
Peut-être qu’après avoir atteint soixante ans, en 2009, il cédera enfin son fauteuil. Mais pour le moment, l’homme est là : admiré de la majorité de ses pairs patrons d’entreprises, craint de l’essentiel de ses employés des Brasseries du Cameroun (il aime pourtant dire qu’il écoute leurs opinions, même si elles sont contraires aux siennes), mal connu du grand public qui le présente souvent comme un serviteur de la cause impérialiste française, identifié par certains leaders de l’opposition politique comme un suppôt du régime Biya, etc. Face à toutes les étiquettes que l’on lui colle dans l’espace économique, social et politique, André Siaka est souvent resté de marbre. Timidité, peur, confirmation… ou stratégie de positionnement ? Quelques fois acculé par les opinions que relaient les médias, le président du Gicam ne laisse percevoir qu’une seule chose, c’est qu’il est un nationaliste qui essaie de mettre son savoir et son savoir-faire au service de son pays.
Né le 21 janvier 1949 à Bandjoun (province de l’Ouest), André Siaka commence sa vie professionnelle en 1974 à la Société générale à Paris. Il vient alors d’obtenir son diplôme d’ingénieur à l’Ecole polytechnique de Paris. Deux ans après, il rejoint le Cameroun où il commence une longue carrière aux Brasseries du Cameroun. Il parcourt l’essentiel des postes de responsabilité, de gestionnaire des procédés en 1977 à Bafoussam à directeur général en 1988. Il a ainsi été tour à tour chef d’embouteillage à Yaoundé, directeur d’usine à Douala, directeur adjoint d’agence puis directeur d’agence à Yaoundé, directeur général adjoint avant de devenir directeur général. Depuis 2005, il est promu administrateur directeur général.
Si cette fonction à elle seule suffit pour lui conférer une aura honorable, ses autres activités contribuent à le positionner comme un acteur-clé de l’économie camerounaise. Parmi cette bonne dizaine d’activités, celle de président du Groupement inter-patronal du Cameroun semble lui donner une autre dimension dans la scène socio-économique, voire politique. C’est dans le cadre de cette organisation qu’il a parfois, au nom du patronat, exprimé des positions osées sur les politiques publiques de développement économique. S’il est vrai que dans son entreprise, les Brasseries du Cameroun, il travaille aussi pour l’intérêt de ses “ patrons ”, il est indéniable qu’au Gicam les actes qu’il pose militent en faveur de l’amélioration de l’économie camerounaise. Même s’il est parfois accusé de faire la langue de bois, on peut lui reconnaître un certain franc-parler sur des questions déterminantes pour la vie des Camerounais.
C’est dans la perspective d’un éclairage de la situation économique du Cameroun aujourd’hui que Le Messager, dans son espace débat, fait appel à son expertise. Il s’exprime d’abord sur l’évaluation (2007) et les perspectives de l’économie camerounaise en 2008, l’impact de la signature de l’Accord de partenariat économique sur les pays du Sud, et l’environnement dans lequel se déploie l’économie camerounaise. Pour lui, l’économie de “ notre pays ” régresse. André Siaka formule néanmoins des souhaits pour la relever. Les pouvoirs publics sont-ils prêts à l’écouter ? Lecture.
André SIAKA, président du Groupement
“ Pourquoi l’économie
L’essentiel des citoyens est d’avis que le Cameroun vient de traverser une année difficile. Comment le Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam), dont vous êtes le président, apprécie-t-il les performances de l’économie camerounaise en 2007 ?
Comme je l’ai dit au cours de notre dernière assemblée générale, l’économie camerounaise s’essouffle et la croissance a décéléré en 2007. Au cours des quatre dernières années en effet, la croissance économique aura été de 3% l’an en moyenne et les projections optimistes pour 2008 tablent sur un taux de croissance d’environ 4%. Avec une hausse de 1,1% par rapport à 2007, les prévisions budgétaires de 2008 traduisent d’ailleurs la prudence du gouvernement au regard de la morosité qui prévaut. C’est donc le lieu de rappeler que, pour atteindre les objectifs du millénaire en 2015, le Document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP) préconisait que notre produit intérieur brut [PIB, somme des valeurs ajoutées (biens et services) réalisées annuellement sur le territoire national par les entreprises d’un pays, quelle que soit leur nationalité, ndlr] connaisse une croissance de 6% à partir de 2007 et se stabilise à 7% sur la période 2011-2015.
On comprend donc que les activités économiques n’évoluent pas comme prévu. Toutefois, il y a un certain nombre d’événements (heureux ou malheureux) qui ont marqué l’année 2007. Quel est celui qui a le plus retenu votre attention ? Pourquoi ?
Je ne vois pas d’événement économique majeur en 2007… Je peux cependant citer quelques-uns qui ont eu ou vont avoir un effet important sur notre économie :
- La flambée des cours du brut
- La montée en puissance de la Chine
- Les négociations des accords de partenariat économique
- La persistance de la crise énergétique au Cameroun
- Le début des grands travaux d’infrastructures routières
Dans votre rapport moral lors de la 104e assemblée générale ordinaire du Gicam, le 19 décembre dernier, vous affirmiez que la croissance économique en 2007 est de 2,9%, contre 3,2% en 2006. Qu’est ce qui justifie cette contre-performance de l’économie camerounaise ?
Je dois d’abord préciser que je n’invente rien : dans le Rapport économique et financier présenté à l’Assemblée nationale, le gouvernement constate la même réalité. Cela étant, la contre-performance qui est tendancielle résulte, en 2007, essentiellement du mauvais comportement de nos cultures de rente et du secteur industriel. Si on peut se féliciter de la relance de la production cacaoyère et de celle du caoutchouc, il reste que la production du café, du coton et de la banane diminue depuis quelques années. S’agissant de la production industrielle, même si les résultats de 2007 sont légèrement meilleurs que ceux enregistrés en 2006, le secteur industriel – et particulièrement le sous-secteur manufacturier – évolue largement en dessous de ses potentialités.
Après les ordonnances du chef de l’Etat visant à alléger les coûts de certaines denrées de première nécessité, on constate que la vie est toujours plus chère pour les ménages. Pourquoi les entreprises se trouvent-elles toujours en train de faire de la surenchère ?
Il n’est pas crédible d’affirmer que c’est parce que les entreprises font de la spéculation sur certains biens de première nécessité que la vie est plus chère. Le chef de l’Etat a fait exonérer de droits de douane et de Taxe sur la valeur ajoutée (Tva) certains biens de grande consommation tels que le riz, la farine, etc. Le problème s’est posé quand il a fallu passer à la mise en œuvre… De toute manière, le panier de la ménagère n’est pas constitué que de deux ou trois produits alimentaires et ne ressent que faiblement les retombées de ces mesures d’exonération. Par ailleurs, l’alimentation absorbe certes plus de 40% des dépenses, mais il y aussi les dépenses liées au transport, à l’habillement, aux communications, aux soins de santé, etc.
Que propose le Groupement inter-patronal du Cameroun en 2008 pour que le secteur productif qui est le moteur de toutes les économies fortes et stabilisées améliore ses résultats ?
En 2008, comme les années précédentes, le Gicam pense que le préalable à une relance économique c’est la définition d’une politique économique connue par les différents acteurs chargés de sa mise en application. L’amélioration du climat des affaires constitue le second volet de nos préoccupations, indispensable pour l’attrait des investissements, qu’ils soient nationaux ou étrangers. Les infrastructures routières, la disponibilité et la qualité de l’énergie électrique sont également des facteurs importants…
La loi des finances 2008 est présentée par le gouvernement comme un instrument visant à relancer les investissements et à lutter contre la pauvreté. Mais pour vous, “ cette loi est loin d’avoir répondu à toutes les attentes, spécialement en matière d’incitations fiscales ”. Pensez-vous que des aménagements fiscaux peuvent permettre de relancer une économie ?
Nous souhaitions un budget allant dans le sens d’une véritable relance de l’économie. La loi de finances 2008 représente une timide avancée dans la mesure où elle comporte certaines de nos propositions à savoir l’amélioration du régime fiscal des opérations boursières, un régime fiscal particulier pour les projets structurants, la suppression de l’obligation pour les entreprises publiques et parapubliques ainsi que pour les entreprises du secteur privé listées, de retenir à la source la TVA et l’acompte d’impôt sur le revenu, un allègement du taux de pénalité de bonne foi, la suppression de la caution bancaire lors de l’introduction de la requête devant la Cour suprême dans le cadre du contentieux fiscal et l’exonération de la contribution des patentes pour les entreprises nouvelles au titre des deux premières années de leur exploitation. Nous espérons toutefois que des dispositions réglementaires seront rapidement prises en vue de l’application du régime fiscal particulier des projets structurants.
Une véritable relance des investissements ne pourra passer que par des mesures de loin plus audacieuses. A cet égard, nous déplorons particulièrement l’absence, à ce jour, des textes d’application de la charte des investissements. En effet, les opérateurs économiques avaient fondé beaucoup d’espoir dans ce dispositif qui, comme vous le savez, était censé remplacer le code des investissements et le régime de la zone franche.
Le Gicam a été associé à la négociation de l’Accord de partenariat économique UE-ACP. Quelles étaient vos propositions ? Avez-vous l’impression qu’elles ont été prises en compte ?
Le Gicam a œuvré pour que l’APE prenne en compte les intérêts bien compris non seulement de l’Afrique centrale, mais aussi de notre pays. Nous avons aussi régulièrement insisté sur le volet développement en démontrant notamment la nécessité de l’intégration du renforcement des capacités et de la mise à niveau des entreprises dans le projet de texte de l’Accord. D’ici à la conclusion de l’Accord de partenariat proprement dit, il n’est pas interdit d’espérer que ces points prospèrent pour le plus grand bien de notre économie.
Quelle analyse faites-vous en termes d’enjeux (ce que les entreprises camerounaises risquent de perdre ou de gagner) si cet accord venait à être appliqué en l’état ? Le gouvernement camerounais ayant plutôt signé un accord d’étape, qu’est-ce que cela signifie pour les entreprises camerounaises et pour le citoyen consommateur ?
Comprenons-nous bien, l’Accord de partenariat économique n’a pas encore été signé. Le Cameroun a toutefois signé un accord intérimaire qui porte sur le volet commercial, le volet développement devant être négocié par la suite. Cet accord dit d’étape, est en principe valable depuis le 1er janvier 2008, et implique essentiellement l’ouverture progressive de notre marché aux produits en provenance de l’Union européenne. A moyen terme, celles de nos entreprises qui ne seront pas compétitives perdront des parts de marchés. Celles qui ne pourront par résister à la concurrence mettront la clé sous le paillasson. Dès lors que l’on considère que le consommateur pourrait théoriquement obtenir des produits de meilleure qualité à un meilleur prix, il conviendrait de ne pas perdre de vue que, si notre fragile secteur productif est détruit, il sera difficile de créer suffisamment d’emplois et de richesses à distribuer. Il faudrait éviter que notre espace économique se transforme en simple comptoir commercial…
Etes-vous d’accord, avec le président Abdoulaye Wade du Sénégal, quand il affirme que cet APE constitue une duperie de plus contre les Africains ? Qu’adviendrait-il si les pays africains et singulièrement le Cameroun ne les signaient pas ?
C’est bien connu, “ les pays n’ont pas d’amis mais des intérêts ”. Dans le cadre de la mondialisation, les pays défendent autant que possible leurs intérêts. Si nous mettons de côté le paramètre régional, il serait difficile d’ignorer que le Cameroun n’est pas un “ pays moins avancé ” et qu’à partir du moment où l’Europe refuse de demander une dérogation spécifique à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et que le Cameroun ne signe pas un accord d’étape, ses produits sont astreints aux droits de douane exigibles en Europe depuis le 1er janvier dernier. Concrètement, la banane du Cameroun qui est par exemple déjà en compétition avec la banane dollar ne serait plus compétitive en Europe. Le moment est donc venu de repenser notre politique économique ou notre politique de développement tout court. Nous pouvons par exemple nous demander si nous sommes obligés de produire prioritairement ce que notre économie ou celle de la sous-région n’absorbe ni ne consomme.
Chaque année le Gicam décrie la pression fiscale qui grève les budgets des entreprises et augmente les coûts des produits alors que le pouvoir d’achat des citoyens semble baisser. Mais apparemment, rien ne change. Votre Groupement est-il une simple caisse de résonance ? Sinon de quels pouvoirs dispose-t-il pour se faire entendre ?
Peut-être convient-il de rappeler que le Gicam est une organisation crédible du secteur privé dont le rôle essentiel est la défense des intérêts de l’entreprise. Le Gicam n’a pas un pouvoir de coercition sur les pouvoirs publics. Il ne peut faire que des propositions. En raison du caractère sérieux, objectif et factuel des arguments qu’il développe, le Gicam est de plus en plus consulté, écouté et peut-être pas toujours compris dans le cadre du dialogue entre le secteur public et le secteur privé. Il demeure tout de même constant que plusieurs de nos propositions sont prises en compte par les pouvoirs publics. C’est le cas pour la loi de finances dont nous avons parlé, pour l’amélioration progressive de l’environnement des affaires, etc.
De nombreux membres du Gicam sont en même temps des hommes politiques. Comment conciliez-vous les activités politiques avec l’économie ?
A mon avis, il n’y a pas d’antinomie entre l’activité politique et la gestion d’une entreprise. Pourquoi un chef d’entreprise ne s’occuperait-il pas des affaires de la cité puisqu’il vit dans la société ? Pourquoi un chef d’entreprise n’appliquerait-il pas – au niveau d’une commune ou de toute autre collectivité territoriale décentralisée – les techniques managériales qui ont fait leurs preuves ? Pour quelles raisons objectives un chef d’entreprise ne permettrait-il pas au Parlement de bénéficier de son expertise ? Il faudrait tout simplement éviter le conflit d’intérêt. C’est dans cet esprit que, depuis 2004, nous avons adopté au Gicam un code éthique auquel sont soumis nos membres.
Le Cameroun occupe encore une place de choix parmi les pays les plus corrompus, selon le classement de Transparency International. Quel a été l’influence de cet environnement sur le climat des affaires en 2007 ?
Tout le monde le sait, la corruption est une véritable gangrène dans notre société. Une enquête menée en juillet dernier par le Gicam, la SNV et la GTZ montre que la corruption influence négativement les activités de 73% des entrepreneurs. Pour les grandes entreprises, cette proportion atteint 80%. Par ailleurs 23% des chefs d’entreprises interrogés estiment que les montants des paiements officieux pour obtenir les services des fonctionnaires varient entre 1 et 5% de leurs chiffres d’affaires. C’est dire que le mal est profond et qu’il faudrait un traitement de choc pour l’éradiquer.
Depuis peu, les Camerounais entretiennent un débat sur la modification de la Constitution. Quelle est votre position par rapport à l’amendement de la Constitution aujourd’hui ? Quel impact cette action peut-elle avoir sur les entreprises ?
Au sein de notre Groupement nous ne menons pas de débats d’ordre politique, chaque membre est libre de se prononcer à titre personnel sur tel ou tel aspect de la vie politique nationale au sens où vous l’entendez. Nous discutons de l’économie, de la politique économique et de l’environnement des affaires. Il nous a semblé que le débat sur l’amendement de la Constitution porte essentiellement sur la non limitation des mandats présidentiels. En un mot, tant qu’il n’impacte pas directement sur les aspects liés à la création de richesses, un débat ne saurait mobiliser les énergies au sein de notre Groupement.
Le Gicam a-t-il vu ses attentes comblées par le discours du président de la République le 31 décembre dernier ?
Sur la forme, on peut dire que le président de la République est au courant des préoccupations de l’entreprise. Nous avons, plus que jamais, besoin d’actions concrètes. Puisque la croissance et partant, l’économie, seront la première priorité du président de la République, nous attendons de voir le gouvernement à l’œuvre avec une administration notamment débarrassée d’une certaine inertie que nous déplorons depuis des années.