D’entrée de jeu, les premières lignes, l’ouvrage révèle l’intrusion de l’auteur sur le passé. Nous sommes en pleine forêt de l’Afrique équatoriale où, les animaux et les arbres parlent. Du coup, l’ouvrage est un appel à la résurrection. « A l’origine, le théâtre célébrait les divinités. Mettre en scène les Ekangs est conforme à la tradition littéraire. Dans la civilisation fang-bulu-beti dont est originaire l’auteur, le mvet est un discours constituant, terme emprunté à la pragmatique. Discours des origines, le mvet exerce un effet attractif sur tous ceux qui s’interrogent, c’est-à-dire les créateurs» affirme la préfacière et mvetologue Angèle Ondo.
Et d’ajouter que les puristes du mvet risquent d’être surpris par la libre interprétation de la mythologie. «La descendance des Ekang évoquée dans la pièce appartient à la prestigieuse lignée des «Fers» dont font partie Akoma Mba, le chef de l’exécutif». En réservant l’avant dernière partie de sa pièce de théâtre sur «Bibliographie sur le Mvet», l’auteur de «Le Pacte » qui cite les différentes contributions ayant pour fil d’Ariane la griotique mvetique, ne fait pas une démarche inutile. Il pense qu’il y a urgence à revisiter le passé. Combinant les réalités théoriques, pratiques et contextuelles, Charles Belinga B’eno interroge le présent, tente de ressusciter le passé afin d’inventer l’avenir. Le mvet ici, n’est pas seulement un moyen d’expression destiné à divertir et à enchanter les esprits et les cœurs. Bien exécuté, il adoucit les mœurs, berce les cœurs et les âmes, réveille des émotions particulières.
Dans le mvet s’exprime le vocabulaire, l’expression, la grammaire et la mémoire des peuples. Le « Drame mythologique » qui se déroule à travers « Le Pacte», est un projet didactique dénué de prétention académique, mais une volonté de laisser à la postérité un outil véhiculaire pertinent qui permet de créer un environnement à travers lequel les jeunes générations doivent se perfectionner sinon, apprendre à s’accoutumer aux cultures ancestrales, mais surtout aux «ethnonymes» du genre : «Ekan» (peuple mythique d’immortels), « Okù » (peuple mythique rival des Ekan qui veut leur dérober le secret de l’immortalité), «Biyoé » (clan Okü), «Mendin» (clan Okü dont est issue Okome)… Plus que d’être une alliance comme le souligne Charles Belinga B’eno, « Le Pacte» est un engagement de soi dont on ne mesure pas souvent la profondeur ni la gravité. «Chez les ekan, tribu mythique que chante le mvet, épopée traditionnelle des fang-bulu-beti de l’Afrique centrale, la succession au sein de la chefferie des descendants des héros mythiques ne se dessine pas. Le patriarche doit léguer son autorité au plus méritant de ses fils. Mba-Olé n’a malheureusement pas d’héritier mâle de son sang…», souligne l’auteur. Toutes choses qui semblent poser la question du rôle, la considération et de la place de la femme dans les sociétés ancestrales africaines dès lors qu’elle ne peut succéder au trône.
Une esthétique langagière éclatée
L’ouvrage expose l’impossible succession au patriarche de son vivant. C’est à ce niveau qu’on pense que l’ouvrage est antidémocratique, pire encore, il renforce l’idée de la conservation du pouvoir par ceux qui en détiennent un bout. D’une page à l’autre de « Le Pacte», l’on découvre un auteur fortement ancré dans le passé. « J’ai imaginé cette pièce sur le modèle de théâtre classique. A la façon de Corneille ou de Racine, je me suis servi de la mythologie fang-bulu-beti pour composer ce drame. Parce que cette mythologie est une source riche qui reste encore inexploitée » écrit l’auteur. Loin d’utiliser une certaine esthétique langagière propre aux classiques, Charles Belinga B’eno reste incisif et prend des libertés langagières ; au même titre que des auteurs comme : Feu Séverin C. Abega, Guillaume Oyono Mbia, Angéline Bonono…
Bien avant d’être édité par l’Harmattan, « Le Pacte, a été monté sur les planches pendant une quinzaine d’années. Il s’agit d’un texte de théâtre qui garde les pieds dans la civilisation africaine au quotidien, mais la tête tournée dans l’au-delà » clame un critique. « L’on ne peut aller où on veut qu’en maîtrisant le passé car pour aller le plus loin possible, il faut maîtriser d’où on vient. De ce fait, chaque tribu ne peut se développer qu’à partir de ses propres racines » explique François Bingono.
Charles Belinga B’eno, «Le Pacte», Théâtre des 5 continents, Edition l’Harmattan, Cameroun, 124 pages. Prix : 5.000 FCfa
souley.onoholio