"Comment peut-on être crédible dans la dénonciation du racisme dans le monde quand on ne peut pas le combattre dans sa propre maison ?" La question est au centre du dernier ouvrage du très prolifique et très controversé journaliste ivoirien Serge Bilé, qui a créé en début d'année un tollé au sein de la grande famille de l'église catholique et, particulièrement dans les allées du Vatican. Pour l'auteur, qui s'est associé la plume et la disponibilité d'un autre journaliste, Camerounais, basé en Italie, il y aurait comme une conspiration depuis les origines de l'église qui se perpétue encore aujourd'hui au Saint siège, et qui vise à fragiliser et à humilier les Noirs
Les deux auteurs semblent avoir pris le temps qu'il faut pour mener leurs enquêtes aux quatre coins du monde, interrogeant des hommes d'église Noirs ou Blancs, témoins privilégiés de la vie au Vatican ces trente dernières années. L'ouvrage est donc construit sur des témoignages, personnalisés ou anonymes, sur l'exploitation des coupures de presse autant que d'ouvrages sur les origines et l'évolution de l'église catholique. Il est parsemé d'anecdotes qui ne font certes pas toutes sourire, et est écrit dans une langue simple et limpide. L'un des récits les plus pathétiques est celui concernant Mgr Emery Kabongo, évêque et diplomate zaïrois, et premier secrétaire particulier noir d'un pape, en l'occurrence de Jean Paul II, qui sera agressé et défiguré, dans les jardins même de la résidence papale, en principe bien gardée, puis plus tard, affecté à Kinshasa, loin de Rome. Parce qu'on le trouvait "gênant", car il détenait des secrets, étant donné qu'il avait accès aux rapports que la Cia envoyait régulièrement à Jean Paul II.
Serait-ce un acte de racisme vis-à-vis de Noirs ? Un autre évêque africain indique dans l'ouvrage : "L'église est une construction humaine, avec des gens qui viennent de partout et qui se rencontrent. Donc, s'il y a un groupe qui devient majoritaire, il y a danger qu'il porte ses propres conceptions, comme par exemple l'idée que les autres pourraient être inférieurs". Racisme au Vatican ? Pas forcément du fait des papes qui, de Paul VI à Benoît XVI, ont même été, pour la plupart, pros africains. Mais dès qu'ils sont papes, peuvent-ils encore maîtriser tout l'entourage qui s'efforce, pour des raisons de contrôle idéologique du pouvoir, d'écarter les noirs ? Les auteurs de Et si Dieu n'aimait pas les Noirs en doutent. Les avis assez divers qui parsèment le livres semblent indiquer qu'il n'y a des réactions individuelles de personnes parfois influentes au Vatican, mais pas une politique conçue chargée d'humilier les noirs et de rappeler qu'ils sont d'une race inférieure.
Monde impitoyable
Mais cela ne semble pas avoir influencé la position de départ de Serge Bilé et Ignace Audifac. Ainsi, lorsque Paul VI fait entrer, pour la première fois de l'histoire un noir à la curie romaine (un archevêque béninois du nom de Bernardin Gantin), la nouvelle sera diversement appréciée : "Certains se sont sincèrement réjouis qu'un Noir prenne ce poste mais il y a aussi eu des réactions inverses, notamment chez les vieux missionnaires, habitués sans doute à voir le nègre à la place qu'ils lui réservent, une place inférieure". Ou plus loin : "Fais attention, sache qu'à compétence égale, on te demandera deux fois plus qu'à un prêtre blanc !" Et lui de répondre : "Les gens ont le droit de ne pas m'aimer, mais au moins qu'ils me laissent dormir tranquille".
L'univers du Vatican qu'on aurait pu rapprocher du paradis, est présenté comme un monde impitoyable où règnent violence, intrigues, coups bas de toutes sortes, loin des sermons que professent à chaque messe ces hommes de Dieu sensés prêcher l'amour, la solidarité, la générosité…
Et on comprend mieux cette réflexion de Jean Marc Ela, cité par les auteurs : "S'il y avait un pape noir, je craindrais qu'il n'y eut pas de changements spectaculaires, parce que les évêques et les cardinaux d'Afrique, en dehors de quelques exceptions, sont plus romains que les Romains". La messe est dite !
Mais le tort des auteurs est sans doute de vouloir tout mettre sur le dos des Blancs du Vatican avec en définitive des déductions faciles, des coupables désignés. Comment comprendre en effet que des prêtres Noirs, formation finie ou non, refusent de rejoindre leurs diocèses d'origine en Afrique et se retrouvent sans papiers, mais trouvent grave aux yeux de Serge Bilé au motif que "ce qu'on semble tolérer aux prêtres originaires des autres parties du monde (en fait Blancs), c'est-à-dire la possibilité d'exercer en Europe même sans régulariser sa situation en rapport avec l'église d'où on vient, on le refuse aux prêtres Noirs " ?
Il faut aussi éviter de donner des arguments aux autres, en se promenant à travers les diocèses du monde à la recherche d'un bien-être matériel et personnel plutôt que d'un zèle pastoral pour lequel on s'est engagé. Et au fond, il faut éviter de soupçonner Dieu de ne pas aimer les Noirs, et se demander si, véritablement, les Noirs aiment plus Dieu et que le bien être et l'aisance matérielle qu'il aide à leur procurer. Situation identique pour les religieuses qui arrivent pour des études et qui, pour ne pas retourner au pays ou renouveler leurs papiers, se trouvent obligées de " se débrouiller ", de "se mettre en délicatesse avec leur vocation", c'est-à-dire de se prostituer (lire ci-dessous). Finalement, l'ouvrage confirme ce qu'on savait déjà et qui n'est pas une originalité du Vatican : la crise des vocations. Peu de gens, ici comme ailleurs, vont vers l'église par vocation ou par envie du sacerdoce. Pourquoi alors reprocher aux autres d'êtres les plus malins ?
Alain B. Batonguè
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