Il s’agit d’une étude qui concerne en particulier les intellectuels camerounais. Pas tous, précise l’auteur dans la présentation de son livre : « seulement ceux dont on entend parler dans le pays : des membres du gouvernement et hauts fonctionnaires, des technocrates et des entrepreneurs parmi les plus en vue, les hommes politiques, mieux, ceux qui se présentent comme tels, des personnalités des médias. En somme, le petit monde des décideurs et leaders d’opinion. Comme il en existe sous tous les cieux ».
L’ouvrage d’Albert Moutoudou comporte sept parties dont la première s’ouvre avec la passation de pouvoir au Cameroun. Avec le départ de Ahmadou Ahidjo, premier président de la République et l’avènement de Paul Biya à la tête de l’Etat. Paul Biya, intellectuel pur sang moulé chez les catholiques avant d’achever son cycle secondaire dans le prestigieux lycée général Leclerc d’antan, puis des études supérieures en France dans la perspective d’assurer la gestion du pays « libéré » par la France.
La deuxième partie est consacrée à l’école (coloniale) avec quatre sous-chapitres dont le deuxième analyse l’influence de la réalité coloniale sur l’école et les nouvelles classes montantes. Le troisième sous-chapitre décortique les enseignements primaire, secondaire et supérieur. Le quatrième remonte la pente bureaucratique qui débouche sur le messianisme.
La troisième partie est essentiellement consacrée à Paul Biya ; ses qualités, son attitude face aux droits de l’Homme ; l’homme Biya, la politique et la démocratie. Dans les quatre dernières parties de son ouvrage, l’auteur promène le lecteur à travers les misères et les grandeurs de la saga des intellectuels, leur vénalité, le cirque dans lequel ils évoluent pour, à la fin, esquisser un bilan.
A la question de savoir l’intérêt d’une telle étude, l’auteur explique que cette « population a la particularité d’être peu nombreuse mais cultive des manières qui s’érigent en autant de modes intellectuelles, des manières qui diffusent par conséquent dans l’ensemble du groupe social des intellectuels et singulièrement, parmi les jeunes étudiants subjugués par le succès de ces aînés-là, et désireux à leur tour d’être portés sous les mêmes éclairages médiatiques, d’accéder à un renom au moins égal à celui qui les tient sous le charme ».
Albert Moutoudou explique par ailleurs comment ces hommes et femmes (de pouvoir) s’acquittent de leur position : leurs thèmes favoris et le traitement qu’ils en font, la relation entre ces thèmes et les enjeux de l’heure, la distance qu’ils mettent entre leurs activités intellectuelles et le pouvoir. L’auteur jette à travers les 254 pages de son livre, une lumière forte sur la responsabilité des intellectuels sur le retard de l’Afrique dont on parle tant depuis des décennies, celui du Cameroun, son pays d’origine en particulier.
Paraissant à la veille du cinquantenaire des indépendances de la majorité des pays francophones dont le Cameroun, ce livre prend à contre-pied tous les discours plus ou moins laudateurs voire triomphalistes actuellement en préparation derrière les portes capitonnées et sous les lambris des palais présidentiels des différents successeurs des « pères fondateurs » des nouvelles nations africaines, déjà quinquagénaires.
Vivement que ce livre prenne place dans les rayons des librairies. Il est critique certes. Mais il n’est que le reflet des réalités d’une société malade de ses intellectuels, de ses dirigeants, ces enfants du pays qui ont remplacé les colons pour mieux asservir leurs compatriotes. Pour le prolongement du néocolonialisme et leur égo propre.
Le retard des intellectuels africains, d’Albert Moutoudou – Editions l’Harmattan – Paris – 254 pages –
jacques.doo.bell