et les prétextes grâce auxquels l’Occident se donne un droit d’ingérence dans la vie intérieure des Etats africains. Ils constituent le «nœud philosophique» de l’accord de partenariat entre l’Europe et l’Afrique. Cet accord s’est subtilement substitué au plan mis en place par les Africains eux-mêmes pour prendre en charge leur destin. En effet, le plan de Lagos s’était donné comme « une prise de conscience commune de l’effort collectif général à entreprendre » par les pays d’Afrique subsaharienne pour rattraper leur retard en matière de développement, les objectifs qu’il devait permettre d’atteindre étaient la techno science et la démocratie.
Mais à ce plan africain, l’Occident à opposé le « plan Berg » dont le fondement ultralibéral sert mieux ses intérêts ; les Ape actuels sont des mises à exécution de ce plan. Contrairement au plan de Lagos, le Nepad actuel, entendu comme autre alternative africaine, a le défaut de vouloir « combler les lacunes dans l’accumulation du capital ». Mais selon Romain Mbele, « assumer l’ordre du contrat marchand de la société civile, c’est accepter la règle darwinienne au cœur de la mobilité du capital».

Au demeurant, l’essai de philosophie politique de Romain Mbele apparaît comme un essai bien documenté qui épingle de nombreux penseurs africains, Achille Mbembe et Jean-Godefroy Bidima dont l’essayiste laisse croire qu’ils sont stipendiés par l’Occident tant leur pensée est défaitiste et afro-pessimiste On peut cependant retourner le reproche que l’auteur fait à ses collègues contre lui-même : si le postcolonialisme en tant que concept philosophique tend à rendre l’Afrique seule responsable de sa stagnation ou de sa régression, on aurait tort de ne lui trouver aucune responsabilité dans sa situation actuelle. Le désir illimité d’acquisition des richesses et l’abrutissement dans les jouissances et la débauche que dénonce Achille Mbembe chez les dirigeants africains n’est pas qu’une simple vue de l’esprit.

Kougou Ikoure (correspondance particulière)


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