Arts plastiques :
Une crise d’identité dans la création des œuvres freine le rythme d’achat des amateurs d’arts.
Marion Obam
La 4ème édition de l’exposition des artistes peintres, sculpteurs et photographes du Cameroun, The last pictures show s’est achevée à Douala le 29 novembre 2007. Pendant une semaine, une cinquantaine d’artistes qui proposait en moyenne trois œuvres chacun se sont frottés à l’appréciation d’un public hétérogène constitué d’amateurs et de non amateurs. Dans la dernière catégorie, il y avait plusieurs personnes qui s’étonnaient d’ailleurs de voir que la belle fresque de l’artiste Emati coûtait 1 million de francs Cfa. "Un tableau coûte aussi cher ? " s’interroge Maryvonne Etoa, étudiante en droit à l’Université de Douala, venue à cette exposition accompagner son oncle qui lui est un amateur d’art. Les mécanismes de fixation des prix d’une œuvre d’art sont complexes et intègrent une panoplie de facteurs qui ne sont pas parfois quantifiables, notamment l’émotion et l’inspiration. C’est dire combien l’univers de la peinture et le coût de la création demeurent des réalités partagées par une caste de personnes. Cependant, suffit-il d’acheter une toile ou une sculpture pour être un amateur d’art ?
Pour Lionel Manga, critique d’arts, "l’acte d’achat n’est pas indicateur de la qualité d’amateur. Un amateur est un collectionneur averti d’objets d’arts. Il a de l’amour pour cette forme d’expression, il la recherche et se cultive sur le sujet pour en parler en connaisseur mais aussi faire la différence dans une exposition, un musée ou chez un particulier, entre les objets qui sont des copies, des originaux." Très peu de camerounais correspondent à ce profil, mais il n’est pas rare d’en trouver qui ont décidé de vivre avec cette passion et de la faire partager aux autres. Soit en créant des évènements comme Catherine Pittet avec The last pictures show, BarbecueXpo de Mboko Lagriffe ou en construisant des galeries, des espaces de partage et de formation comme Annie Kadji avec le Bonapriso Center of arts, Marilyn Bell Schaub avec Doual’art et la galerie Mam de Marême Malong.
L’art pour vivre
L’œuvre d’art suppose une liberté créatrice qui excède la fécondité naturelle. L’artiste crée en vertu d’un libre-arbitre qui n’est pas la nécessité naturelle. Or, à ce libre-arbitre proprement humain sont attachés l’usage de la raison et la capacité de donner une forme rationnelle à une création. C’est pour cela que dans une exposition vente les prix ne seront jamais les mêmes et changeront en fonction des peintres et des formats des toiles. Le prix d’une toile d’après l’artiste plasticien Mboko Lagriffe "ne dépend ni du format encore moins du matériel et des produits utilisés. Il y’a plusieurs éléments mais les plus déterminants sont l’environnement dans lequel évolue l’artiste, la durée donc le temps mis par le peintre dans le métier et la capacité à garder sa ligne de création du départ". Ce qui fera évidemment qu’un Koko Kommegne coûte plus cher qu’un Hervé Youmbi.
Toutefois malgré ces règles préétablies, certains plasticiens arrivent à vendre régulièrement et au-dessus de 300.000Fcfa par toile. Actuellement ceux qui vendent le plus sont Salifou Lindou, Emile Youmbi, Emati, Mboko Lagriffe, Max Lyonga. Il est vrai que c’est au rythme des expositions, des évènements qui s’ouvrent à la vente que les artistes arrivent à avoir de l’argent car les amateurs d’art qui visitent régulièrement les ateliers pour acquérir des tableaux ne sont pas très nombreux et se recrutent parmi les expatriés et les riches camerounais. Mboko Lagriffe qui comme Goddy Leye, Joël Mpah Doo, Louis Epée, Emile Youmbi et Hako Hankson sont des propriétaires de leurs domaines qui abritent leurs ateliers, livre que "quand on s’organise bien pour être présent dans les évènements qui compte on s’en sort".
La copie destructrice
Une pratique malsaine et malhonnête s’est répandue depuis quelques années dans le milieu de l’art camerounais. C’est la copie et la reproduction des oeuvres et des auteurs. Fréquenter les expositions devient alors un supplice, une colère sourde gronde "quand on reconnaît sur un tableau la technique de travail du regard de Hervé Youmbi, les cannettes écrasées de Elolongué ou le collage des objets brûlée de Aser Kash. En plus, ces copieurs veulent souvent expliquer ce qu’ils ont fait alors que ça saute à l’œil qu’ils ont copié. Pourtant chacun gagnerait à garder son identité, cerner son ligne créatrice et sa philosophie, la mûrir pour une reconnaissance constante des pairs et des amateurs", explique, courroucé Bertrand Kouoh collectionneur d’art. D’autres amateurs d’arts qui ont fait le même constat ont pris des mesures draconiennes.
"Il y’a des artistes camerounais que j’ai cessé d’acheter. Je ne leur accorde plus d’attention lors des expositions parce que ce sont des tricheurs. Ça fait mal de retrouver la représentation d’un tableau qu’on achete à des centaines de milliersbde francs dans un livre dédié aux maîtres de l’abstrait ", confie Edwin Tsala qui a transformé son domicile en musée où on trouve parmi les pièces les plus anciennes qui ne sont pas uniquement camerounaises, un Koko Kommegne de 1982, un Max Lyonga de 1992 ou une belle petite sculpture de Joseph Francis Summegne de 15 ans d’âge. Il classe les œuvres par auteur, ne laisse aucune sortir et ne permet pas qu’on les prenne en photo. Directeur dans une compagnie d’assurances, il achète par passion, mais aussi pour suivre le travail des peintres et sculpteurs qui se distinguent. Edwin Tsala avoue qu’il peut facilement acheter des tableaux de Hervé Yamguen, Jules Wokam, Hervé Youmbi , Tonleu, mais pour les autres "il faut que j’aie vu les travaux antérieurs et que je visite leur atelier car certains reproduisent en série. L'art de Léonard de Vinci, la peinture de Raphaël, la sculpture de Rodin méritent de figurer sur un piédestal au-dessus de l'ordinaire des objets techniques. De même, entre un tableau unique et une reproduction de supermarché, il y a la distance".
Une porte de sortie s’est ouverte avec la dénomination de l’art contemporain. Il n’est pas le plus respecté par les amateurs d’art, car l'art contemporain a su brouiller tous les repères. Entre l'égouttoir de la cuisine et l'égouttoir placé dans un musée où est la différence? Il est cependant clair que l'art contemporain surprend dans sa créativité, mais aussi par l'audace qu'il déploie à vouloir élever au rang d'art n'importe quel objet, n'importe quelle forme, n'importe quel bruit. Aujourd’hui beaucoup d’artistes qui ont ouvert les portes de leurs ateliers à des jeunes qui veulent apprendre à faire autrement. Le drame c’est que tous leurs travaux portent les germes de leurs maîtres. Pourtant, ces futurs peintres auraient pu avoir les bases nécessaires pour avoir une identité et un univers artistique dans des écoles d’art plastique que l’Etat a oublié de créer.
mboasawa
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