Modification du 6.2
Dans une conjoncture sociale qui lui est peu favorable, Paul Biya est décidé à éviter une consultation populaire, en terrorisant les résistants et en amadouant les chancelleries occidentales.
La dernière réunion des présidents de section du Rdpc en a donné la preuve. Paul Biya, prenant tout le monde de vitesse, est décidé à opérer un passage en force en ce qui concerne la modification de la constitution pour se donner quelques années de plus au pouvoir. En dehors de quelques mesures purement cosmétiques visant à offrir la modification dans un pack comprenant quelques “ concessions”, Paul Biya est décidé à garantir son prochain mandat en s’appuyant sur un mécanisme de modification à risque zéro. Le pack de toilettage va comprendre des mesures dites de modernisation de la constitutions camerounaise, et les hommes du parti vont essentiellement axer leur argumentaire sur ces “ évolutions ”. Ce mécanisme est naturellement le parlement où le président s’est donné les moyens de mettre les députés au pas, en constituant une majorité “ claire ” au parlement. Il va user de la voie parlementaire pour changer l’article 6.2 qui limite le nombre de mandats présidentiels. Pourtant, Paul Biya, dont le parti vient de “remporter haut la main” le double scrutin législatif et municipal, ne devrait avoir aucune crainte quant à l’issue d’un référendum constitutionnel…Dans ce scénario, Paul Biya et ses conseillers n’ignorent pas que la résistance s’annonce farouche, même si elle parait actuellement désorganisée, avec une grosse dispersion de forces et des ambitions concurrentes qui plombent de dynamiques de rassemblement. On sait d’ailleurs qu’il faut prévoir même l’inimaginable, puisque la conjoncture sociale est déjà fort peu favorable à Paul Biya (cherté de la vie, génération spontanée de nouveaux riches oisifs dans son entourage) et que les opposants à la modification constitutionnelle, qui n’ont rien à perdre, peuvent justement tout risquer. D’autre part, autant certaines régions du pays sont par nature difficiles à convaincre par le régime Biya (Littoral, Ouest-Nord Ouest, Sud-Ouest, Nord) autant le silence des élites Rdpc du Nord, lorsque les autres élites du parti entonnaient en choeur la sérénade du mandat présidentiel à vie, inquiète le régime et achève de convaincre que le pouvoir devra donner des gages à cette communauté dont l’élite se montre impatiente de reprendre “sa chose ”, en l’occurrence le pouvoir d’Etat.
La stratégie des hommes du président aura ainsi deux déclinaisons. A l’intérieur, il s’agit de jouer sur la terreur : terreur psychologique et, le cas échéant, terreur tout court. Le premier cas est orienté vers les intellectuels et hauts responsables politiques ou de l’administration qui ne veulent pas s’engager dans le processus de prolongation de la vie du régime. Selon une manoeuvre usuelle de clientélisme et de chantage à la fonction, on montre à chacun qu’il ne doit son pain quotidien qu’à la bonté sans borne du président. Et que si on veut se montrer ingrat, le régime saura remettre chacun à sa place, puisqu’il y en a qui attendent leur tour à la mangeoire, qui sont prêts à montrer tout leur zèle. Dans ce sens, le séminaire organisé à l’intention des parlementaires Rdpc, au cours duquel René Emmanuel Sadi a proféré des menaces claires de déchéance à l’encontre des députés qui oseraient montrer des velléités d’indépendance, participait de ces manœuvres de terreur visant la mise au pas de ceux qui se croient en démocratie. La terreur tout court est réservée aux responsables de la société civile et aux politiques qui veulent prouver qu’il existe une majorité muselée, largement opposée à la manipulation de la constitution au seul bénéfice de prolonger le pouvoir de Paul Biya. Dans ce registre, l’interdiction de manifester actuellement en vigueur à Douala, ainsi que les interventions musclées de la gendarmerie contre des manifestants aux mains nue, montrent bien la détermination du régime à faire passer la pilule de la modification dorée ou pas.
Vis-à-vis de l’extérieur, la stratégie du gouvernement consiste à remporter la bataille de la communication. Pour le moment, même si le pouvoir parvient à étouffer les partisans du non à la modification à l’intérieur du pays, les dépêches d’agences qui inondent des salles de rédaction occidentales, faisant état “ d’arrestations d’opposants à un dictateur africain au pouvoir depuis 25 ans et qui veut rempiler ” sont du plus mauvais effet pour l’image internationale du régime. Tout comme les reportages des radios étrangères sur les brutalités militaires perpétrées contrer des manifestants exigeant à mains nues le respect de la limitation des mandats. De fait, il s’agira de convaincre les chancelleries occidentales, pour la plupart dubitatives sur le bien fondé du désir d’éternité politique de Paul Biya, que le président peut encore servir à préserver la stabilité politique. Cette communication vis-à-vis de l’extérieur tend essentiellement à montrer que le pays, ou du moins son élite intellectuelle, est largement favorable à une modification de la constitution, notamment en son article 6.2. L’argument massu : le Cameroun risque l’instabilité politique à brève échéance, à moins que Paul Biya ne se donne le temps de préparer une alternance sur un horizon plus lointain. Le prétexte étant que personne n’ose afficher ses ambitions tant que Paul Biya est encore en place. Deuxièmement, les hommes du président font valoir que toute lisibilité sur les scénarii de succession à la tête du régime peut être porteuse d’instabilité, les impatients du camp présidentiel ouvriraient aussitôt leur poudrière et le pire deviendrait possible.
Pour contenter les impatients, le président entend multiplier les fonctions politiques. Une manière de gonfler le gâteau pour qu’il y en ait pour un peu plus de monde. Rein de mieux, dans ce contexte, que d’engager la mise en place de certaines institutions prévues par la constitution jamais appliquée de 1996, et de créer des organes consultatifs à tout va, où les hommes nommés ont autant de fonctions creuses, mais des rétributions et autres privilèges bien substantiels.
Ici, on pense que la communauté internationale finit toujours par se ranger du côté des plus forts. Et que rarement, les institutions internationales se sont heurtées de front à un gouvernement légal. Ce ne sera donc qu’une question de temps, même si le régime sait qu’il sera boudé quelque temps par les plus sourcilleux, il ne doute pas que la communauté internationale finira par lui donner acte de son passage en force. A moins que tout ne se joue à l’intérieur.
François Bambou