Livres : Jean Lambert Nang règle ses comptes

L'ancien chef de service des sports à la Crtv commet un ouvrage sur son passage périlleux à la tête de la Fecafoot.




Avait-il besoin d'être aussi violent pour présenter une cause qui, manifestement, lui était favorable dès lors qu'il est la victime ? Difficile de ne pas se poser la question à la lecture des premières lignes de "Desperate Football House", ouvrage par lequel Jean Lambert Nang signe son entrée dans le monde des écrivains, après avoir connu la gloire du petit écran et la renommée internationale d'un journaliste talentueux. L'auteur a pourtant tenté quelques précautions en indiquant, dès l'avant propos : "J'ai décidé d'écrire ce livre pour raconter l'expérience des six mois que j'ai passés à la Fecafoot. Certains lecteurs y verront un pamphlet dirigé contre mes employeurs d'hier. D'autres le considéreront comme une compilation de dénonciations d'un homme empli d'aigreur et animé de vengeance."

Il a même pris l'engagement d'avoir écrit "Desperate Football House "pour mieux imprégner le lecteur camerounais" des réalités du football camerounais, si riche en footballeurs talentueux mais si indigent en hommes d'honneur pouvant lui construire un destin différent". Joseph Antoine Bell, son préfacier de circonstance, indique bien que ce qu'on peut considérer comme la grande enquête et le super reportage de Jean Lambert Nang "ne révèle rien, loin s'en faut (…) mais confirme tout". En espérant toutefois, manifestement heureux que ses thèses soient confirmées par un autre regard que le sien, que ce livre "aide enfin au démarrage d'une œuvre de salubrité publique."

Mais la lecture de l'ouvrage laisse partagé entre plusieurs sentiments. Il y a d'abord bien sûr, la révolte. On a beau le dire ou l'écrire depuis des années, la description "de l'intérieur" que fait Jean Lambert Nang de la maison Fecafoot en six mois, au-delà de ses frustrations personnelles, semble inimaginable. Entre les révélations sur les conditions de sa désignation (avec les arguments exposés par les uns et les autres pour ne pas porter le choix sur sa personne, le Pv de réunion faisant foi) et la manière avec laquelle il a été débarqué (les contrôleurs spéciaux appelés à le "coincer" dans son bureau s'en tireront avec plus de 5 millions Cfa pour à peine une heure de contrôle), cette institution qui est supposée représenter toute la philosophie et le fonctionnement du football camerounais est présentée comme moins qu'une épicerie de quartier.

Du président de la Fécafoot, Iya Mohammed (à qui il semblait vouer une haute estime mais qui est décrit comme un homme sans contrôle sur sa troupe et totalement dépassé par les événements) au planton (qui en réalité travaille à faire du renseignement soit pour le président, soit pour le premier vice, ancien secrétaire général, Jean René Atangana Mballa), tout le monde y passe, chacun recevant sa sanction après avoir écumé les fautes commises ou supposées : la galaxie des autres membres du comité exécutif qui ne vivrait que des prébendes que génère cette institution, les cadres maison vivant de trafic divers et peu enclins à accepter la moindre transparence ou la toute petite comptabilité dans la conduite des opérations financières, les responsables des démembrements provinciaux de la structure.

Désir de vengeance
Mais c'est précisément de ces multiples portraits que naît le second sentiment : celui de la gêne. Si tous ces gens sont aussi corrompus et aussi magouilleurs, s'ils sont autant mal élevés, celui qui les décrit peut prendre quelques gants et leur accorder un minimum de dignité. Entre Mme Manguele, comparée à "la putain du diable", Essomba Eyenga qu'il traite de personne vivant "aux crochets du football camerounais qu'il pressurise, suce et ponctionne à souhait ; des preuves patentes témoignent à souhait de son indescriptible cupidité et des sommes mirobolantes qu'il tire de ses innombrables forfaitures", en passant par Abdouraman Aladji, David Mayebi et tous les autres, traités par toutes sortes de noms d'oiseaux, personne ne trouve grâce à ses yeux. Il n’est pas jusqu’au ministre des Sports de l’époque, Philippe Mbarga Mboa, qui ne reçoive sa salve de tirs nourris...

Même ceux qui sont venus "vendre" les autres pour lui permettre d'être informé se trouvent logés à la même enseigne. Du coup, "Desperate Football House" apparaît très souvent comme le cadre de sordides règlements de comptes, avec la volonté de ridiculiser tous ceux qui ont osé se mettre en travers de son chemin. En fait, la haine et le désir de vengeance dégoulinent de chacune des phrases, de chacune des pages, et finissent par atténuer les effets de révélations pourtant fortes. On s’étonnera même sur cette démarche qui n’est ni managériale, ni journalistique, qui consiste à “vendre” à la première occasion tous ceux qui sont venus vous informer...

Il y a enfin comme un sentiment d'inachevé à la lecture de l'ouvrage. S'il a été longtemps annoncé, la présentation physique de "Desperate Football House" donne une impression de précipitation dans ses opérations finales : pages mal reliées, de nombreuses coquilles peu habituelles chez un supposé connaisseur de la langue française et une édition approximative (il n'a pas travaillé avec une maison d'édition professionnelle) qui fait sauter les pages à la lecture. On comprend par ailleurs difficilement que le talentueux Jean Lambert Nang se trompe sur la trajectoire professionnelle de Joseph Antoine Bell (qui signe pourtant la préface), ou encore sur l’origine et l’utilisation première du nom “Lions indompatbles”. Le plus gêné à la diffusion de cet ouvrage sera cependant, contre toute attente, ce "confrère pointilleux et soucieux du bon usage de la langue de Molière qui a spontanément dévoré [son] manuscrit", mais dont Jean Lambert Nang ne connaît visiblement pas le prénom, puisqu'il l'appelle ... Dieudonné Ateba Ndoumou. S'il a été à ce point traumatisé…

Alain B. Batongué


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