Appel des forces vives du Mfoundi

Une armée de zélotes



Depuis la publication du communiqué des chefs sawa du Wouri par Cameroon Tribune le 18 février 2008 et, singulièrement, celle dite des “ Forces vives du Mfoundi ”, le 6 mars dernier, les réactions fusent de toutes parts. Pour fustiger l’initiative jugée dangereuse pour l’unité nationale et la paix sociale. Fidèle à sa philosophie, Le Messager a ouvert ses colonnes pour permettre aux Camerounais de tous bords, d’exprimer leurs opinions sur ce sujet important qui engage la vie de la nation. Tant du côté des initiateurs que des autres acteurs sociaux. Sans tabous ni censure, chacun y va de son argumentaire ou de sa sensibilité. C’est le lieu de rappeler que toutes les contributions sont bienvenues, le but ultime étant de promouvoir le développement du pays à travers ce cadre de débat contradictoire.
La présente contribution, tout en condamnant la démarche, fait opportunément un bref rappel historique pour démontrer l’ignorance à la fois de l’histoire du Cameroun par les “ Forces vives du Mfoundi ” et du groupe ethnique dont elles se réclament. Son analyse est simple, c’est que l’histoire du peuplement de cette région, comme pour le reste du pays, est faite de différents flux migratoires qui disqualifient de fait l’argument du “ sol ” invoqué dans la déclaration du Mfoundi. Ce qui fonde l’auteur dans le fait que les promoteurs de cet appel ont fait preuve d’irresponsabilité…


Le brûlot de haine et de menaces publié par André Mama Fouda et sa bande de “ va-t-en-guerre ” sous le titre de “ l’Appel de Yaoundé ” à la suite des évènements sanglants qu’a connus le Cameroun en fin février 2008, dans lequel ils demandent à ceux qui ne sont pas de Yaoundé de “ quitter rapidement et définitivement leur sol ”, révèle à la fois leur ignorance de l’histoire du Cameroun – et singulièrement celle du groupe ethnique auquel ils appartiennent – et, l’irresponsabilité des défenseurs du pouvoir de Paul Biya.
Voyons d’abord ce que nous enseigne l’histoire du peuplement du Sud-Cameroun. Selon “ l’essai sur le peuplement du Sud-Cameroun ” de l’Institut français d’Afrique Noire publié en 1949, c’est vers le milieu du XVIIè siècle que le groupe Basa-Bakoko, initialement installé sur le plateau central, mais venant de plus loin – (1) arrive dans la région qu’il occupe actuellement ; Yaoundé et ses environs faisant partie de cet espace.
Ensuite, c’est au sud du plateau de l’Adamaoua que vers le milieu du XVIIIè siècle, subissant la dernière poussée des Mbum et des Baya, eux-mêmes bousculés par les Fulbé, que le groupe des Pahouins pénètre dans la forêt du sud où il fut fixé par les premiers colons européens. Outre les pygmées qui y vivaient depuis l’aube de l’humanité, le groupe Basa-Bakoko l’y avait précédé. Je parle ici de Pahouins que G. Tessman appelle aussi “ Pangweé ” car d’après les spécialistes, les Beti et les Pahouins furent deux groupes bien distincts. Mais selon G. Tessmann, au fil du temps, le groupe des Beti qui a certainement vécu au côté du groupe Basa-Bakoko et dont les incidences sont très visibles sur leurs confins, se sont “ pahouinisés ” pour ne plus savoir aujourd’hui, où se trouve exactement la démarcation entre les deux.
Pour le R.P. Nekes, qui fait autorité en la matière, et dont la classification se base surtout sur la linguistique, il existent deux grands groupes chez les Pahouins : d’une part les Beti, de l’autre, les Mvele. Au premier appartiennent les Ewondo, les Bane, les Yetenga, les Eyetudi, les Eton, les Mangisa, les Tsinga-Betsanga et les Fon; mais probablement aussi les Badjia, les Bavek, les Bamvele, les Bobili, les Djanti, les Ngoro et les Bafok-Yangafuk. Au second, appartiennent les Mvelé, les Yebekolo, les Yekaba, les Yebekanga, les Bulu, les Ntumu, les Okak, les Omvang, les Fang, les Mvae, les Mbida-Mbane et les Mvogo-Nienge ; les Yesum étant rattachés aux Bulu. (2)
Si l’on se réfère à cette diversité et aux mouvements migratoires, qui peut s’attribuer avec sérieux l’ancestralité de la propriété des sols d’un pays dont les groupes de populations se déplaçaient au gré des migrations jusqu’à l’orée du XXème siècle ?
Enfin, l’irresponsabilité des auteurs de cet “ appel ” aux accents guerriers m’amène là aussi, à évoquer quelques périodes de notre histoire. Vers la fin de 1887, les lieutenants Kund et Tappenbeck partis du Grand-Bassam, atteignirent Yaoundé en passant par la vallée du Nyong et la région occupée par les populations Ngoumba. Le poste administratif de Yaoundé sera créé en février 1889. Le Major Hans Dominik, arrivé en 1894 au Cameroun, se fixera à Yaoundé. Il y organise un centre militaire et un nouveau point de départ vers l’Est et le Nord du pays. Entre 1889 et 1900 quelques frictions armées eurent lieu entre certains Beti et les Allemands. Mais ces frictions cessèrent très vite. A l’origine de cette hostilité de certains Beti à l’égard des Allemands, il y avait leur crainte d’être empêchés de prélever des tributs sur les convois commerciaux qui traversaient leur territoire ; ils pensaient aussi que les intrus pourraient leur prendre leurs terres et leurs femmes. Par contre, d’autres Beti, plus nombreux, ne s’opposèrent pas à l’expansion allemande comme le furent d’autres groupes tels que les Basa-Bakoko avec à leur tête les chefs Toko de Bona Ngan, Nganga de Pongo Sôngo, Njanjè du village du même nom. Ou celle du chef Obaa Mbeti en pays bulu qui fut vaincu par les Allemands en 1901 après trois années de résistance. (3)
Au Cameroun, on connaît ceux qui ont l’âme guerrière et ceux qui ne l’ont pas. Ceux des Camerounais qui profèrent sans raisons profondes des menaces de guerre à d’autres Camerounais ont-ils sérieusement mesuré les graves conséquences que leur initiative pourrait provoquer dans un pays où les divisions ethniques ont été exacerbées par un tribalisme érigé en mode de gouvernement par le régime en place ?
Les récents évènements du Kenya (600.000 morts), du Tchad (400.000 morts environ) ou plus anciennement ceux de Côte d’Ivoire, de Guinée, du Congo, de la Rdc, de la Rca ou du Rwanda n’ont-ils pas traversé l’esprit des auteurs de “ l’Appel de Yaoundé ” quand ils écrivaient qu’ils “ rendront coup pour coup, dent pour dent ” à une agression inexistante, à un ennemi imaginaire ?
Car, les évènements sanglants (100 morts environ) qu’a connus le Cameroun en février dernier ne relèvent pas d’un phénomène de guerre civile. Mais ils ont pour origine, l’échec de la politique de Paul Biya. De pays prospère, le Cameroun est aujourd’hui classé parmi les pays pauvres très endettés, les fameux Ppte et l’un des plus corrompus au monde ! C’est l’extrême pauvreté, le chômage massif des gens en âge de travailler, ce sont les détournements massifs des fonds publics et l’enrichissement scandaleux des hauts fonctionnaires, l’injustice sociale, le tribalisme d’Etat, bref ce sont le désarroi et la désespérance qui ont fait sortir les populations dans les rues pour crier leur ras-le-bol.
Car elles en ont marre ! Marre d’un régime qui les spolie, qui les laisse mourir à petit feu, incapable d’apporter des solutions aux problèmes auxquels elles sont confrontées. Ce ne sont pas les quelques mesurettes annoncées à la suite des manifestations qui modifieront la détermination des Camerounais qui aspirent dans leur grande majorité au changement politique.
En accédant au pouvoir en 1982 à la faveur d’une disposition constitutionnelle, que son prédécesseur M. Ahmadou Ahidjo aurait pu s’il l’avait voulu, soit modifier soit désigner quelqu’un d’autre – or il n’en fit rien par respect de la Norme suprême –, Paul Biya avait trouvé un pays en paix ; un pays où l’unité nationale et le sentiment d’appartenance à une même nation devenaient de plus en plus une réalité tangible. Il doit à son tour, laisser à son successeur un Cameroun en paix. C’est pourquoi, sa volonté de modifier l’article 6 alinéa 2 de la Constitution de 1996 qui met fin à son deuxième et dernier mandat de sept ans, dans le but de s’éterniser au pouvoir, est un “ coup de force ” qui ne pourra qu’être un facteur aggravant de troubles sociaux et de violences inéluctables.
Il faut donc le dire clairement ici : seul le départ de Paul Biya en 2011 et la mise en place d’une nouvelle politique de reconstruction nationale seront de nature à rétablir chez les Camerounais, la confiance perdue et redonner espoir en l’avenir à un peuple aujourd’hui en déshérence ! Ceux des parangons du “ biyaïsme ” qui ne l’ont pas encore compris ou qui, par vaines provocations, jouent les excités d’une armée de zélotes de pacotille, doivent se pénétrer de la véracité de cette maxime : “ Vox populi, vox Dei ”. Le peuple, il faut le savoir, finit toujours par avoir le dernier mot.
(1) Les traces d’un foyer Basa ont été découvertes dans la région du Lac Tchad à l’époque néolithique (3000 ans avant J.C.). D’après les chercheurs, il serait le foyer fondateur des Bantu. Mais cette région du Lac Tchad n’a certainement été qu’un point de passage dans le mouvement migratoire vers le Sud ; d’après les recherches ethnologiques et archéologiques, les Basa viendraient du Haut-Nil en Nubie. (Histoire de l’Afrique noire, de Madagascar et des Archipels édit. Puf/Bordas Paris 1973).

(2) Essai sur le Peuplement du Sud-Cameroun (publié en 1949 par Institut français d’Afrique Noire).

(3) la collaboration et l’entente entre Allemands et Beti furent si étroites que dès le 20 février 1916, date de la fin de la 1ère Guerre mondiale au Cameroun, Karl (Charles) Atangana, fidèle serviteur de Hans Dominik, accompagné de soixante seize chefs Beti, aidèrent le gouverneur Ebermeier à évacuer le Cameroun à travers la forêt qu’ils connaissaient bien. Ils arrivèrent en Guinée équatoriale avec 15 000 personnes en majorité Beti. Les chefs Beti séjournèrent en Espagne et en Guinée équatoriale jusqu’en 1920 avant d’être autorisés à revenir au Cameroun ( Histoire du Cameroun : XIXè –XXè siècles Martin Z. Njeuma éd. L’Harmattan ; l’Annexion du Cameroun par Frederick Quin éd. Op. cité (1).
 

Par Par Richard MBOUMA KOHOMM kohomm@hotmail.fr

mboasawa

3713 Blog des postes

commentaires